Le Congo ex-Zaïre et le Rwanda: errements de la communauté internationale

« Les États n’ont pas d’amis; ils n’ont que des intérêts »
– Charles De Gaulle –

Polydor-Edgar Kabeya

En date du 14 février 2023 nous avons publié, sous le titre: « Le Congo ex-Zaïre et le Rwanda: il était une fois l’AFDL« , le premier « flash back » visant à décrypter succinctement l’insécurité qui, depuis une trentaine d’années, ravage l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) devenu le terrain de rodéo des rebellions – principalement fomentées à partir des pays voisins – et des groupes armés congolais ou étrangers. Avec son lot de morts, massacres, viols, violations des droits humains et déplacements quasi permanents des populations. Avec la complicité de certains citoyens de la RDC à tous les niveaux: politiciens (au pouvoir ou dans l’opposition), militaires et civils, société civile, entreprises d’État ou du secteur privé, femmes ou hommes d’affaires, comme l’atteste l’inculpation de tel conseiller à la présidence, de tel officier de l’armée, de tel député ou de tel quidam pour « trahison », « association de malfaiteurs » ou « atteinte à la sûreté de l’État ». « Le Congo ex-Zaïre et le Rwanda: errements de la communauté internationale » constitue le deuxième volet de ce « flash back ».

Les multinationales à l’assaut

Depuis ce qui est devenu, pour les observateurs et médias occidentaux, « La première guerre du Congo » (fin 1996 à début 1997), la communauté internationale – sous ses multiples casquettes – a brillé par son attentisme, son désintérêt, son louvoiement et ses errements. En dehors de sempiternelles rengaines du style « Nous appelons les parties en conflit à la retenue et à la désescalade », la fameuse communauté internationale regardait ailleurs. Ou, plutôt, elle avait les yeux rivés sur les opportunités et intérêts qu’elle pouvait tirer de cette situation de chaos d’un État désormais sans boussole. Chassé du pouvoir par des « rebelles congolais » soutenus – entre autres pays – par le Rwanda et l’Ouganda, le Zaïre du maréchal-président Mobutu Sese Seko n’était plus qu’un no man’s land dans lequel l’adage « Trade not aid », « Le commerce et non l’aide », « Le négoce et non l’assistance » se déclinait de manière effrénée.

Lorsque l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre) s’empare du pouvoir, les multinationales qui avaient signé des contrats miniers avec celui qui n’était encore qu’un « rebelle », Laurent-Désiré Kabila, n’hésitent pas à saisir la perche – ou plutôt la carotte – tendue. L’AFDL venait, en effet, de déclarer « caducs », « nuls et non avenus » ou, tout simplement, « inexistants » tous les contrats conclus sous le Zaïre de Mobutu pour les remplacer par ceux de la « révolution » ou de la « libération » (« Les transactions minières à l’assaut du Zaïre comme du Congo », Info-Zaïre, bulletin d’information publiée par La Table de concertation sur les droits humains au Zaïre, Montréal 23 mai 1997). Les « libérateurs » du 17 mai 1997 avaient grandement besoin de liquidités pour financer leur « rébellion » et effectuer leurs dépenses urgentes tel que le paiement des premiers salaires. C’est ainsi que, lors de sa prise de pouvoir, le groupe canado-suédois Consolidated Eurocan Ventures verse immédiatement 50 millions de dollars à l’AFDL (« La libération du Congo dans le contexte de la mondialisation », Stefaan Marysse, Anvers, novembre 1997).

Le Zaïre piégé par l’Opération turquoise

Ce no man’s land qu’était devenu le Congo ex-Zaïre tire l’une de ses racines dans l’ « Opération turquoise » autorisée par le Conseil de Sécurité de l’ONU aux termes de sa résolution 929 du 22 juin 1994 à l’initiative de la France qui soutenait le régime de Juvénal Habyarimana. Ce dernier est assassiné le 6 avril 1994 par un tir de missile qui abat son avion (à bord duquel se trouvait également le président burundais Cyprien Ntaryamira) qui s’apprêtait à atterrir à Kigali. Cet attentat est considéré comme le déclencheur du génocide qui se déroule du 7 avril au 17 juillet 1994.

Censée être un couloir humanitaire pour assurer la sécurité et la protection des populations civiles rwandaises qui fuyaient, vers l’Est de la RDC, l’avancée inexorable du Front patriotique rwandais (FPR) dirigé par Paul Kagame l’ « Opération turquoise » fut également une véritable passoire pour les ex-FAR (Forces armées rwandaises) de Habyarimana ainsi que les « Interahamwes », accusés ou soupçonnés de génocide, qui se mêlèrent aux réfugiés en emportant sans grande peine leur arsenal militaire. Un prétexte tout trouvé – depuis lors jusqu’à maintenant – par Paul Kagame pour s’autoriser des incursions armées sur le sol congolais soit avec ses propres troupes, soit par « rebelles congolais » interposés, en vue de démanteler les camps de ces Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) désormais installées sur le sol congolais.

Tel fut le cas du massacre de Tingi Tingi pris d’assaut par les « rebelles » de l’AFDL et l’armée rwandaise. Un massacre qualifié de « détail » par Laurent-Désiré Kabila dans une interview accordée au quotidien belge Le Soir. Un « détail » bien macabre qui aurait fait, entre février et mai 1997, 190.000 morts selon Médecins Sans Frontières, entre 100.000 et 300.000, selon l’avocat américain Reed Brody, membre d’une équipe de vingt enquêteurs désignés par le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, qui s’était rendue sur place quelques mois plus tard. Des massacres perpétrés dans l’indifférence de la « communauté internationale » et de l’administration américaine sous Bill Clinton à cause de la « mauvaise image des réfugiés »! Léon Kengo Wa Dondo, alors Premier ministre du Zaïre, eut toutes les peines du monde à convaincre les « partenaires » internationaux d’œuvrer à l’éloignement de tous ces camps de réfugiés près des frontières entre le Zaïre et le Rwanda. Peine perdue!

Impuissance de l’ONU

Ces « partenaires » avaient d’autres priorités, d’autres intérêts, d’autres agendas: le renversement de Mobutu, l’exploitation et le trafic des ressources minières, l’affaiblissement et l’isolement de l’État zaïrois sur la scène internationale. Et le fameux « massacre du Campus de Lubumbashi », au mois de mai 1990, fut du pain bénit pour eux: ils n’hésitèrent pas à lâcher leur « allié » dans la lutte contre le communisme. Il serait superfétatoire de remonter à Mathusalem et d’évoquer tous les rapports – documentés et étayés mais restés sans suite – incriminant la responsabilité du Rwanda dans l’insécurité à l’est de la RDC. Le rapport du Groupe des experts des Nations unies remis, en juin 2022, au Conseil de sécurité ne fait que ressasser un secret de polichinelle en montrant en détail que le M23 bénéficie d’un « soutien important militaire, financier et politique » du Rwanda.

En septembre de la même année, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, avoue et confirme lui-même l’impuissance des Casques bleus de la Monusco face au M23: « Le fait est que les Nations unies ne sont pas capables de battre le M23. La vérité, c’est que le M23 aujourd’hui est une armée moderne, avec des équipements lourds qui sont plus perfectionnés que les équipements de la Monusco ». Ni plus ni moins! Un aveu de faiblesse qui révolta les Congolais et donna lieu à des manifestations réclamant le départ de cette force onusienne qui, depuis vingt-quatre ans, semble venue en villégiature aux yeux de l’opinion congolaise. Pour cette dernière, le changement de nom – de la MONUC (Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo) en 1999 à la MONUSCO (Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation en République démocratique du Congo) en 2010 – ressemble juste, au vu de multiples et continuelles incursions meurtrières, à un ravalement de façade sans résultats tangibles quant à sa mission de « stabilisation » de la paix et d’assurer la protection des populations civiles congolaises.

Équilibrisme de Washington, Londres et Paris

Un constat amer à l’égard, notamment, d’autres « partenaires » bilatéraux de la RDC qui se livrent à un exercice d’équilibrisme patent. Et sans sourciller! Plus prompts à réclamer aux pays africains la condamnation ferme de la guerre menée en Ukraine par la Russie, ils se révèlent peu loquaces et fort discrets – au vu de leurs intérêts dans le pays de mille collines – de la même exigence concernant l’implication du Rwanda dans la déstabilisation de la RDC. Lors de sa visite à Kinshasa, en août 2022, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, se contenta d’un service minimum en renvoyant dos à dos le Congo ex-Zaïre (l’agressé) et le Rwanda (l’agresseur): « Il existe des rapports crédibles sur le soutien aux groupes armés par toutes les parties. (…) Il ne devrait pas y avoir de soutien venant des gouvernements ou des forces armées aux groupes comme le M23 ou les FDLR ». Un plaidoyer éculé de Paul Kagame! En le reprenant à son compte, Antony Blinken pensait certainement aux négociations qui étaient en cours pour la libération de l’opposant rwandais Paul Rusesabagina résident permanent aux États-Unis. Arrêté en 2020 et condamné à vingt-cinq ans de prison pour terrorisme, il a été libéré le 24 mars dernier suite à une « grâce présidentielle ». Et le secrétaire d’État américain d’affirmer: « Les États-Unis sont reconnaissants au Rwanda de l’avoir libéré »

Le Foreign Office n’est pas allé, non plus, assez loin dans sa condamnation: « L’impact sur les civils est inacceptable. Les hostilités doivent cesser. Le soutien au M23 doit cesser ». Londres n’a pas franchi le pas en désignant explicitement qui apporte ce « soutien au M23 ». Realpolitik oblige: En avril 2022, le Royaume-Uni a signé avec le Rwanda un accord prévoyant que le pays de Paul Kagame accueille les migrants entrés illégalement sur le territoire de la Perfide Albion. Les 18 et 19 mars derniers la nouvelle ministre britannique de l’Intérieur, Suella Braverman, effectuait une visite au Rwanda avec pour objectif de « renouveler » l’engagement de Londres dans ce partenariat. Bien avant Charles De Gaulle, Lord Henry John Temple avait déjà circoncis la nature de la politique étrangère anglaise dans un discours prononcé, en 1948, à la chambre des Communs: « L’Angleterre n’a pas d’amis ou d’ennemis permanents; elle n’a que des intérêts permanents »!

Et que penser de l’équilibrisme (les mauvaises langues diront « de la roublardise ») du président français? Le 21 septembre 2022, en marge de la 77ème Assemblée générale des Nations unies, Emmanuel Macron s’improvise « Monsieur bons offices » en réunissant Paul Kagame et Félix Tshisekedi. Tous les trois conviennent « d’agir de concert » pour lutter contre les violences dans l’est de la RDC. Sous le titre « Le mauvais tour joué par le président Paul Kagame à Emmanuel Macron », un média français ironise: « La mise en scène a été parfaitement réglée: à gauche sur la photo, le président rwandais, à droite le président de la RDC et au milieu des deux leur homologue français, tout sourire ». Sourire sans lendemain, car « de retour chez lui à Kigali, le président rwandais s’est assis sur les engagements pris devant Macron à New York. En effet, il n’a fait aucun effort pour convaincre le M23 de se retirer de la RDC ».

Selon ce média, Macron serait « fasciné par Kagame » qui aura obtenu de lui les fruits de cette relation d’admiration: en mars 2021, le Rapport Duclert qui souligne la responsabilité de la France dans le génocide de 1994 au Rwanda; un voyage officiel du président français au Rwanda en mai 2021; le retour à Kigali, en juin de la même année, de l’ambassadeur de France. Et surtout, comme pour confirmer cette « fascination », l’implication personnelle du président français pour octroyer, en 2018, le Secrétariat général de l’Organisation internationale de la Francophonie au Rwanda, un pays devenu pourtant officiellement anglophone! C’est certainement « le compromis à la française ».

Des vœux pieux…

Et lors de son séjour à Kinshasa, Emmanuel Macron a eu toutes les difficultés du monde non pas pour condamner, mais tout simplement pour évoquer, à l’instar de son homologue congolais, « l’agression rwandaise », « barbare et injuste » dont est victime la RDC. Il s’est limité à des vœux pieux: « Ni pillage, ni balkanisation, ni guerre ». Il a confirmé avoir parlé avec Paul Kagame pour un nouveau cessez-le-feu le 7 mars à midi. Si ce plan échoue, prévenait-il, des sanctions pourraient alors être prises contre ceux qui ont « des responsabilités ». Encore une de ces formules vagues à laquelle le président congolais, Félix Tshisekedi, répliqua par un commentaire dicté par de nombreux engagements du passé restés sans suite: « Tout cela n’est que de la théorie, j’attends de voir la pratique ». Et depuis lors, les Congolais ont vu, car ils ne sont pas dupes du message ambigu et édulcoré de la « communauté internationale » dès qu’il s’agit de pointer la responsabilité du Rwanda. A l’instar du rappeur Gandhi Djuna, mieux connu sous le nom de Gims, qui évolue en France: il avait tout simplement décliné l’invitation de faire partie de la délégation du président français à Kinshasa. Une manière d’éviter à Jean-Yves Le Drian (ancien ministre des Affaires étrangères de Macron) d’épiloguer encore sur le « compromis à l’africaine »…


Polydor-Edgar Kabeya
Juriste – Consultant en médias et communication
Rédacteur en chef de la revue « PALABRES zaïro-congolaises » (Éditions L’harmattan, Paris)

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