Analyse
Sous le titre « RD Congo: Le compte à rebours », l’hebdomadaire Jeune Afrique (JA) publie dans son édition n°3005-3006 datée du 12 au 25 août 2018, un dossier de 24 pages sur les consultations politiques fixées au 23 décembre prochain au Congo-Kinshasa. A la page 115, l’ex-mobutiste André-Alain Atundu Liongo, porte-parole de la mouvance kabiliste dite « majorité présidentielle », livre un « résumé du bilan » de « Joseph Kabila ». Un résumé pour le moins laconique et expéditif.
A quelques trois mois du lancement de la campagne électorale (si tout va bien) pour l’élection présidentielle, les législatives et les provinciales, les oligarques de la « Kabilie » crient sur tous les toits leur certitude de conserver le pouvoir en dépit d’un bilan désastreux. Certains clament que la coalition politique aux allures de « grand bazar » qu’est le « Front commun pour le Congo » (FCC) pourrait rafler la mise à tous les niveaux.
Passés maîtres dans l’art de la tricherie et de la fraude, « Kabila » et ses partisans comptent sur les gouverneurs de provinces, les bourgmestres, les maires et les chefs coutumiers. Ceux-ci auront pour mission de bourrer les urnes et offrir « à boire » à certains électeurs inciviques. Le « raïs » et ses affidés pourront-ils réussir leur forfait quand on sait que toute élection constitue l’occasion pour le « peuple souverain » d’exiger des comptes à la majorité sortante sur ses actions ou promesses non-tenues? Qu’a fait « Joseph Kabila » de ses dix-sept années à la tête de l’Etat congolais? Quid des « Cinq chantiers » et de la « Révolution de la modernité »? Les Congolais vivent-ils mieux qu’il y a dix-sept ans? La « Kabilie » tente d’éluder ces questions cruciales.
Invité par le journaliste Olivier Liffran de J.A. à faire le « résumé du bilan » des années « Joseph Kabila », le porte-parole de la majorité sortante s’est limité à articuler des propos évasifs qui ne résistent guère à l’examen: « D’abord la sécurité et l’intégrité du territoire. Aujourd’hui, la RDC est un pays unique où l’autorité de l’Etat s’exerce partout, même s’il subsiste ici et là des troubles. Il n’y a plus de déplacements massifs de populations. Même chose au niveau de l’effort de cohésion nationale. Le président Kabila a rendu la convivance possible. (…)« .
Sous le régime de Mobutu Sese Seko, André-Alain Atundu Liongo ne passait pas pour un vaurien. Bien au contraire. Officier de renseignements, l’homme était compté parmi les cadres les plus brillants. « Athos », comme l’appelaient les Kinois, dissimulait un cynisme certain sous les oripeaux de l’éloquence. Depuis son passage dans la mouvance kabiliste, l’intéressé a jeté le masque en mettant à nu sa véritable personnalité. Celle d’un pseudo-intellectuel, vénal qui n’a cure de la vérité.
LA SÉCURITÉ, L’INTÉGRITÉ DU TERRITOIRE ET L’AUTORITÉ DE L’ETAT
La sécurité des personnes et des biens, le maintien de l’ordre et la défense du territoire font partie des missions principales de l’Etat. Depuis l’accession de « Joseph Kabila » à la tête de l’Etat congolais, le 26 janvier 2001, les bandes armées ne cessent de fleurir dans les provinces du Kivu et celle de l’Ituri. Les pouvoirs publics brillent par une impuissance inqualifiable. Selon certaines statistiques, pas moins de 80 milices étrangères et nationales opèrent sur le territoire national. Que dire des intrusions des armées du Burundi, de l’Ouganda et du Rwanda sur le territoire congolais?
Depuis le mois d’octobre 2014 à ce jour, des insaisissables tueurs dits « ADF » sèment la mort et la terreur dans le Territoire de Beni dans la province du Nord Kivu. La situation semble virer à la fatalité. Les responsabilités politico-militaires du cru se contentent de dénoncer les tueries et à comptabiliser les victimes. L’échec sécuritaire est total en dépit des opérations « Sukola ».
Le jeudi 9 août, des « hommes armés » non identifiés ont attaqué les villages de Kalengera et de Kishadu au groupement Nyangezi dans le Territoire de Walungu, au Sud Kivu. Bilan: un mort, un blessé grave et une jeune fille violée. Les assaillants auraient opéré durant deux heures sans être inquiétés. On cherche en vain l’Etat.
De quelle autorité de l’Etat parle, dès lors, Atundu Liongo lorsque le gouverneur du Nord Kivu, le PPRD Julien Paluku, invite le plus sérieusement du monde les « acteurs des bandes armées » à déposer les armes et à conquérir le pouvoir par les urnes. « C’est un appel que je lance à tous ceux qui sont hésitants dans les groupes armés à déposer les armes », a-t-il déclaré mardi 14 août. D’après Paluku, il s’agit d’une démarche destinée à prévenir toute perturbation des opérations électorales. Sous d’autres cieux, ce gouverneur aurait été « viré » illico presto.
PAS DE DÉPLACEMENTS DE POPULATIONS
Selon Atundu, grâce à l’action de « Joseph Kabila », il n’y aurait plus de déplacement de populations. Un rapport du Haut-commissariat des Nations Unies aux Réfugiés publié en octobre 2017 démontre pourtant le contraire. Selon ledit document, les experts onusiens ont dénombré près de 4 millions de déplacés internes au « Congo démocratique ». En revanche, pas moins de 450.000 ex-Zaïrois ont trouvé refuge dans certains pays limitrophes. C’est le cas notamment de: l’Angola, l’Ouganda, la Tanzanie et la Zambie,
LA COHÉSION NATIONALE
Au-delà du critère de la proximité géographique, la cohésion au sein d’une communauté humaine se nourrit de la solidarité et de la justice sociale.
Depuis la prise du pouvoir par l’AFDL, le 17 mai 1997, le tribalisme, le régionalisme, le népotisme et le clientélisme ont fait un retour en force. La situation s’est empiré sous « Joseph Kabila ». Et ce en violation notamment des articles 12 et 90-3 de la Constitution relatifs respectivement à l’ « égalité des Congolais devant la loi » ainsi qu’à la prise en compte de la « représentativité nationale » lors de la composition du gouvernement.
« KABILA » A RENDU LA CONVIVANCE POSSIBLE
André-Alain Atundu devrait mettre à jour ses fiches sur les conflits intercommunautaires. Il apprendra que les pygmées et les bantous se livrent périodiquement à des massacres réciproques à Manono et à Moba dans la province de Tanganyika. Dans l’Ituri, on a assisté à la résurgence des affrontements entre les Lendu et les Hema. Que dire des tueries imputables à la force publique dans le « Grand Kasaï » suite à l’affaire dite « Kamuina Nsapu »?
Dans ces trois cas, l’Etat en tant que garant de l’intérêt général a été défaillant. Aucune enquête n’a été menée pour déterminer les responsabilités et déférer devant la justice les personnes reconnues coupables de violation de la loi.
En Ituri, l’évêque de Bunia, Mgr Dieudonné Uringi, n’est pas allé par quatre chemins en parlant d’ « instrumentalisation et de manipulation ».
DIX-SEPT ANNÉES D’INCURIE
Lors de son discours du 19 juillet dernier devant les deux chambres du Parlement réunies en Congrès, « Joseph Kabila » a reconnu son échec sur le plan socio-économique. Il a reconnu de ce fait que les « Cinq chantiers du chef de l’Etat » (2006-2011) et la « Révolution de la modernité » (20011-2016) n’étaient que des slogans creux. « (…), il reste vrai qu’en termes de perspectives, les conditions sociales de nos populations demeurent globalement préoccupantes, en raison du seuil important de pauvreté, particulièrement en milieux ruraux et semi-urbains », avait-il avoué.
Après dix-sept années passées à la tête de l’Etat – soit quatre législatures aux Etats-Unis et trois en France -, le « raïs » qui est hors mandat depuis le 19 décembre 2016 ne s’est pas gêné de clamer qu’elles [les conditions sociales] « devront donc rester au centre de toutes nos politiques publiques ». Sur le même ton, il a affirmé que la « lutte » contre le chômage des jeunes « devrait se poursuivre à travers la formation professionnelle, de manière à stimuler l’esprit d’entrepreneuriat en nos enfants pour qu’à leur tour, avec les talents dont le bon Dieu les a dotés, ils participent à la création de la richesse nationale ». Interdiction de rire.
Que dire de l’économie? Dix-sept années après, « Kabila » reste au niveau de projet. Il découvre la nécessité de promouvoir la « diversification de l’économie » par la relance de l’agriculture et le développement de l’industrie. Sans oublier le tourisme. Quelles sont les réalisations déjà accomplies dans ce sens? Rien!
« Joseph » a succédé à Mzee Laurent-Désiré Kabila quelques trois mois après le lancement des Objectifs du Millénaire pour le Développement par l’Assemblée générale des Nations Unies. C’était en octobre 2000. Éliminer l’extrême pauvreté et assurer l’éducation primaire pour tous, sont au nombre de ces objectifs. En septembre 2017, le ministre congolais des Affaires sociales, le PPRD Eugène Serufuli révélait que 18 millions d’adultes congolais ne savent ni lire ni écrire.
On ne peut que comprendre que l’ex-mobutiste André-Alain Atundu ait été moins loquace face au bilan désastreux de dix-sept années d’incurie…
Baudouin Amba Wetshi