« Le contrôle de la constitutionnalité des décisions judiciaires, pourvues ou non, de l’autorité de la chose jugée: compétence ou incompétence de la  Cour constitutionnelle en RDC »?

Introduction

R. T. Ipala Ndue Nka

Siégeant, vendredi 31 mai 2024, en matière d’interprétation et de contrôle de constitutionnalité, la Cour constitutionnelle a annulé l’arrêt du Conseil d’Etat relatif à l’élection du Gouverneur et de Vice-Gouverneur de Province du Kongo- Central.

Saisis de la question, les médias en ont fait leurs choux gras au point que l ‘unanimité scientifique s’offusque de cette énième bavure judiciaire après, bien entendu, celle de l’élection des Gouverneurs et Vice-Gouverneurs des Provinces de Mongala, de Maniema et de la Tshopo s’attaquant aux arrêts du Conseil d’ Etat rendus, respectivement, le 27 mai et le 02 juin 20022.

Dans cette perspective, Pr. Auguste Mampuya Kanunk’ a Tshiabo n’a  pas tardé à passer au peigne fin, au titre de réquisitoire, cette jurisprudence de la Cour, forgée, pour le besoin de la cause. Elle porte  sur le contrôle de la constitutionnalité pour annulation des jugements et arrêts des cours et tribunaux. Il en conclut  à l’incompétence de la Cour au motif que ni la Constitution de 2006 ni la loi organique no 13-026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle concernant le contrôle de la constitutionnalité des lois et des actes ayant force de loi n’en dispose. (A. Mampuya Kanunk’a Tshiabo, « Sous la houlette de la Cour constitutionnelle, une jurisprudence qui ne peut faire jurisprudence »,  éditions R. Descartes,  Kinshasa, 2023,  pp. 119 et suivant).

Mais le séisme continue de poursuivre sa trajectoire et sévit davantage à telle enseigne qu’il a atteint les sommets sur l’échelle de Richter. Une crise profonde et inédite: la haute Cour s’enlise dans les hérésies judiciaires sous les regards incrédules tant des praticiens de droit que des justiciables. Or il est généralement acquis que la justice et la bonne, élève la nation. Dans notre note d’observations juridiques sous l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle, le 18 novembre 2022, à l’appréciation en constitutionnalité, nous avions apporté des précisions non les moindres sur la compétence dévolue, exceptionnellement, à la Cour constitutionnelle en ce qui concerne le contrôle exercé par elle sur les arrêts des cours en RDC.

Il s’agit des conflits d’attribution entre les ordres des juridictions judiciaire relevant de la Cour de cassation et administratif du Conseil d’Etat en vertu de l’article 161 alinéa 4 et 5 de la Constitution, 65 et suivants de la loi organique du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle. Les motifs y justifiant doivent être les suivants, à savoir: les deux hautes cours doivent voir déclarée toute une juridiction de l’ordre judiciaire et une juridiction de l’ordre administratif compétente ou incompétente pour connaitre d’une même demande mue entre les mêmes parties, et qu’en outre l’exception d’incompétence a été soulevée par devant la Cour de cassation ou par devant le Conseil d’Etat estimant que la demande relève en tout ou en partie de l’autre ordre.(Emmanuel-Janvier Luzolo Bambi Lesa,« Traité de droit judiciaire », PUC, Kinshasa, 2018, no 589, p. 380; R. T. Ipala Ndue Nka, « Note d’observations sous arrêt, C. Const, RConst, 1830, Equity Banque Commerciale du Congo, SA », 18 novembre 2022, Rev, de Dr. Afric, no 105-2023, pp. 118 et suiv).

Aussi, la Cour constitutionnelle n’est pas habilitée à étendre, de son propre chef, sa compétence matérielle sur les décisions judiciaires rendues par les cours et tribunaux de la République même s’il se révèle que l’acte déféré ne relève de compétence matérielle d’aucun autre juge, et que le requérant invoque la violation d’un droit fondamental auquel la Constitution accorde une protection particulière. Il s’agit ici de la compétence résiduelle ou additionnelle à laquelle la Cour tente d’apporter une solution appropriée sous prétexte de la suprématie des règles constitutionnelles sur les autres règles de droit notamment les traités et conventions internationaux dûment ratifiés, la loi, la coutume et, les règlements et ce, en vertu des articles 153 alinéa 4 et 160 de la Constitution. Il est entendu que la Cour considère les décisions judiciaires rendue par les cours et tribunaux comme une norme juridique comme le serait un acte administratif, au-dessus de laquelle, dans la hiérarchie des normes, se trouvent le Règlement et la loi et donc, susceptible d’être déférée à sa censure afin de procéder au contrôle de la constitutionnalité (C.Const, RConst, 1800, 22 juillet 2022, Rev, de Dr. Afric, non 103-2022, pp. 293, 209 et 306; C. Const, 1830, 18 novembre 2022, Rev, de Dr. Afric, no 105-2023,  pp. 100 et suiv.).

I Discussion en droit

Quelle que soit cette suprématie constitutionnelle y vantée pour justifier a contrario la compétence de la Cour constitutionnelle en la matière, nous disons que la Constitution ne renferme que des normes primaires énonçant, seulement, des principes généraux du droit à suivre ou toutes règles qui prescrivent une conduite à tenir dans la société, ce qu’il faut faire ou ne pas faire . En revanche, les règles législatives ou règlementaires sont celles dites secondaires édictant des sanctions au cas où la norme primaire serait violée (Matadi Nenga Gamanda, « Eléments de philosophie du droit », édit, Droit et idées nouvelles, Kinshasa, 2013, p. 63).

Quant à considérer les décisions judiciaires comme la norme juridique au même titre qu’un règlement susceptible d’être déféré à sa censure aux fins de contrôler la constitutionnalité avec effet d’annulation, notre opinion est que la norme est un terme scientifique employé, parfois, dans une acception générale comme équivalent de la règle de droit qui évoque, non pas, l’idée de normalité, ni celui de rationalité ou de type convenu mais spécifiquement de valeur obligatoire attachée à une règle de conduite, et qui offre l’avantage de viser, d’une manière générale, toutes les règles présentant ce caractère quelle qu’en soit la source de droit.. (G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, Paris, 2000, p. 578).

Même le principe moral relatif à l’idéal de l’état de droit dont la Cour s’en prévaut, le 18 novembre 2022, dans l’affaire Equity Banque Commerciale du Congo, SA, il ne tient pas la route. L’emprunt, par elle, de telles valeurs, soit philosophiques, soit religieuses, soit morales est biaisé. Car, autour de la règle formelle de droit écrit, délimitant  le champ des droits et obligations de tout citoyen sous peine des sanctions lorsqu’il y a violation, bouillonne tout un monde, certes, des principes, des directives, des standards comme une sorte de super-légalité au premier rang desquels se trouve le concept de l’idéal de l’Etat. Celui-ci tient plus aux règles de la morale. Sur le sens et la portée, les différentes législations qui en ont admis sont loin d’être d’accord sur cette conception. (J. C. Kotsakis, « L’abus de droit », RCA, ENA, Kinshasa, 1969, p. 15).

A titre comparatif, il s’observe que même en droit judiciaire belge, si contrôler, c’est vérifier, force est alors de constater, à la différence de l’Allemagne et de l’Espagne, ni les jugements et arrêts rendus par les juridictions: cours et tribunaux de l’ordre judiciaire, ni de l’ordre administratif ne peuvent faire l’objet des recours auprès de la Cour constitutionnelle et ce, en annulation pour cause d’inconstitutionnalité. A preuve, dans son arrêt no 06-89 du 15 mars 1989, la Cour constitutionnelle belge a eu à constater, avec pertinence, que le requérant en annulation du jugement rendu, le 05 octobre 1987, par 45ième chambre correctionnelle du Tribunal de 1ière instance de Bruxelles, ne relève pas de sa compétence. Il serait ainsi difficilement justifiable d’étendre le périmètre d’action de la Cour constitutionnelle aux décisions juridictionnelles sans englober les autres actes d’application de la loi, à savoir: les décisions administratives (M. Verdussen  cité par A. Mampuya Kanunk’a Tshiabo, op. cit, p. 138.).

A la lumière de ce qui précède, nous soulignons, pour confirmation, l’argumentation sus développée tirée du déclinatoire de compétence de la Cour constitutionnelle qui, du reste, peut l’être d’office de sa part  en ce qui concerne le contrôle de la constitutionnalité des décisions de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif avec effet d’annulation. Mais, au-delà de la pertinence de cette opinion, force n’est-elle pas de relever que l’article 115 de la loi organique du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle prescrit l’alternative suivante:

« A la requête du Ministère public ou de la partie la plus diligente, toute juridiction de l’ordre judiciaire ou d’ordre administratif est tenue de rétracter toute décision même coulée en force de chose jugée, rendue en application de tout acte législatif ou règlementaire déclaré inconstitutionnel ou en application de tout règlement pris en exécution de tel acte. La décision rendue dans ce cas n’est susceptible d’aucun recours ».

S’inscrivant dans le droit fil du titre VI de la loi du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle en ce qui concerne des effets des décisions de la Cour constitutionnelle, la mission de la haute Cour, en l’espèce sous examen, consiste uniquement à déclarer la décision lui déférée inconstitutionnelle, ou pas, sans effet d’annulation. Dans le cas de la déclaration positive, il appartient à la partie la plus diligente de solliciter la rétractation devant la juridiction de la décision entreprise. La décision rendue est sans recours en vertu de l’article 115 de la loi susmentionnée.

II Conclusions

Ainsi donc, la Cour constitutionnelle a mal dit le droit en procédant à l’appréciation de l’inconstitutionnalité de la décision de justice lui déférée en l’occurrence l’arrêt du Conseil d’Etat avec effet d’annulation.

Il nous semble légal, pour elle, de procéder toutes affaires cessantes au revirement de fond en comble de sa jurisprudence en la matière, et de n’ y accéder à l’avenir qu’en cas de la déclaration d’inconstitutionnalité de la décision de justice aux fins de sa rétractation devant le juge dont décision entreprise.

R. T. Ipala Ndue Nka
Directeur Juridique honoraire à la GECAMINES/BRUXELLES
Membre du Comité scientifique de la Revue de Droit Africain
Conseiller honoraire à la Cour d’Appel de Matadi

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