Ces derniers temps, la communauté congolaise est quasiment prise en otage, malgré elle, par le matraquage hystérique des déclarations haineuses et scandaleuses, à l’encontre des Tutsi congolais, ces déclarations émanent des politiciens démagogues, d’enseignants égarés, d’agitateurs ethnistes, et d’experts improvisés. Le tort que cet activisme corrupteur et dangereux fait courir à la République Démocratique du Congo me contraint à m’exprimer dans cet article afin de raviver la flamme vacillante de la vérité quant à la nature véritable de la problématique de la citoyenneté des rwandophones congolais en RDC, qui en est l’épicentre.
Pourtant, le Congo n’a pas toujours été un pays de haine et de mensonges, loin de là, il était réputé pour: la créativité et le dynamisme de ses habitants, la générosité de sa population, son esprit d’entraide et de fraternité, son refus de la violence, et le confort réel qu’offrait le pays que beaucoup lui enviaient. Ce merveilleux pays en est arrivé là où il se trouve aujourd’hui, à la suite d’une succession de régimes les uns plus indignes que les autres qui l’ont conduit peu à peu vers l’enfer de: la corruption, la paupérisation, la haine tribale, la guerre, et des crimes de sang.
Or, dans une société appauvrie et corrompue comme la société congolaise d’aujourd’hui, le mensonge chasse souvent la vérité, et, la RDC se trouve, plus que jamais, plongée dans cette dynamique du mensonge animée par des imposteurs tels qu’Honoré Ngbanda[1], et ses lieutenants Patrick Mbeko, Kerwin Mayizo, Philibert Bilombele, et beaucoup d’autres qui répandent le mensonge selon lequel il n’y aurait jamais eu de tutsi sur le territoire de l’actuelle RDC avant la colonisation, et que de ce fait ils ont usurpé la citoyenneté congolaise qui devrait leur être retirée par tous les moyens car ils auraient infiltré les plus hautes sphères de l’Etat et de l’armée dans le but de provoquer la dislocation de la RDC (balkanisation) au profit du Rwanda.
Comme de juste, cette faction d’imposteurs et d’agitateurs est suivie par des politiciens démagogues irresponsables et avides de pouvoirs qui représentent l’archétype de la faillite de la classe politique congolaise d’aujourd’hui tels que Martin Fayulu[2], Adolphe Mozito[3] et de nombreux autres qui veulent accéder au pouvoir en exploitant ce fonds de commerce de la haine et du mensonge en vue de se bâtir une base électorale importante dans la perspective des futures élections présidentielles de 2023. Cette faction qui est appuyée sur des soutiens étrangers[4] demeure inconsciente, hélas, du fait que c’est plutôt elle qui menace l’intégrité de la RDC en faisant la promotion de la haine tribale qui généralement aboutit, comme le montre l’histoire, aux guerres civiles, et dans certains cas à la partition des États.
Ultimement, face à ce courant, une chose demeure certaine, les tutsi congolais ne perdront jamais la citoyenneté congolaise quel que soient les scénarii, les moyens et les alliances que déploiera cette faction dont la seule vision pour la RDC, à défaut de toute autre, reste l’exploitation de la haine tribale pour s’emparer du pouvoir et s’accaparer des richesses du pays, car depuis l’indépendance du Congo, les malheurs du pays ont toujours été attribués à des conspirations étrangères ou prétendues comme telles sans jamais mentionner les milliers de milliards de dollars englouties par les politiciens du pays et les dirigeants successifs depuis soixante ans.
Je tiens à préciser de prime abord, que le présent article ne cherche ni à justifier, ni à plaider pour la cause de la citoyenneté congolaise des tutsi de la RDC car ils la détiennent de manière irréversible et irrévocable au même titre que toute autre ethnie depuis que ce pays est indépendant. Celui-ci vise, plutôt fondamentalement, à expliquer la manière dont la RDC en est arrivée à banaliser le crime de propagation de la haine ethnique dans le débat politique, et dans les actes de plusieurs politiciens, en présentant « les causes lointaines et récentes de la problématique de la citoyenneté congolaise des rwandophones congolais« afin que la vérité de l’histoire remplace le mensonge. Cet article basé sur des faits historiques vérifiables et avérés constitue un travail de salubrité publique visant à désinfecter une pratique fort répandue de la politique congolaise, face aux montages des imposteurs et démagogues apôtres du mensonge et de la haine.
LES CAUSES LOINTAINES
- Les injustices coloniales
Les véritables racines du mal ont été plantées par l’administration coloniale belge qui s’est systématiquement acharnée à détruire et à disperser les chefferies antérieures à la colonisation appartenant aux banyarwanda[5] dans la nouvelle colonie du Congo Belge. Cette politique répressive de démembrement systématique et discriminatoire a constitué une injustice historique aux conséquences inouïes, qui fut tue jusqu’à ce jour, et cette politique s’est poursuivie durant toute la période coloniale à partir de 1910 jusqu’à la suppression et au démembrement, en 1958, du Gishari dernière chefferie des banyarwanda au Congo Belge.
Nous ne saurions suffisamment insister sur ce fait historique, car il a eu un impact immense et terriblement dommageable pour la communauté tutsi congolaise qui s’est retrouvée à être la seule ethnie, lors de l’indépendance en 1960, sans chefferie traditionnelle propre dans un pays de tribus comme le Congo au sein duquel l’unique marque de l’authenticité nationale repose sur l’appartenance à une chefferie traditionnelle (ethnique).
De ce seul fait, les adversaires politiques des tutsi qui cherchaient à les écarter de la scène politique nationale, en même temps qu’ils convoitaient leurs richesses[6] se sont emparés de cette argument comme preuve irréfutable de leur non appartenance à la communauté congolaise. Signalons par ailleurs, que les bahutu surtout de Masisi se sont trouvés piégés à plusieurs reprises par cet argumentaire mais à la longue, ils sont parvenus à s’en dégager grâce à la rupture des liens traditionnels avec les batutsi et à l’alliance avec les bahutu de Rutshuru sous les conseils discrets et le soutien financier du régime génocidaire de Juvénal Habyarimana[7].
Telle est indiscutablement, à mes yeux et pour quiconque connait la sociologie congolaise, la cause première et sûrement la plus déterminante qui a contribué à la mise en cause des batutsi comme citoyens au même titre que les autres tribus de la RDC.
Aujourd’hui encore, les membres de cette communauté paient le prix fort cette « injustice coloniale historique« , qui d’un point de vue historique et politique relève d’une profonde culture anti-tutsi de la part des grandes formations politiques belges, et de leurs missionnaires catholiques qui s’est construite au cours de l’histoire coloniale[8]. Celle-ci, d’ailleurs, demeure encore très vivace à ce jour, et a même fini par contaminer certains réseaux politiques européens, voire certains milieux universitaires nord-américains[9].
- De quelles chefferies parlons-nous ?
- Les chefferies rwandophones au Sud-Kivu
- Chefferie de Gahutu
- Chefferie de Budurege
- Chefferie de Kayira
- Les chefferies rwandophones au Sud-Kivu
Ces trois chefferies ne faisaient pas partie du royaume du Rwanda et n’étaient guère frontalières de celui-ci contrairement aux chefferies du Nord-Kivu. Elles étaient exclusivement peuplées de batutsi (aujourd’hui appelés banyamulenge). Elles furent reconnues et confirmées successivement par le colonisateur, par les décrets des:
- 03/06/1906
- 02/05/1910.
Mais le décret du 05/12/1933, supprima ces chefferies qui furent démembrées et dispersées entre les petites chefferies des tribus: bembe, pfulero, et rega plaçant de la sorte ces batutsi sous la dépendance de chefs traditionnels dont les coutumes et traditions étaient aux antipodes des leurs.
Les raisons avancées par les belges étaient que cette communauté d’éleveurs tutsi était ingouvernable de par son arrogance et son manque de coopération avec les nouvelles autorités coloniales, tout simplement parce que ces gens refusaient de céder leurs terres aux colons belges[10], d’ailleurs Weis[11] précise que la protection des concessions minières, aux confins des territoires de Fizi, de Mwenga et d’Uvira, et des réserves dont on voulait conserver les forêts avaient également motivés cette politique répressive. Cette communauté fut par la suite l’objet d’une surveillance constante, ses leaders envoyés en exil ou emprisonnés, en même temps qu’elle était ostracisée par le régime colonial qui la priva d’infrastructures scolaires et de santé en empêchant la puissante église catholique de s’y installer de sorte que l’enseignement ne s’y développera que tard grâce aux missionnaires protestants.
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- Les chefferies rwandophones du Nord-Kivu
Celles-ci étaient plus nombreuses et plus peuplées que celles du Sud-Kivu. Il s’agit des chefferies ci-après:
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- Chefferie de Jomba (territoire de Rutshuru)
- Chefferie de Bwishya (territoire de Rutshuru)
- Chefferie de Kamuronsi (territoire de Masisi)
- Chefferie du Gishari (territoire de Masisi)
- Chefferie de Byahi (territoire de Goma)
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Omer Marchal et Bourgeois[12] anciens hauts cadres coloniaux nous disent ceci: « Cette année-là (en 1910) aboutirent les conventions, en cours depuis 1906, entre les Belges, les Anglais et les Allemands, dont la conclusion enlèvera au Rwanda tout le Bwysha[13], le Gishari, le Rucyuro, le Kamuronsi, l’île Ijwi, et la moitié occidentale du lac Kivu ».
Voici le sort que subirent ces chefferies de la part de l’administration coloniale belge.
Les chefferies de Jomba et du Bwishya
Les chefferies étaient placées sous l’autorité du prince Nyindo fils du roi Rwabugiri Kigeli IV du Rwanda dont la résidence était située au Bufumbira à Gisoro de l’autre côté de la frontière actuelle avec l’Uganda, l’administration directe était assurée par deux chefs Nshizirungu et Kabango.
En 1920, les chefs Nshizirungu et Kabango ainsi que leurs adjoints hutu Ntamuhanga et Bikamiro furent destitués par les belges au motifs qu’ils continuaient à rester loyaux envers le roi du Rwanda, et qu’ils résistaient à leurs ordres. Une grande partie de la famille de Kabango fut reléguée au Bas Congo, elle n’est jamais rentrée d’exil et n’a point laissé de traces. Les chefferies furent supprimées, et une nouvelle entité, le territoire de Rutshuru fut constitué de toutes pièces en chefferie sous l’autorité d’un ex détenu hutu, pure créature coloniale, sorti de la prison d’Irumu où il avait appris le kiswahili. À sa libération il devint coursier-planton et traducteur du kinyarwanda au kiswahili auprès des administrateurs coloniaux: cet homme s’appelait Daniel Ndeze dont le père Mburano originaire de la région de Ruhengeri au Rwanda était installé dans le Bwishya depuis une trentaine d’années.
Par l’expropriation et la torture le nouveau chef contraignit un très nombre de batutsi à traverser la frontière pour se réfugier aux Bufumbira en Ouganda, et d’autres vers le Gishari, de sorte que depuis cette date les batutsi de Rutshuru ont été marginalisés et ont perdu tout droit de représentativité au niveau de la chefferie[14], seules quelques personnalités ayant évoluées sous la protection des missions catholiques, ou en milieu urbain aux sein des partis politiques nationaux comme Cyprien Rwakabuba ou Herman Habarugira ont pu échapper à cette marginalisation qui a aujourd’hui abouti à une véritable épuration ethnique qui se maintient et se confirme plus que jamais.
La chefferie de Byahi
Celle-ci couvrait l’ancien territoire de Goma[15], elle était limitrophe de Rutshuru et Masisi, et était également connue sous le nom de Munigi, ces deux noms kinyarwanda signifient région de hautes savanes. Elle était dirigée par le chef Karera, nommé par le roi du Rwanda, et était administrée par le clan des Bagunga qui était influent à la cour du Rwanda. C’est d’ailleurs ce clan qui a donné le nom à la localité de Mugunga devenue célèbre à la suite de l’implantation du plus grand camp des réfugiés génocidaires rwandais en 1994.
En 1913, le chef Karera, qualifié de pro allemand, fut brutalement chassé par les troupes belges qui placèrent à la tête de cette chefferie un chasseur d’éléphants étranger à la province, d’ethnie kumu originaire de Lubutu, très loin à la frontière du Maniema et de la province orientale, il était porteur dans la colonne belge qui avait rejoint Goma. Cet homme s’appelait Mukunja fils de Nugunda et de Nyesiri[16], il fut baptisé Gahembe (corne en kinyarwandwa en référence à une petite corne qu’il portait en bandoulière, et dans laquelle il plaçait divers petits objets personnels). Il adopta définitivement ce nom kinyarwanda pour faire couleur locale et être facilement accepté, mais les belges rebaptisèrent d’autorité abusivement la nouvelle entité chefferie du Bukumu pour effacer les traces rwandaises, le nouveau chef prit épouse chez les bagunga notamment, et ses fils, Bigaruka et Nzabonimpa qui succédèrent, ainsi que Butsitsi étaient de culture kinyarwanda. Aujourd’hui sous le poids de la stigmatisation et de la persécution la peur a poussé les habitants de cette chefferie à se proclamer bakumu, c’est à limite risible si ce n’était dramatique car ils ne connaissent aucun mot ni aucune coutume kumu: il n’est point exagéré de dire que ce cas est l’archétype d’une véritable imposture.
Les chefferies du Gishari et du Kamuronsi
Situées en territoire de Masisi, celles-ci furent dirigées par les grands chefs Nturo, Rwubusisi, Semugeshi, le roi du Rwanda Kigeli IV Rwabugiri mort en 1895 avait une importante résidence à Kamuronsi et des troupeaux importants de bétail nommés « Imisagara » où de surcroit naquit son successeur Yuhi V Musinga en 1883. Ce dernier régna jusqu’en 1931 avant d’être exilé par les belges à Moba où il mourut en janvier 1944.
En 1923, les belges supprimèrent ces deux chefferies et enjoignirent aux populations d’accepter l’autorité du nouveau chef hunde André Kalinda qu’ils venaient d’installer, ou de retourner au Rwanda[17]. Très rapidement, les belges réalisèrent rapidement qu’ils ne pouvaient mettre en valeur le territoire avec le concours des hunde qui étaient excessivement peu nombreux, peu disposés au travail, et insaisissables en raison de leur mode de vie de chasseurs-cueilleurs nomades. C’est ainsi que les coloniaux furent contraints de se tourner vers le Rwanda pour y chercher la main d’œuvre, en contrepartie ils acceptèrent que les populations de la chefferie réhabilitée soit dirigée à nouveau par un chef munyarwanda comme par le passé. C’est ainsi que la chefferie du Gishari fut réhabilitée en 1937, son premier chef fut Joseph Bideri qui termina son mandat en 1939, il fut remplacé par Wilfrid Bucyanayandi dont:
- La politique d’autonomisation des populations à travers les coopératives agricoles,
- Le refus d’envoyer les enfants cueillir les feuilles de thé et les fleurs de pyrèthre au lieu d’aller à l’école,
- Le développement et la modernisation ambitieuse de l’élevage bovin qui entra en conflit direct avec la politique foncière du colonat belge (parce que concurrents),
Ils finirent par lui aliéner définitivement l’administration coloniale qui en 1957 le destitua et démembra purement et simplement la chefferie du Gishari en 1958 pour la disperser entre les chefferies des bahunde[18] beaucoup plus soumises, et infiniment moins conscientes du développement des populations et des entités administrées.
Cet acte fut le dernier clou enfoncé dans le cercueil des chefferies banyarwanda au Congo Belge à la veille de l’indépendance en 1958.
- La fragmentation territoriale de la province du grand Kivu post indépendance, les massacres de kanyarwanda, la rébellion muleliste et l’alibi des réfugiés rwandais
Au Nord-Kivu
En 1963, la compétition politique aux relents tribaux finit par aboutir à la fragmentation des six grandes provinces congolaises léguées par le colonisateur, elles passèrent à vingt-deux. Au Kivu, où l’unité des banyarwanda était encore une réalité palpable, les nande, hunde et nyanga cherchaient à créer une province du Nord-Kivu dans laquelle les banyarwanda seraient marginalisés, ces derniers plaidant pour un maintien dans ce qui était le Kivu Central s’y opposèrent en bloc. Dans le territoire de Masisi en particulier, le fait que la majorité rwandophone, face aux hunde et nyanga menaçait leurs prétentions et celles des nande à l’hégémonie en cas d’élections, suscitait la grande crainte des partisans de la fragmentation du Kivu car les hunde ultra minoritaires soulevaient avec une mauvaise foi évidente depuis 1960 la question de l’éligibilité des banyarwanda (étrangers selon eux), à tel point qu’ils en vinrent, au cours des années soixante-dix, à détruire par le feu toutes les archives coloniales de l’état-civil du territoire de Masisi alors que le chef hunde André Kalinda était administrateur de ce territoire[19].
L’intrusion de la rébellion muleliste dans la province en 1963-1964 fut le détonateur de ce conflit polico-ethnique. En effet, à cette époque le gros de la police était formé de nande qui déclenchèrent la chasse aux banyarwanda qualifiés pour la première fois d’étrangers, parallèlement la tyrannie et les exactions de l’autorité coutumière hunde déclenchèrent un mouvement de revendication connu sous le nom de kanyarwanda. En 1964, afin d’obtenir l’appui du gouvernement central, les autorités nande (Denis Paluku) et hunde (Muleyi Benezeti) avisèrent Léopoldville que ce mouvement venait en soutien aux rebelles mulelistes, le gouvernement Tshombe donna carte blanche à l’armée et à la police pour réprimer ce mouvement de revendication, il y eu des tueries à grande échelle[20], il y eut même une mutinerie désespérée au commissariat central de Goma quand le pouvoir nande voulu envoyer de force des notables tutsi de Goma au Rwanda[21] où le régime de ce pays se livrait à des massacres gigantesques contre les tutsi du Rwanda[22], le transfert échoua devant leur résistance.
Profitant, par ailleurs, de la présence des réfugiés rwandais venus par vagues en 1959-1960-1961-1963-1963, les autorités provinciales nande et hunde amalgamèrent les tutsi congolais avec les réfugiés rwandais partout dans leurs discours. La situation devint si grave que le HCR décida de mettre des milliers de réfugiés à l’abri en Tanzanie. Cet alibi de l’amalgame est encore invoqué dans de nombreux écrits et discours comme nous le voyons tous les jours.
Ce cauchemar prit fin en novembre 1965 avec la prise du pouvoir par Mobutu et la nomination de Léon Engulu comme gouverneur de la province réunifiée du Kivu qui ramena la paix.
Ce sanglant épisode de 1963-1965 marqua la rupture entre les banyarwanda d’une part, les nande, les hunde et nyanga d’autres part, et ces derniers n’ont cessé depuis lors de développer d’abord sournoisement et ensuite avec violence la thèse selon laquelle tous les banyarwanda seraient étrangers au Congo-Zaïre. Aujourd’hui, « le statut d’étranger » des batutsi congolais a été jumelé à celui « d’agents de la balkanisation » au bénéfice du Rwanda.
Il est tout de même démentiel de voir toute une ethnie pointée du doigt pour complicité supposée d’une soit disant balkanisation, alors qu’une organisation sécessionniste ayant pignon sur rue, dénommée « Kata Katanga », va jusqu’à organiser des actions armées contre l’État sans que cela ne suscite la moindre indignation, au contraire des députés nationaux katangais vont jusqu’à la soutenir publiquement sans que cela ne porte à conséquences.
Au Sud-Kivu
Avant 1964-1965, aucune personne de bonne foi n’avait jamais entendu parler de conflits entre les batutsi des hauts plateaux (aujourd’hui banyamulenge) et les communautés voisines bembe, rega, pfulero et vira. L’irruption des simba mulelistes dans leur région modifia la nature des rapports intercommunautaires lorsque ces tribus adhérèrent massivement à la rébellion muleliste, et qu’ils se mirent à piller le bétail des batutsi (banyamulenge) pour nourrir leurs bandes armées. Ces derniers s’y opposèrent et prirent contact avec la hiérarchie de l’armée nationale congolaise (ANC), qui avait été mise en déroute, pour obtenir les armes. Une fois bien armés, les batutsi-banyamulenge lancèrent une offensive victorieuse contre les forces mulelistes qui furent définitivement écrasées en 1966. Depuis lors, l’amertume de cette défaite a planté les racines de la haine et de la rancœur dans le cœur de ces tributs. C’est depuis cette époque que le mythe des batutsi-banyamulenge étrangers est né et qu’il a été solidement entretenu par un mubembe nommé Anzuluni Célestin qui fut à un certain moment président du parlement congolais, ainsi que par d’autres leaders tribaux rega, pfulero, vira et autres.
La fragmentation de la province du Kivu, le mouvement kanyarwanda, l’arrivée des réfugiées, l’impact au Nord et au Sud Kivu de la rébellion muleliste sont à coup sûr des facteurs déterminants ayant fortement influencé négativement les relations des batutsi avec les ethnies voisines ainsi que le traitement de la problématique de la citoyenneté des rwandophones de la RDC.
LES CAUSES RÉCENTES
- La succession de lois contradictoires sur la citoyenneté congolaise
La succession de nombreuses lois quelques fois contradictoires sur la nationalité a grandement contribué à semer la confusion dans les esprits, et surtout à favoriser les interprétations excessives et hostiles de la part des leaders tribaux du Sud et du Nord Kivu anti tutsi, il s’agit des cinq lois ci-après: (i) la loi fondamentale de 1960, (ii) la constitution de Luluabourg de 1964, (iii) la constitution de 1967, (iv) la loi n°002 du 05 janvier 1972, (v) la loi n°002 du 29 juin 1981.
- La convoitise des richesses des tutsi surtout du Nord-Kivu
Depuis l’introduction du kikuyu et des vaches laitières en 1953-1954 au Gishari par le grand chef Wilfrid Bucyanayandi, l’élevage s’est développé de manière spectaculaire au cours des ans dans le territoire de Masisi au sein de la communauté banyarwanda quasi exclusivement. Cette grande prospérité a provoqué une véritable rage de jalousie auprès des hunde, nyanga et nande qui ont, cette fois, soulevé la thèse des terres volées par les étrangers banyarwanda de manière constante durant des années au point de faire du parquet de Goma la juridiction la plus lucrative du pays en raison des centaines de procès intentés indûment qui rapportaient et rapportent encore aux magistrats en poste un pactole d’argent. C’est ainsi qu’en 1995-1996 à la suite du rapport Vangu et l’expulsion des tutsi, la première action de l’administration du Nord-Kivu a consisté à dresser une liste des biens sans maître, sous l’administration d’un hunde nommé Léon Lubenga, pour s’en emparer sans autre forme de procès. Le facteur « prédation » dans ce contexte contribue jusqu’à ce jour à alimenter, dans une certaine mesure, le feu de la controverse sur la nationalité.
- L’immixtion déstabilisatrice des services secrets du régime génocidaire de Kigali d’avant 1994.
Ce fut pratiquement le facteur le plus pernicieux et le plus dangereux qui a fini à la longue par plonger le Zaïre-RDC dans une guerre dévastatrice et dont les autorités zaïroises et congolaises n’étaient pas conscientes. En effet, les deux régimes génocidaires du Rwanda mis en place par les belges sous Kayibanda et Habyarimana avaient fait de l’idéologie anti-tutsi la politique phare du Rwanda, c’est à la lumière de cette politique que ces régimes surtout celui de Habyarimana avaient mis au point une stratégie de déstabilisation des tutsi congolais en vue: (i) de les discréditer politiquement en les faisant passer pour des rwandais réfugiés, (ii) de les appauvrir en détruisant leurs ranchs et leurs fermes, et, (iii) en leur imputant des complots montés de toutes pièces avec la complicité des agents zaïrois corrompus de la sécurité.
C’est dans ce cadre que l’organisation MAGRIVI regroupant les hutu congolais a été créée par les services secrets rwandais qui ont mis, également, en place à partir des années quatre-vingt une stratégie systématique de corruption des gouverneurs du Nord et Sud Kivu, des responsables de la sécurité et des autorités judiciaires des deux provinces, pendant que les militants du MAGRIVI se livraient à des multiples violences contre les intérêts tutsis. Les effets de cette politique ont culminé avec l’entrée en poste d’un ambassadeur du Zaïre à Kigali proche de Mobutu ayant travaillé pour les services de sécurité. En effet, celui-ci fera basculer le Zaïre dans une alliance funeste avec le régime génocidaire rwandais, à tel point que le Zaïre soutiendra militairement ce régime au cours de la guerre de 1990-1994, et accueillera, avec la complicité de la force française Turquoise, l’armée et les milices Interahamwe vaincues en leur prêtant son territoire comme base arrière pour des incursions vengeresses qui déboucheront sur la guerre de 1996-1997 et l’arrivée de J.D. Kabila au pouvoir. La force corruptrice du régime génocidaire avait fini par gangréné le pouvoir central de Kinshasa au point de le retourner contre les tutsi, à tel point qu’en 1994 il était devenu quasi impossible pour les tutsi de vivre dans la capitale et les autres villes du pays.
- La faute historique de la conférence nationale souveraine (CNS) et le rapport Vangu.
La Conférence Nationale Souveraine qui était sensée résoudre les questions de gouvernance du pays s’est laissée guidée par le discours haineux et ostraciste à l’encontre des banyarwanda et particulièrement des tutsi portés par les délégués du Kivu, au point que les ressortissants du Nord-Kivu et du Sud-Kivu parvinrent à faire chasser tous les délégués Banyarwanda, à l’exception de quatre hutu, de la CNS pour cause de « nationalité douteuse ».
Parmi les exclus, il y avait Cyprien Rwakabuba Shinga homme politique très connu de la scène politique congolaise et Mgr. Patient Kanyamachumbi secrétaire de la conférence épiscopale du Zaïre. Peu après ces événements, une commission parlementaire dépêchée dans la région du Kivu Présidée par le parlementaire Vangu Mambweni ma Busana va recommander le nettoyage du Congo de tout élément munyarwanda. Cette Commission va alarmer l’opinion en cultivant des peurs fantasmagoriques des tutsi qui prépareraient un « Royaume Hamitique » qui couvrirait le Rwanda, l’Ouganda, le Burundi, le Kenya, la Tanzanie et la RDC.
En application des recommandations de la commission Vangu, le parlement de transition vota une série de résolutions le 28 avril 1995 qui exigeaient l’expulsion sans conditions et sans délais de tous les banyarwanda congolais et la confiscation de leurs biens. Le crime de la CNS combiné au rapport Vangu constituent à coup sûr un des facteurs majeurs ayant contribué à la radicalisation de la querelle sur la nationalité.
- La guerre civile rwandaise de 1990-1994 et le génocide
Cette guerre fit basculer ouvertement le Zaïre officiel du côté de l’armée du régime génocidaire, et à partir de ce moment la vie de tous les jours devint un enfer pour l’ensemble des tutsi congolais et non congolais qui étaient poursuivis par la sécurité zaïroise en milieu urbain et les milices hutu Magrivi en milieu rural, ces tutsi rejetés de toutes parts soutinrent dès lors du fonds de leur âme le combat du FPR qui seul était en mesure de leur offrir une protection contre une extermination imminente avouée. Ce choix inévitable troubla des consciences congolaises de bonne foi, mais mal informées de la réalité tragique que vivaient les tutsi, et donna l’impression que ces derniers avaient choisi une fois pour toute une nouvelle patrie sans réaliser un seul instant que c’était le seul choix de survie qui s’offrait à eux.
- Les guerres rwando-congolaises 1996-1997 et 1998-2002
Comme nous le savons, le fait d’offrir à l’armée génocidaire et aux milices interahamwe rwandaises vaincues une base arrière au Zaïre pour des opérations de reconquête du pouvoir au Rwanda, de la part du gouvernement zaïrois et avec le soutien de la force française Turquoise, déclencha la guerre avec le Rwanda en 1996 qui fut désastreuse pour le Zaïre et provoqua la chute de Mobutu. Après l’installation de L. D. Kabila par la coalition victorieuse, la rupture de 1998 avec celle-ci et les hostilités qui en suivirent annihilèrent tout esprit et tout espoir de réconciliation.
En effet, en raison de la propagande intensive, violente, haineuse et incendiaire que L.D. Kabila lança contre les batutsi, aggravée par l’enrôlement des forces génocidaires hutu rwandaises dans l’armée congolaise et suivis des terribles massacres des tutsi à partir de mi 1998 jusqu’en 2001, la haine contre les batutsi devint l’axe principal de la politique de ce président.
Le résultat fut que cette haine autrefois circonscrite au seul Kivu s’est répandue dans les plus petits hameaux de la RDC au point qu’à ce jour rwandais ou tutsi est synonyme d’étranger malfaisant qu’il convient de tuer ou de chasser.
Aujourd’hui, malheureusement, c’est ce sinistre et dangereux fonds de commerce que Fayulu, Mozito, Ngbanda et leurs acolytes exploitent de toutes leurs forces pour servir à la fois leurs intérêts politiques, et déstabiliser le mandat de l’actuel président dans la perspective des prochaines élections présidentielles qu’ils espèrent remporter et régler, au passage leur compte aux tutsi, sans en mesurer les dangers comme Mobutu en 1994-1995.
Tels sont les événements géniteurs de cette problématique qu’est « la citoyenneté des rwandophones au Congo-Zaïre« , qui chaque jour gagne en intensité par l’action d’hommes politiques préoccupés par leur enrichissement personnel et, soutenus par des réseaux étrangers impatients d’en découdre avec certains états de la région.
Ce mal récurrent dont souffre la RDC me fait penser à l’Hydre de Lerne, à plusieurs têtes, de la mythologie grecque, dont les têtes repoussaient chaque fois qu’elles étaient tranchées, à l’instar des politiciens pervertisseurs qui s’emparent de ce thème funeste, à chaque occasion, pour tenter d’assoir leurs ambitions politiques.
Je demeure, pour ma part profondément convaincu que cette attitude, qui n’a apporté jusqu’ici que du sang et des larmes au Congo, n’est pas une fatalité pour notre pays, et que les congolais devraient saisir, à bras le corps, l’opportunité qui s’offre à eux aujourd’hui. En effet, après vingt-cinq ans d’une histoire agitée et sanglante, la RDC a, aujourd’hui, un président qui ne cherche à régler de compte avec personne, et qui vise plutôt, de toutes ses forces, à offrir à ses compatriotes: la paix, la concorde, la prospérité, la force, et la fierté d’être citoyens d’un pays merveilleux, les congolais devraient soutenir cet homme au lieu de se laisser séduire par les chants des sirènes de la haine.
Dr. Gaston Nganguzi Rwasamanzi
Consultant en gouvernance publique et privée
Expert de la région des Grands Lacs
[1] Responsable de la sécurité sous Mobutu, il fut, avec le soutien des forces françaises de l’opération Turquoise, un des principaux architectes de ceux qui avaient poussé à l’accueil et à l’alliance avec les forces génocidaires vaincues pour faire bénéficier le régime mobutiste discrédité des faveurs occidentales. A ce titre, il demeure un des principaux artisans de la guerre de 1996-1997 et de la chute du régime Mobutu qu’il cherche, depuis lors, à venger à travers sa campagne de mensonges tous azimuts.
[2] Qui depuis sa défaite aux présidentielles exploite un discours anti-tutsi virulent pour élargir sa base électorale.
[3] Il a été premier ministre de 2007-2010 et n’a rien fait pour empêcher le développement des troubles à Beni où il s’est pourtant, précipité en 2019 quand il n’était plus au pouvoir, ceci par pure démagogie dans le but de jouir d’une tribune favorable pour discréditer le Président Tshisekedi. Il s’est récemment singularisé, par ailleurs, par des propos irresponsables et comiques, en préconisant une guerre contre le Rwanda pour son annexion.
[4] Martin Fayulu invité surprise, avec Isidore Ndaywel, du fameux colloque sur la région des Grands Lacs au sénat français le 09/03/2020 avait été salué par les politiciens français organisateurs de ce colloque comme « le président élu de la RDC » en dépit de ses propos mensongers et scandaleux à l’égard des tutsi congolais.
[5] A cette époque on ne parlait pas encore de hutu ou de tutsi, les deux entités formaient une nation banyarwanda que les belges s’ingénieront et réussiront à détruire en 1959-1960.
[6] Les deux ont toujours été associés comme l’ont montré les recommandations de la commission Vangu en 1995
[7] (i) Stratégie de promotion du caractère « bantu » des bahutu comme marque d’identité avec les autres tribus congolaises par opposition aux nilotiques que seraient les tutsi, (ii) rupture agressive et bruyante avec les batutsi pour montrer leur différence, (iii) création du mouvement Magrivi outil de déstabilisation des batutsi par la violence, l’action politique et la propagande médiatique.
[8] Elle est née en raison de la loyauté persistante des chefs traditionnels banyarwanda envers la monarchie du Rwanda après le tracé des frontières, et s’est durcie à cause de l’attitude pro allemande supposée ou réelle de ceux-ci, et ensuite, elle s’est véritablement radicalisée en raison des conflits fonciers persistants entre les colons belges et les éleveurs batutsi auxquels on voulait retirer leurs terres pour y implanter des plantations ou des mines.
[9] L’exemple de Judi Rever chercheur canadienne illustre cette « école de pensée ». La violence de ses interventions anti-tutsi lors du colloque du 09/03/2020 au sénat français en est un des nombreux exemples.
[10] Il s’agit à n’en pas douter du refus des chefs Sebasaza, Muhire et Sebuhunga de signer le procès-verbal d’enquête d’expropriation des terres indigènes de la région d’Itombwe, refus qui vaudra à certain l’exil et la prison. Dans le même temps les autres ethnies prétendant aujourd’hui détenir le monopole d’être autochtones avaient cédé les terres pour une indemnité de 73.000 F.
[11] Weis, G (1959), Le Pays d’Uvira: Etude de géographie régionale sur la bordure occidentale du lac Tanganika, Académie Royale des Sciences Sociales, Mémoires in-80. Nouvelle série. Tome VIII, fasc. 5 et dernier Bruxelles.
[12] Omer Marchal, « Au Rwanda, la vie quotidienne au pays du Nil rouge », Ed. Didier Hatier, Bruxelles, 1987, p.14. Bourgeois, R. « Banyarwanda et Barundi », T.1, Bruxelles, IRCB, 1957, p.25.
[13] Orthographié tel quel dans le livre de référence.
[14] Le sort tragique de Munyazesa, un influent et riche noble de Jomba demeure le symbole de cette persécution. Pour avoir questionné la légitimité du pouvoir du nouveau chef Daniel Ndeze, il a subi l’acharnement de l’administration coloniale qui l’exila à plusieurs reprises en des lieux différents, et il mourut dans l’errance sans avoir jamais revu sa région de Jomba et les siens.
[15] Appelée alors Ngoma (tambour en kinyarwanda).
[16] Il était l’ami de Ruhunyenzi père de l’auteur Valens Kajeguhakwa: « De la terre de paix à la terre de sang: et après? » Editions Remi Perrin, 2001. p.111.
[17] Le Moniteur belge, édition du lundi 21 au mardi 22 août 1911.
[18] Mr. Jacques Gérard, ancien administrateur assistant du territoire de Masisi, revenu dans l’assistance belge technique à l’OFIDA en 1982-1984, m’avait confirmé qu’en plus de ces raisons, la hiérarchie coloniale avait décidé, en prévision du renversement brutal du régime politique au Rwanda en 1960, de ne pas permettre l’existence d’une base arrière potentielle où les tutsi du Rwanda se seraient repliés pour recréer leurs forces après leur expulsion sanglante programmée par l’administration belge. Ironiquement c’est d’Ouganda que viendra la reconquête et la libération 35 ans plus tard.
[19] Il est clair que l’existence de ces documents était une preuve flagrante de l’imposture d’une telle prétention, d’où leur destruction intentionnelle.
[20] Conférence Nationale Souveraine, Rapport de la commission des assassinats et violations des droits de l’homme, 1ère partie, Kinshasa, 1992, p.117. Maisons incendiées, pillages, massacres de villages, les soldats qui avaient en tête le mot « rebelles », ne devraient alors épargner personne. Au cours de sa comparution devant la Commission des assassinats et violations des droits de l’homme de la Conférence nationale souveraine, Monsieur Boji, ancien gouverneur du Kivu central, évoqua « l’ardeur » du gouverneur du Nord-Kivu de l’époque, Moleyi Benezeth, et des autorités territoriales de Goma, à arrêter de soi-disant « mulelistes » qui étaient en réalité des zaïrois d’origine tutsi. Selon Mr. Boji: « Beaucoup de détenus ont été jetés dans le Lac Vert après d’horribles tortures ».
[21] Il ne fait aucun doute qu’ils auraient été tués parcequ’ils étaient tutsi même s’ils avaient la citoyenneté congolaise, vu l’extrémisme du régime.
[22] Au moins 10.000 et 30.000 personnes furent massacrées à cette époque au Rwanda dans l’indifférence générale par une armée et une police encadrées par l’assistance technique belge.