C’est donc le dernier jour, à quelques heures de la clôture du dépôt des candidatures, que le président inconstitutionnel depuis décembre 2016 a renoncé – sans l’annoncer formellement lui-même!- à briguer un troisième mandat. Il s’est contenté d’un service minimum: imposer son joker (un ersatz de « dauphin » exhumé en désespoir de cause), Emmanuel Ramazani Shadary, aux membres de sa coalition politique éberlués – eux qui piaffaient d’impatience pour se lancer dans une campagne électorale en faveur de leur « raïs ». Une renonciation au forceps à la suite d’une interminable partie de poker menteur devenue intenable, pathétique et insensée. Et pourtant! La larme des regrets à l’œil, les griots de son régime ont rejoué à toute une nation – sous les airs de la méthode Coué – le credo du respect de la Constitution.
Poker menteur, car aucun Congolais n’ignorait que le deuxième et dernier mandat de Joseph Kabila constituait une « cause d’empêchement définitif » (article 75 de la Constitution) qui ouvrait la vacance du pouvoir et ne lui permettait plus de se présenter. Poker menteur, car le chef de l’État hors mandat, « sa » majorité, « sa » Cour constitutionnelle et « sa » Commission nationale électorale « indépendante » (Céni) ont violé les prescrits constitutionnels. A tel point que, faute d’élection, un « nouveau Président élu » n’a pu prêter serment ni prendre ses fonctions « dans les dix jours qui suivent la proclamation des résultats définitifs de l’élection présidentielle » (article 74 de la Constitution). Poker menteur, car ce non-respect de la Loi fondamentale était devenu l’alibi politicien servant à prolonger le statu quo en attendant non pas « l’installation effective du nouveau Président élu » (article 70 de la Constitution), mais l’installation d’un président encore à… élire!
Toutes les manœuvres dilatoires furent mises en œuvre à cette fin: concertations nationales, dialogue de la cité de l’OUA, nomination – à deux reprises – d’un Premier ministre débauché dans l’opposition, etc. Poker menteur, car oubliant que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » (François Rabelais) les doctrinaires et autres « professeurs » d’université du système Kabila se sont échinés à fourvoyer l’opinion à coups d’arguties et autres hérésies juridiques soutenant la constitutionnalité d’un possible troisième mandat pour Joseph Kabila qui découlerait de la révision constitutionnelle du 20 janvier 2011.
Poker menteur, car cette dernière spécifiait des articles révisés. Tel est le cas de l’article 71 qui ramenait le mode de scrutin « à la majorité simple des suffrages exprimés » en un seul tour au lieu de deux, tandis que l’article 70, aux termes duquel « le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois », restait et reste intangible puisque verrouillé par l’article 220 qui stipule, notamment, que « la durée des mandats du Président de la République ne peut faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle »!
Poker menteur, car n’en déplaise aux vociférations de la nomenklatura kabiliste, les élections prévues le 23 décembre 2018 – en attendant, par ailleurs, leur déroulement réel – ne relèvent plus d’un processus conforme à la Constitution. Poker menteur, car la Constitution ayant déjà été violée par le président hors mandat et « sa » majorité, les enjeux et préalables pour des élections réellement libres, transparentes, équitables, apaisées et inclusives se trouvent dans l’application effective de l’Accord politique global et inclusif signé, sous l’égide de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), le 31 décembre 2016.
Hélas! La non-application intégrale de cet accord – singulièrement les mesures de décrispation restées lettre morte – ne plaide pas à suffisance pour la volonté d’organiser des élections un tant soit peu crédibles. Quand on y ajoute le refus de permettre à Moïse Katumbi de rentrer au pays pour déposer sa candidature, l’invalidation de celle de Jean-Pierre Bemba ou Adolphe Mozito, l’enregistrement et la validation comme « indépendant » (!) du candidat de la coalition kabiliste, l’acharnement suspect d’utiliser – en violation de la loi électorale – la fameuse « machine à voter », la non fiabilité du fichier électoral avec six millions d’électeurs fictifs – car enrôlés sans empreintes digitales, les « contraintes sécuritaires, financières, logistiques et techniques » soulevées par la Ceni elle-même, il va sans dire que le poker menteur de Joseph Kabila continue…
Il nous suffit de rappeler ses propos sibyllins tenus, le 17 août dernier, au sommet de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC): « Je ne vous dis pas au revoir, mais à bientôt ». Mais pour quoi faire qu’il n’a pu accomplir depuis janvier 2001?
Par Polydor-Edgar Kabeya
Juriste
Consultant en médias et communication
Rédacteur en chef de la revue « Palabres » (Éditions L’Harmattan, Paris)