L’affaire des 15 millions de $ US fait les titres des journaux depuis plusieurs semaines malgré son montant relativement faible par rapport aux milliards détournés chaque année par des opérations minières opaques ou par les malversations sur les revenus de l’état avant ou après leur arrivée dans les caisses de l’état.
Le bradage des ressources minières qui prive le pays de milliards, passe presque inaperçu tout comme les centaines de millions gaspillés dans des projets foireux comme Bukanga Lonzo.
Des instrumentalisations de l’affaire expliquent en partie l’intérêt qu’y porte la presse mais l’intérêt réel de cette affaire est la lumière crue qu’elle jette sur des participants/complices/profiteurs de la plupart des malversations financières et qui ne sont ni dirigeants publics ni politiciens mais bien les intermédiaires financiers et leur (soi disant) organe de contrôle la BCC (Banque centrale du Congo).
Les paradis fiscaux et leurs banques sont régulièrement cités comme complices des multinationales prédatrices mais curieusement les banques locales échappent à toute critique. Or, dans l’affaire des 15 millions on apprend que tout le déroulement de l’affaire, depuis l’ouverture du fameux compte (apparemment illégale) jusqu’aux retraits en cash (tout à fait illégaux) de millions de $US s’est passé au sein de la banque considérée comme la plus importante du pays! On apprend que cette banque, connaissant l’engagement pris par le gouvernement de rembourser un montant important aux pétroliers y a vu une possibilité de faire un prêt à des conditions juteuses comme ils le font régulièrement avec des entités publiques. Alors que le remboursement aurait pu se faire à moindre coût par un crédit d’impôt et taxes, la banque a proposé d’avancer le montant contre des commissions et intérêts qui s’élèveraient à plus de 15 millions de $ US. Pas étonnant que dans ces conditions ils aient fermé l’œil sur les retraits illégaux.
Tout comme détourner 15 millions est une affaire banale pour nos gouvernants, l’opération bancaire qui l’accompagne est tout aussi banale pour nos banquiers. Une requête des autorités demandant les noms des personnes aillant opérer les retraits en espèces aurait été satisfaite par cette banque, sans aucune suite à ce jour.
L’affaire est une petite anthologie de malversations diverses. Le montant d’indemnisation (100 millions de $US ) résulte d’un « arrangement » entre certains ministres et les pétroliers dans lequel les ministres concernés et les dirigeants des pétroliers « se retrouvent ». Le montant a d’ailleurs été remis en question par l’IGF (Inspection générale de finances). Non dépourvus d’imagination et pour se ménager une possibilité de détournement supplémentaire nos criminels en cols blancs ont monté l’affaire de la « décote » de 15% (probablement ajoutée au préalable au montant « convenu » comme une surfacturation) Cette pratique est apparemment considérée comme banale dans leur milieu et particulièrement à la présidence de la République. On se souviendra de la « décote » sur la dette pour fourniture d’électricité par le Congo Brazza il y a quelques années. Cette décote de plusieurs millions de $US avait été accaparée par le directeur de cabinet de Joseph Kabila de l’époque et sa clique.
Dans le domaine du pétrole, les occasions de profit rapide pour nos criminels en cols blancs abondent. Les variations régulières du prix du pétrole, des prix d’achat, des encours et des stocks sont difficiles à évaluer et leurs impacts fiscaux constituent une source d’arrangements et de malversations importantes. Les montants des opérations des pétroliers étant importants, les mouvements de fonds, légaux et autres le sont également et constituent donc une source de profits importants pour les banquiers.
En résumé, les dirigeants des pétroliers, ceux des banques et nos criminels à col blanc pataugent dans les mêmes eaux troubles.
Revenons aux complices discrets et profiteurs de la prédation. Une grande partie des profits de nos banques – si pas la plus grande – provient de leurs opérations avec le secteur public: gouvernement, institutions et entreprises publiques et parapubliques ainsi que des entités créées par des autorités de type comité de coordination, comité de suivi ou encore de pilotage, le plus souvent sans personnalité juridique et donc en marge des règlements. Des centaines de comptes d’entités diverses, des virements à l’étranger [q1], des avances de caisse, des prêts à conditions proches de l’usure, des retraits en cash en dehors de toute réglementation offrent autant d’opportunités de profits rapides. Rappelons le prêt de quelques millions de $US à la MIBA, il y a quelques années qui a failli faire tomber le contrôle de la MIBA dans les mains de la banque devenue la plus importante du pays. Ceci explique peut-être cela?
Ajoutons les profits réalisés sur les centaines de millions de $US en provenance des bailleurs de fonds, reçus en dépôt sans rémunération si ce n’est des avantages accordés aux gestionnaires des unités de gestion de ces projets (engagement de proches, crédits sans intérêts etc.) et la participation de certaines de ces banques à de opérations de liquidation de biens appartenant à l’état et on a un petit aperçu de leurs opérations douteuses.
En RDC, compte tenu de l’implication des hautes autorités et de l’impunité qui en résulte, le risque est faible et dès lors les banques sont de plus en plus audacieuses jusqu’à permettre des retraits en cash comme dans les pays des narcotrafiquants sous le regard bienveillant de l’institut de contrôle qu’est censé être la Banque Centrale, elle-même repaire d’opérations douteuses. Cette institution, toujours dirigée par celui mis en place par le président précédent continue à regarder ailleurs alors que dans cette affaire de 15 millions, les principales règles en matière de bonne conduite et respects des lois (appelées « compliance » par les Anglo-saxons) et de lutte contre le blanchiment d’argent, ont été bafouées de manière scandaleuse. Le comportement douteux de la BCC a été largement documenté par les « Lumumba papers » notamment en révélant que la BCC finançait des opérations privées menées par des proches du Président par le truchement d’une banque de la place dirigée également par un proche du Président.
Ces opérations bancaires, gérant des profits rapides et faciles pourraient cependant constituer le ventre mou de beaucoup d’opérations associées à la corruption et au blanchiment d’argent et donc un élément important de toute stratégie de lutte contre la corruption.
En RDC comme partout ailleurs, la responsabilité pénale s’élargit aux banques complaisantes ou complices des infractions mais dans le contexte actuel du fonctionnement de la justice les poursuites sont peu probables, à moins qu’il ne soit décidé de sacrifier un cadre servant de fusible.
Par contre, dans certaines institutions et pays (NU, UE, USA, France, GB etc.) le potentiel de poursuites est réel. Il existe des conventions internationales de lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent. Le principe d’extraterritorialité progresse et plusieurs succès ont été obtenus, notamment contre des banques avec des amendes importantes et même contre certains chefs d’état. Les opérations bancaires et leurs bénéficiaires – criminels à col blanc – pourraient constituer une cible intéressante pour des institutions de répression de la criminalité en col blanc comme la SFO en Grande Bretagne et l’OFAC aux USA. Pour cette dernière, la plupart des opérations bancaires étant faites en dollars US, une simple menace de couper leurs opérations avec les correspondants étrangers les amèneraient rapidement à collaborer et à dénoncer leurs clients criminels à col blanc.
Une autre menace pourrait s’exercer contre la BCC manifestement complice de ces opérations douteuses ainsi que contre les sociétés pétrolières et leurs fournisseurs, ces dernières étant pour la plupart cotées en bourse aux USA.
Les ONG internationales qui s’intéressent aux malversations et autres actes de corruption en RDC pourraient jouer un rôle important dans le déclenchement d’actions menées à l’encontre de nos criminels en cols blancs et leurs complices- discrets et profiteurs de la prédation.
Par Jean-Marie Lelo Diakese