Gouvernement Suminwa: un programme difficile à réaliser

On espère que le nouveau chef – la nouvelle cheffe? – du gouvernement et son équipe pourront « conduire la politique de la nation » pour mener à terme l’ambitieux programme. La corruption généralisée et le détournement des deniers publics vont constituer des freins. Le nouveau gouvernement s’est engagé à créer 6,4 millions d’emplois. Ce sont des sociétés privées qui créent des emplois. Peut-on avoir des industries sans électricité? L’offre d’énergie est actuellement déficitaire. Aucun barrage hydroélectrique important ne sera construit dans les 5 années à venir. Que dire du mauvais climat des affaires?

Gaston Mutamba Lukusa

C’est dans un discours fleuve de 67 pages que la Première ministre Judith Suminwa Tuluka a présenté, dans la nuit du 11 au 12 juin, devant l’Assemblée nationale, le programme quinquennal de son gouvernement. L’investiture a suscité un réel engouement de la part d’une population en pleine déshérence sociale qui espère que la Première ministre parviendra à juguler la crise multiforme qui frappe la RD Congo. Elle a fait un très bon diagnostic des maux qui rongent la société congolaise. C’est finalement ce que tout le monde fait depuis l’indépendance du pays en 1960. Mais il n’a jamais existé de réelle volonté politique pour remédier à la situation. D’aucuns estiment qu’il faut laisser à Madame Judith Suminwa Tuluka le bénéfice du doute et attendre de juger le gouvernement sur ses actes. Il faut cependant espérer qu’elle puisse jouir de l’effectivité du pouvoir pour mener à terme son programme. La corruption généralisée et le détournement des deniers publics vont constituer des freins. Il en est de même de la situation sécuritaire qui risque de demeurer inquiétante pendant plusieurs années. Il faut savoir que ce sont des sociétés privées qui créent des emplois.

Un programme très ambitieux

Le coût du Programme d’action du gouvernement 2024 – 2028 s’élève à 277.066,2 milliards de CDF, soit 92,9 milliards USD pour une période de cinq ans, soit un coût annuel moyen de 55.413,2 milliards de CDF. Il sera totalement couvert par des ressources étatiques et non étatiques du pouvoir central et des provinces ainsi que des entités territoriales décentralisées. Ce coût est énorme face aux moyens que peut dégager l’économie congolaise. Le programme d’action du gouvernement est structuré en six piliers qui sont susceptibles d’accélérer le développement économique et social du pays, en 56 axes stratégiques et en 326 actions, projets et réformes qui seront mis en œuvre par les ministères sectoriels. Les six piliers sont les suivants: I. Construire une économie diversifiée et compétitive pour créer plus d’emplois et protéger le pouvoir d’achat des ménages; II. Protéger le territoire national et sécuriser les personnes et leurs biens; III. Aménager le territoire national en vue d’une connectivité maximale; IV. Garantir l’accès aux services sociaux de base; V. Renforcer les capacités du Congolais pour participer à la construction du pays; VI. Gérer durablement et de manière responsable l’écosystème de la RD Congo face aux changements climatiques.

A certains égards, ces politiques apparaissent comme du copier-coller du programme d’action du gouvernement 2021-2023 du Premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde. Son programme prévoyait de construire un Etat fort, prospère et solidaire en marche vers son développement. Il comprenait 343 actions, sélectionnées en fonction de leur impact et de leur visibilité, parmi lesquelles certaines étaient jugées prioritaires et emblématiques. Mais au bout du compte moins de 5% des actions programmées ont été réalisés.

L’hémicycle du Palais du Peuple

Des projets irréalistes

Suivant le programme, le gouvernement va exploiter les niches d’emplois existantes pour créer un total de 6,4 millions d’emplois à l’horizon 2028 par le biais des six axes stratégiques. Il est cependant impossible de créer autant d’emplois en cinq ans même en intégrant le secteur informel au secteur officiel. Par cette politique, le gouvernement prévoit de créer 2,6 millions d’emplois. A noter que suivant l’Agence nationale pour la promotion des investissements (ANAPI), entre 2019 et 2023 soit cinq ans, plus de 300 projets ont été agréés aux avantages du Code des investissements. Le coût d’investissement global a été de 13 milliards de dollars et le nombre des emplois à créer était de 37.738 seulement. Il sera donc difficile de créer plus d’emplois dans les cinq années à venir. Il faut savoir que ce sont des sociétés privées qui créent des emplois. Bien plus, il ne peut y avoir d’industries sans électricité. Mais l’offre d’énergie est actuellement déficitaire. Aucun barrage hydroélectrique important ne sera construit dans les 5 années à venir. Le programme envisage seulement le lancement de cinq projets de parcs solaires dans chaque territoire.

En matière d’énergie électrique, le gouvernement compte seulement: I. Prendre des mesures urgentes relatives à la desserte en électricité à Kinshasa, Lubumbashi et Kisangani; II. Améliorer la productivité d’Inga I et II  en les portant à 1.300 MW grâce à la modernisation notamment des groupes d’INGA 2 (G23, G24, G25, G26); III. Finaliser et mettre en service les nouvelles centrales hydroélectriques (KATENDE, KAKOBOLA, etc.); IV. Rénover et étendre le réseau de distribution HT 72 kV de Tshikapa-Kamonya, Inga-Kolwezi, etc.. Il sera par ailleurs difficile d’importer le courant électrique à partir des pays voisins qui sont eux-mêmes confrontés à des pénuries d’électricité.

Enfin le moteur actuel de l’économie nationale est l’industrie extractive. Outre le fait que celle-ci crée très peu d’emplois, elle est aussi confrontée à la pénurie d’électricité. Que dire du mauvais climat des affaires qui influence négativement la création des entreprises? Il n’y a rien qui prouve que l’insécurité juridique et judiciaire disparaîtra dans le moyen terme et que l’administration publique sera plus efficace. Le gouvernement a l’ambition de créer une classe moyenne qui pourra contribuer à la création des richesses et à l’effort de développement national. Mais la bourgeoisie ne se décrète pas. Elle se construit à la force du poignet quand les conditions le permettent.

La desserte en eau potable est négligée alors que ce secteur est important dans la vie des populations. Pour régler la question de la pénurie d’eau potable, le gouvernement compte mettre en place l’Autorité de régulation de service public de l’eau. C’est du bricolage! Il déclare qu’il va poursuivre les efforts engagés, notamment dans les domaines de la réglementation et de la gestion du secteur de l’eau, au cours du quinquennat précédent. Or le gouvernement Sama Lukonde n’a rien fait à ce sujet. Les deux usines d’eau qui avaient été inaugurées à Kinshasa ont été financées par la Banque mondiale sur base des négociations menées du temps du Président Joseph Kabila. La population va donc continuer à mourir de soif.

Concernant l’agriculture qui est la base de tout développement économique, le gouvernement compte procéder à la modernisation et au développement des secteurs de l’agriculture, de la pêche et de l’élevage. Mais il y a un point important qui est ignoré, c’est la protection du secteur agricole national par des taxes supplémentaires face aux importations des produits subventionnés.

L’espoir est cependant encore permis

Le gouvernement prône la stabilité du cadre  macro-économique. Ceci va contribuer à la stabilité du taux de change et à la sauvegarde du pouvoir d’achat de la population. La coordination des politiques économiques va continuer à être au centre des préoccupations gouvernementales en conformité au pacte de stabilité. La politique budgétaire, ancrée sur le non-recours aux avances de la Banque centrale du Congo, va atténuer le niveau du déficit budgétaire. Il faudra alors rehausser les recettes de l’Etat, faire face aux pressions des dépenses sécuritaires et mobiliser des appuis budgétaires de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Les instruments monétaires seront utilisés comme par le passé pour juguler les pressions inflationnistes et de change.

Il reste encore á lutter contre la dollarisation de l’économie par des politiques appropriées. Suivant le programme d’action, le gouvernement maintiendra l’engagement de continuer à améliorer le bien-être social de la population. La gratuité de l’enseignement de base sera complétée par des efforts pour améliorer les conditions d’apprentissage des élèves et les conditions de travail des enseignants. Par ailleurs, il continuera à moderniser les infrastructures universitaires. La politique de « Couverture Santé Universelle » visant à garantir l’accès aux soins pour tous sera poursuivie.

Concernant toutes les guerres que nous connaissons, le gouvernement affirme vouloir chercher des solutions durables et mener des efforts dans le cadre du Fonds de Consolidation de la Paix. Suivant le programme d’action du gouvernement, la résurgence des attaques du M23 depuis 2021 a entraîné de nombreuses pertes en vies humaines et le déplacement des millions de Congolais vers la ville de Goma. Cette agression de l’armée rwandaise et des rebelles du M23 a conduit à la destruction des infrastructures essentielles, notamment des structures sanitaires, des écoles, des institutions religieuses et du Parc national des Virunga. Par ailleurs, il s’observe une montée des activités des autres groupes terroristes dans les territoires du Grand Nord-Kivu et dans le Sud de l’Ituri. La présence de groupes armés étrangers et locaux en Ituri, au Sud-Kivu, au Maniema et au Tanganyika a encore exacerbé l’insécurité et perturbé la coexistence pacifique de la population congolaise. Dans d’autres parties du pays, notamment le Mai-Ndombe, la Tshopo, le Maniema, l’espace Grand Kasaï et l’espace Grand Katanga, il persiste également des conflits intercommunautaires. Il est temps de procéder à des pourparlers, à des concertations, à des négociations. Une paix durable ne peut subvenir qu’à la suite de ces tractations.

Gaston Mutamba Lukusa

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