Polydor-Edgar KabeyaLe 17 mai 1997, les « rebelles » de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre) pénètrent dans la capitale zaïroise, Kinshasa, et s’emparent du pouvoir. Ou, plutôt, ramassent le pouvoir d’un État en déstructuration depuis des lustres et dirigé (façon de parler) par un Mobutu Sese Seko affaibli par la maladie et ostracisé par ses « amis » de la communauté internationale depuis mai 1990 à la suite du fameux « massacre de Lubumbashi ». Un massacre attribué, malgré l’absence des preuves irréfutables, des témoignages crédibles et des recoupements vérifiables, au président-maréchal qui aurait « personnellement participé aux tueries ». Un massacre autour duquel opposants zaïrois, gouvernements occidentaux, organismes des droits humains et médias internationaux se livrèrent à une crucifixion tous azimuts, qui du « dictateur », qui de leur « allié » devenu infréquentable. C’est un autre débat…
A la tête de l’AFDL campait un certain Laurent-Désiré Kabila. Un faire-valoir, un pion, un cheval de Troie de ses parrains rwandais, principalement, et ougandais pour donner une coloration zaïroise à cette « rébellion ». Sur le terrain, en effet, c’est le général rwandais James Kabarebe qui dirige les opérations militaires. Pour l’ensemble de son « œuvre », L.D. Kabila n’hésite pas, après s’être autoproclamé président, à le gratifier du grade de chef d’état-major de la République démocratique du Congo! Un loup, un de plus, dans la bergerie qui – en hommage aux « services » rendus à son pays – s’en alla occuper, de 2010 à 2018, les fonctions de ministre de la Défense du Rwanda!
Mais entre les « parrains » et le « filleul », les relations s’effilochent. Lorsque le filleul – face à ce que l’opinion zaïro-congolaise percevait de plus en plus comme une mainmise rwandaise sur la gestion du pays – tente de s’émanciper de cette tutelle encombrante en prenant la décision de renvoyer les troupes de ceux qui l’avaient fait roi, il est trop tard. L’armée congolaise est paralysée, infiltrée à un point tel que les décisions visant à la défense nationale prises par sa hiérarchie (mais laquelle?) restent nulles et sans effet, car déjà connues et dynamitées à partir de Kigali ou Kampala! Entre-temps, les Forces armées zaïroises (FAZ) ne représentaient plus que l’ombre d’elles-mêmes: ses soldats, traités de « mobutistes » par le pouvoir AFDL, se terraient pour échapper aux brimades ou lynchages. Quarante mille militaires furent transférés – comme de vulgaires délinquants – à la Base militaire de Kitona, situé dans le Bas-Congo (actuellement Kongo central) pour « rééducation ». Des officiers et sous-officiers expérimentés furent dégradés ou emprisonnés. Ceux qui le pouvaient prirent le chemin de l’exil…
« Not war, not business »
Bref, le Congo de Laurent-Désiré Kabila n’avait plus une armée digne de ce nom pour défendre efficacement l’intégrité d’un territoire conquis par effraction avec l’appui de ses tuteurs qui avaient leurs propres agendas et intérêts: le contrôle et le pillage des ressources minières de la région étayés, depuis lors, par plusieurs rapports, notamment ceux de l’ONU à la diligence du Conseil de sécurité. Ces ressources transitent par des couloirs sous contrôle du Rwanda et de fameux « rebelles ». Les filières d’exploitation et d’exportation illégales de ces matières premières et ressources naturelles venant de l’est du Congo passent par le Rwanda et se retrouvent sur le marché international! Le Rwanda a même construit des usines de raffinage du coltan cassitérite et de l’or brut qui contribuent à l’essor de son économie au détriment de celle de la République démocratique du Congo (RDC).
L’autre parrain de l’AFDL, l’Ouganda, prélève également sa part sur ces matières premières. Mais qui sont les acheteurs de cet or et de ce coltan de sang. Entre-temps, la guerre peut ainsi continuer par « rébellions » ou groupes armés interposés qui s’abritent derrière des revendications prétendument politiques internes et propres à la RDC. La persistance des rébellions et de l’insécurité à l’est du Congo ex-Zaïre répondent à cette logique prédatrice: « Pas de guerre, pas d’affaires ». « Pas de guerre, pas de profits ». Avec – il conviendrait de ne pas l’occulter – la complicité des Congolais à tous les niveaux: politiciens (au pouvoir ou dans l’opposition), gouvernements provinciaux de l’Est du pays, militaires et civils, société civile, entreprises d’État et du secteur privé, hommes ou femmes d’affaires, etc.
Le Congo ex-Zaïre étant devenu le champ de bataille de leurs appétits, les armées rwandaise et ougandaise n’hésitèrent pas à s’affronter sur le sol congolais, en juin 2000, dans la ville orientale de Kisangani! Surnommée – après celle menée par l’AFDL soutenue notamment par le Rwanda, l’Angola, et l’Ouganda – la « deuxième guerre du Congo » ou la « grande guerre africaine », elle impliqua, au fil du temps et des alliances, neuf pays africains et une trentaine de groupes armés. Une « guerre » qui engendra de nombreux massacres et violations des droits humains, la mort – selon les sources – de 183.000 à 4,5 millions des personnes principalement de famine et des maladies, sans compter des millions des déplacés vers d’autres régions du territoire congolais ou des pays étrangers
Il n’empêche! Les deux parrains s’activèrent à créer, toujours à partir de l’est du pays, d’autres « rébellions congolaises » – la liste est longue – dont le dernier avatar est le « M23 » né des cendres du CNDP (Congrès national pour la défense du peuple) dirigé par Laurent Nkunda. Décapité après l’ « arrestation » assez saugrenue de ce dernier en janvier 2009; par le Rwanda, et sur le territoire rwandais (!), le CNDP signe un traité de paix, le 23 mars 2009, avec le gouvernement de la RDC. Mais en 2012, arguant du fait que les accords de ce traité n’ont pas été appliqués, certains éléments combattants du CNDP se mutinent, et prennent pour nom « M23 » par référence à la date du 23 mars 2009.
En août 2012, le congrès du M23 nomme Jean-Marie Runiga, un ancien du CNDP et originaire du Sud-Kivu, président du mouvement tandis que le « colonel » Sultani Makenga en devient le chef du haut commandement militaire. Le mouvement prendra de l’ampleur en occupant plusieurs territoires à l’est du Congo jusqu’à investir la ville de Goma, capitale du Nord-Kivu. Mais pour de nombreux observateurs, le véritable chef se nommait Bosco Ntaganda dit « Terminator » reconnu coupable, le 8 juillet 2019, par la Cour pénale internationale – devant laquelle il s’exprima en kinyarwanda, sa langue – de crimes de guerre et crimes contre l’humanité pour les exactions commises sur le territoire du Congo ex-Zaïre dont des meurtres, des attaques intentionnelles contre les civils, des viols, des persécutions, l’esclavage sexuel. Le 7 novembre 2019, une peine de trente ans d’emprisonnement est prononcé contre lui. Le 30 mars 2021, le verdict et la peine sont confirmés en appel.
Des parcours atypiques et interpellants
Les parcours et profils de Laurent Nkunda et Bosco Ntangada – comme celui de James Kabarebe – laissent songeurs et illustrent les effets dévastateurs de l’infiltration au sein de l’armée congolaise. Laurent Nkunda est né à Rutshuru dans le Nord-Kivu des parents venus du Rwanda au XIXè siècle. A l’occasion du génocide des Tutsis, en 1994, il rejoint le Front patriotique rwandais (FPR) dirigé alors par le général Paul Kagame, aujourd’hui président du Rwanda, et James Kabarebe, chef de l’armée rwandaise. Il revient au Congo vers la fin de 1997 et intègre une brigade de renseignement de l’armée régulière congolaise! Plus tard, il devient « officier » dans les rangs du groupe rebelle du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-Goma) soutenu par le… Rwanda!
Bosco Ntaganda est né à Kinigi dans le district de Musanze au Rwanda. En 1986 il vit chez son oncle maternel à Bunagana avant de rejoindre, comme Laurent Nkunda, le FPR en 1994. Il revient au Congo dans les bagages de l’autre Rassemblement congolais pour la Démocratie (RCD) en 1999 et intègre l’armée congolaise à la suite du brassage avec les rebelles du CNDP! A la place du brassage – qui signifie tout simplement incorporation des rébellions dans l’armée congolaise – ou de la transformation automatique des groupes armés en partis politiques, le pouvoir actuel a pris une autre option afin d’éviter de revenir toujours à la case départ: l’arrêt des hostilités et attaques contre la RDC, le dépôt des armes et la réinsertion sociale au service de la reconstruction du pays que rebelles et groupes armés, eux-mêmes, revendiquent également être le leur… En effet combien, à l’occasion de multiples brassages et des groupes armés devenus partis politiques, d’autres Nkunda et Ntaganda au parcours aussi sinueux existent-ils? Poser la question, c’est y répondre…
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Polydor-Edgar Kabeya
(*) Nous publierons, tous les quinze jours, un « flash-back » pour décrypter l’insécurité qui, depuis une trentaine d’années, ravage l’est de la RDC devenu le terrain de rodéo des rebellions – souvent fomentées de l’extérieur – et des groupes armés tant congolais qu’étrangers. Avec son lot de morts, massacres, viols, violations des droits humains et déplacements quasi permanents des populations. « Il était une fois l’AFDL » constitue le premier de cette série.