Sous d’autres cieux, la vue d’une personne en uniforme de policier ou de militaire rassure et suscite un sentiment de sécurité. Au Congo-Kinshasa, c’est le contraire. Depuis la nuit des temps, les Zaïro-Congolais ont peur. Ils ont peur du policier appelé pompeusement « agent de l’ordre ». Ils ont peur également des individus en tenue militaire. Ici, il n’y a pas que l’uniforme qui provoque la frayeur. Il y a aussi le fameux AK47. Le redoutable Kalachnikov.
A en croire certains « politistes », tout être humain investi d’une parcelle de pouvoir est tenté d’en abuser. Histoire de faire sentir à l’autre le poids de son autorité. Les policiers et les militaires ne font qu’appliquer cette règle non-écrite.
En France et en Belgique, la durée de formation d’un gardien de la paix ou d’un policier est respectivement de 8 mois (plus un stage d’un total de six semaines) et de 12 mois et six mois de stage. Les candidats sont préalablement soumis à une rigoureuse pré-sélection. Quelle est la durée de formation d’un policier ou d’un militaire Congolais? Dieu seul le sait.
Les Congolais ont encore frais en mémoire le spectacle ubuesque offert par des ex-combattants des mouvements politico-militaires. Des formateurs de l’armée belge avaient demandé à ces derniers de poser quelques actes élémentaires consistant à démonter et à remonter une arme. Une « mission impossible » pour ces « pistoleros ». Ce n’est pas de leur faute. On ne leur appris qu’à appuyer sur la gâchette.
D’aucuns pourraient gloser que les réalités congolaises ne peuvent être comparées à ce qui se passe en France ou en Belgique. Erreur. Erreur parce que ces deux nations nous servent généralement de modèles, de référence. Les Congolais n’ont-ils pas le droit d’aspirer à l’excellence?
Ces dernières semaines, des éléments de la « force publique » (l’armée et la police) du « Congo démocratique » ont défrayé lamentablement la chronique. En cause, ce que Floribert Chebeya appelait « la culture de la gâchette facile ». Des policiers et des militaires ont « noirci » davantage l’image de leur noble métier jetant l’opprobre sur leurs collègues qui exécutent leur mission avec professionnalisme et dans le strict respect des lois et des règlements.
Le samedi 24 juillet, Honoré Shama Kwete, étudiant en deuxième graduat à l’université de Kinshasa, est abattu. L’auteur présumé du meurtre est le policier Maya Malemba. Ce jeune homme n’a commis ni crime ni délit. Il participait à des « travaux pratiques » dans le cadre du cours de cinéma. Après un échange verbal sans doute vif, des coups de feu retentissent. Le jeune homme s’effondre, victime de la folie humaine.
Une tragédie tout aussi stupide a eu lieu le mercredi 28 juillet. Le sous-commissaire Kayala a été tué « malencontreusement » par l’officier de police Kalenda Ntumba. A l’origine du drame, il y a l’interpellation d’un citoyen dont le « crime » est d’avoir omis de porter le fameux masque anti Covid-19.
Comme si tous ces événements tragiques ne suffisaient pas, on apprenait, mardi 20 août, qu’un soldat « en état d’ivresse » a abattu deux de ses collègues. Les faits ont eu lieu dans le secteur de Ruwenzori, au Nord-Kivu. Où étaient passés les fameux « PM » (Prevoté militaire) chargés de veiller au maintien de la discipline au sein de la force publique?
La police et l’armée ont principalement pour mission la préservation de la paix civile et la tranquillité publique. Il s’agit de permettre à chaque citoyen de jouir de sa liberté dans le respect des lois et surtout sans nuire à la liberté d’autrui. Quel est le problème?
Et si le problème découlait d’une « double ignorance »? D’un côté, des citoyens ignorent leurs droits. Peut-on jouir d’un droit dont on ignore l’existence? De l’autre côté, des agents de la « force publique », peu éduqués, sous-payés, formés de manière rudimentaire. Pire, ils ne savent ni les contours de leur mission encore moins les limites de leur pouvoir.
Que faire? « Mon peuple périt par ignorance », dit l’Evangile. « L’initiation à la citoyenneté » qui est fredonnée ici et là devrait cesser d’être un simple slogan pour devenir un cours d’éducation civique. Et pourquoi pas un cours d’ « initiation politique »? Il s’agit de permettre aux citoyens de connaitre, dès l’école secondaire, leurs droits autant que leurs devoirs. Cette éducation civique devrait s’étendre aux membres de la force publique. Il s’agit d’apprendre à ces derniers de ne plus interdire ce que la loi n’interdit pas. Et partant, libérer le Congolais de la peur des hommes en uniforme.
Baudouin Amba Wetshi