L’espoir du gouvernement congolais est de voir le pays devenir un gros acteur sur le marché des énergies fossiles à l’instar du Nigéria ou de l’Angola.
Le 28 juillet, le président Félix Antoine Tshisekedi a procédé au lancement à Kinshasa de 30 appels d’offres dont 27 blocs pétroliers et trois blocs gaziers. La loi sur les hydrocarbures (Loi n° 15/012 du 1er août 2015 portant régime général des hydrocarbures), a instauré une procédure spécifique d’appel d’offres pour l’attribution des droits d’hydrocarbures différente de la procédure organisant les marchés publics. Suivant son article 33, « Les droits d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures sont accordés en vertu d’un contrat de partage de production ou un contrat de services par bloc à la suite d’une procédure d’appel d’offres, conformément aux dispositions de la présente loi et du règlement d’hydrocarbures… ». Le processus de ces appels d’offres s’étalera sur une période de six mois pour l’attribution des blocs pétroliers et de trois mois pour les blocs gaziers.
LES BASSINS SÉDIMENTAIRES
La valeur des gisements fossiles mis aux enchères est estimée à 22 milliards de barils de pétrole brut et à 66 milliards de normo-mètres cube de gaz dissous dans les eaux du lac Kivu. L’espoir du gouvernement est de voir le Congo-Kinshasa devenir un grand acteur sur le marché des énergies fossiles à l’instar du Nigéria ou de l’Angola. Les blocs gaziers sont situés dans le lac Kivu alors que les blocs pétroliers se répartissent entre le Bassin Côtier, le Bassin de la Cuvette Centrale et les Bassins de la Branche Ouest du Rift Est-Africain. Les blocs concernés sont repartis de la manière suivante: trois dans le Bassin côtier, neuf dans la Cuvette centrale, onze dans le Graben du Tanganyika et quatre dans le Graben Albertine. Sur ces trois Bassins, un seul est déjà en production. Il s’agit du Bassin côtier situé dans la province du Kongo Central où le pétrole est exploité on shore et off shore. Le Bassin côtier couvre une superficie estimée à 5.992 km² dont 4.980 km² à terre et 1.012 km² en mer.
Des experts estiment que la production de ce Bassin qui est en stagnation pourrait être complètement épuisé dans une quinzaine d’années alors que les pays voisins tels que le Congo-Brazzaville et l’Angola enregistrent un accroissement important de leur production de pétrole. Les prospections dans le Bassin côtier ont commencé vers 1950 et la première production a été inaugurée le 27 novembre 1975 dans sa partie off shore. C’est un 1980 que va débuter la production on shore (en terre ferme). La production qui était de 0,025 millions de barils en 1975 va atteindre un plafond de 12 millions de barils en 1985 pour décliner à 8 millions de barils en 2021. Pour faire face au déclin de la production, les sociétés d’exploitation s’adonnent régulièrement à des campagnes sismiques en vue de découvrir de nouveaux champs pétroliers ou utilisent des techniques modernes de récupération secondaire d’huiles. Quant au Bassin de la Cuvette centrale qui couvre environ 800.000 km2, les premières études géologiques furent entreprises en 1953. La région étant couverte de marécages et de forêts, il se pose toujours des difficultés logistiques pour l’acheminement du matériel et l’enlèvement de la production. Mais à la longue, la hausse des prix du pétrole pourrait rendre rentable la production. Les Bassins de la Branche Ouest du Rift Est-Africain couvrent près de 38.000 km2. Il est formé de deux secteurs: un secteur Nord (Graben Albertine) partagé entre la RD Congo et l’Ouganda et le secteur Sud (Graben du Tanganyika), partagé entre la RD Congo, le Burundi, la Tanzanie et la Zambie. Dans le secteur Nord, aux environs des Lacs Albert et Edouard, des forages ont révélé des indices importants de pétrole. L’exploitation va nécessiter la construction d’un pipe-line qui irait de la province de l’Ituri au Kenya ou en Tanzanie via l’Ouganda. C’est là que se situent les deux blocs pétroliers que la société Ventora Development de Dan Gertler a restitués, en février, au Congo-Kinshasa.
DÉSASTRE ÉCOLOGIQUE?
Des ONG environnementales, notamment Greenpeace se sont farouchement opposées à la vente des blocs pétroliers et gaziers. Une pétition avait été signée par plus de 100.000 personnes. Cette pétition qui a été lancée au début du mois de juillet, demande au président Félix Tshisekedi de mettre fin à l’exploitation de nouveaux champs pétroliers et gaziers dans le pays. Elle fut remise, le 25 juillet, par des militants de Greenpeace Afrique au cabinet du Président de la République. Dans une lettre du 19 juillet envoyée aux compagnies pétrolières et gazières d’Afrique, d’Europe et des États-Unis, Greenpeace met aussi en garde les plus grandes compagnies pétrolières et gazières du monde quant à leur participation à ladite vente aux enchères. Elle « met l’alerte au rouge contre cette vente aux enchères qui va avoir lieu, au détriment de la biodiversité et du climat mondial. Cette vente aux enchères massive, à laquelle d’ailleurs les communautés locales s’opposent farouchement, chevauche des tourbières riches en carbone et plusieurs zones protégées ».
Pour Greenpeace, il y a 12 blocs pétroliers qui chevauchent les zones protégées. Selon certains experts environnementaux, quatre blocs chevauchant des tourbières stockent 5,8 milliards de tonnes de carbone, soit l’équivalent de plus de 15% des émissions mondiales de CO² liées à l’énergie en 2021. Pour l’Agence internationale de l’énergie, tout nouveau projet de combustible fossile aujourd’hui compromettrait l’atteinte d’émissions nettes nulles d’ici à 2050 et cette vente aux enchères serait particulièrement toxique. Cependant, suivant le gouvernement, aucun des blocs pétroliers et gaziers à mettre aux enchères ne se trouve dans des zones protégées.
Pour M. Tosi Mpanu Mpanu, expert congolais en énergies renouvelables et en développement durable, « l’objectif de ces appels d’offres n’est pas de saccager les ressources écologiques vitales pour les communautés et la planète, mais assurer d’une part l’indépendance énergétique du pays et d’autre part de créer des opportunités dans des secteurs porteurs de croissance et doter le gouvernement des moyens de sa politique de réduction de la vulnérabilité socio-économique et de la pauvreté. La forte dépendance aux ressources pétrolières étrangères met le pays dans une situation très délicate. La subvention des produits pétroliers qu’assure le gouvernement congolais pour ne pas suffoquer le peuple, ne fait que réduire les moyens de financement de l’amélioration du bien-être de la population ».
LES BESOINS LÉGITIMES DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE
Au cours d’une conférence de presse tenue le 26 juillet, le ministre des Hydrocarbures, Didier Budimbu, affirmait: « Je pense que 100.000 signatures contre 100 millions d’habitants, le choix est clair. L’option que nous avons prise c’est celle de pouvoir améliorer le quotidien des Congolais à travers son économie… »
L’envolée actuelle des prix du pétrole fait des heureux parmi les pays producteurs. Le Congo-Kinshasa aurait pu compter parmi les nouveaux riches si sa production de pétrole était importante. Ce n’est malheureusement pas le cas. Pour le gouvernement, il est inacceptable que ce secteur qui peut jouer un rôle important dans l’économie du pays ne soit exploité qu’à concurrence de 4,5% de son potentiel. Selon les estimations du gouvernement, les hydrocarbures contribuent à seulement 6% du budget national. Ce chiffre peut être porté à 40% des recettes budgétaires si les nouveaux gisements sont exploités. Le projet vise donc à augmenter la production nationale des énergies fossiles et à améliorer les recettes de l’État. Il ne faut cependant pas se faire trop d’illusions. Ce n’est pas demain que les investisseurs se bousculeront au portillon. La prise de position de Greenpeace sur cette vente aux enchères décourage la plupart des investisseurs sérieux et importants. De ce fait aucun des majors ne va participer à cette opération. Il ne reste plus que des juniors qui se comportent en mercenaires.
A ceci, il faut ajouter le mauvais climat des affaires, l’insécurité, qui règne dans plusieurs zones où des blocs sont proposés et enfin, le manque d’infrastructures qui pose des difficultés logistiques pour l’acheminement du matériel d’exploration et de forage. Il faudra aussi découvrir des voies d’évacuation de la production. Ce qui demande des investissements colossaux. Une autre difficulté provient des réserves annoncées. Elles sont juste estimées. Ce ne sont pas des réserves prouvées et certifiées qui s’obtiennent après une campagne sismique. Même dans le cas où une société pétrolière manifestait un certain intérêt pour l’acquisition des blocs mis aux enchères, il faudra plusieurs années avant d’avoir la première production. Ce n’est donc pas demain que les caisses de l’Etat seront pleines.
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Gaston Mutamba Lukusa