Le président rwandais Paul Kagame n’a pas daigné participer aux assises de Kinshasa démontrant par là son désintérêt. Et pourtant, c’est lui le trublion de la région. Le Rwanda continue à avoir son agenda propre qui tient compte de ses intérêts, à savoir piller les ressources du Congo-Kinshasa grâce à la déstabilisation de la région.
Attendu depuis trois ans, le 10ème Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement du Mécanisme régional de suivi de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba s’est enfin tenu à Kinshasa, le 24 févier 2022, en présence de sept chefs d’Etat. Il s’agit des Présidents de la République démocratique du Congo, du Congo/Brazzaville, de l’Ouganda, de la République centrafricaine, de l’Afrique du Sud, de l’Angola et du Burundi. Le Soudan, la Tanzanie et le Rwanda ont été représentés par leurs Premiers ministres tandis que le Kenya et la Zambie le furent par leurs ministres de la Défense. MM Moussa Faki, Président de la Commission de l’UA (Union africaine) et Jean-Pierre Lacroix, secrétaire adjoint des Nations Unies chargé des opérations du maintien de la paix, ont également pris part aux travaux.
Cette fois encore, le Sommet a pris la décision de s’attaquer efficacement aux causes et aux facteurs de conflit et d’instabilité dans la région. Pour rappel, au lendemain de la prise de la ville de Goma, le 20 novembre 2012, par le M23 (Mouvement du 23 mars), un groupe rebelle soutenu par le Rwanda, les chefs d’Etat et de gouvernement de la Conférence internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) signèrent à Kampala, le 24 novembre 2012, une déclaration demandant au gouvernement « d’écouter le M23, d’évaluer ses doléances et de répondre à celles qui s’avèreraient légitimes ». Par la suite, sous l’égide de l’ONU, l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération en RD Congo fut signé à Addis-Abeba (Ethiopie), le 24 février 2013, afin de mettre un terme au cycle récurrent des violences.
Au départ, huit pays qui partagent la frontière avec la RD Congo et la République Sud-africaine signèrent l’Accord. Ils furent ensuite rejoints par deux autres pays, à savoir le Kenya et le Soudan, le 31 janvier 2014. C’est un traité international qui comporte aujourd’hui 15 signatures et ratifications des parties suivantes: la République démocratique du Congo, le Rwanda, l’Ouganda, la République Centrafricaine, le Mozambique, l’Angola, le Burundi, le Congo-Brazzaville, l’Afrique du Sud, le Soudan, la Zambie, la Tanzanie, l’ONU en qualité de témoin; représentée par son secrétaire général Ban Ki-Moon, l’Union africaine en qualité de témoin; représentée par la Présidente de la Commission Africaine Nkosazana Dlamini Zuma, la SADC (Communauté de développement d’Afrique australe) en qualité de témoin; représentée par Armand Guebuza et la CIRGL (Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs) en qualité de témoin; représentée par le Président Yoweri Museveni.
Par ce traité, les pays de la région se sont engagés à ne pas tolérer ni porter assistance ou soutien quelconque aux groupes armés en République démocratique du Congo. Il vise à créer les conditions d’une solution définitive aux crises à répétition dans l’Est du Congo. Dans ce cadre, des engagements furent pris aussi bien par la République démocratique du Congo que par les Etats de la région et la Communauté internationale.
Les engagements de la République démocratique du Congo, de la région et de la communauté internationale
Lors de la signature et de la ratification de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba, la République démocratique du Congo avait pris les sept engagements: ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures des pays voisins: ne tolérer aucun type de groupe armé ni fournir d’aide ou d’appui à ces groupes; respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale des pays voisins; renforcer la coopération, notamment en promouvant l’intégration économique relativement à l’exploitation des ressources naturelles; respecter les préoccupations et les intérêts légitimes des pays voisins, en particulier pour ce qui est des questions de sécurité; ne pas offrir de protection ou de refuge de quelque nature que ce soit aux personnes accusées de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, d’actes de génocide ou de crimes d’agression aux personnes relevant du régime des sanctions des Nations Unies; et enfin faciliter l’administration de la justice par le biais de la coopération judiciaire au sein de la région. La République démocratique du Congo s’est ainsi engagée à continuer d’approfondir la réforme du secteur de la sécurité, en particulier en ce qui concerne l’armée et la police, à consolider l’autorité de l’Etat, en particulier dans l’Est du pays, à empêcher les groupes armés de déstabiliser les pays voisins, à promouvoir le développement économique, y compris au sujet de l’expansion des infrastructures et de la fourniture de services sociaux de base, à promouvoir la réforme structurelle des institutions de l’Etat, y compris la réforme des finances et à promouvoir les objectifs de réconciliation nationale, de tolérance, et de démocratisation.
Face aux promesses du Congo, les pays de la région des Grands Lacs ont pris les engagements suivants: non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays; non-assistance aux groupes armés; respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des Etats voisins; renforcement de la coopération régionale et approfondissement de l’intégration économique notamment en ce qui concerne l’exploitation des ressources naturelles; respect des préoccupations et de des intérêts légitimes des pays voisins en matière de sécurité; ne pas héberger ou protéger les personnes accusées de crimes imprescriptibles; faciliter l’administration de la justice ainsi que la coopération judiciaire dans la région.
Concernant les engagements de la communauté internationale, il a été convenu que le Conseil de sécurité resterait saisi de l’importance d’un soutien à la stabilité à long terme de la République démocratique du Congo et de la région des Grands Lacs. D’autres engagements portent sur la mobilisation des partenaires bilatéraux à soutenir la République démocratique du Congo et la région, y compris avec les moyens appropriés pour assurer la durabilité de ces actions sur le long terme et appuyer la mise en œuvre des protocoles et des projets prioritaires du Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des Grands Lacs. Il est aussi question de travailler à la revitalisation de la CEPGL (Communauté économique des pays des Grands Lacs) et à soutenir la mise en œuvre de son objectif de développement économique et d’intégration régionale. La Mission de stabilisation de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUSCO) donnera son appui au gouvernement pour faire face aux enjeux d’ordre sécuritaire et rétablir l’autorité de l’Etat. Enfin, un Envoyé spécial des Nations Unies pour la Région des Grands Lacs sera nommé pour soutenir les efforts pour trouver des solutions durables.
Des résultats fort mitigés sur le terrain
Dix ans après la signature de l’accord-cadre, les résultats demeurent mitigés. La situation sécuritaire dans l’Est du Congo est toujours très préoccupante. Le président Félix Tshisekedi a pourtant plus d’une fois exprimé sa préoccupation de mettre un terme aux activités des groupes armés qui pullulent dans l’Est du pays avec la complicité des pays voisins ainsi que de certains opérateurs politiques et économiques congolais. Il a mis en place une politique de bon voisinage et d’apaisement avec les pays voisins. Il s’est impliqué dans la normalisation des relations bilatérales entre le Rwanda et l’Ouganda avec l’aide du Président Joao Lourenço d’Angola. Un dialogue s’est aussi instauré entre le Burundi et le Rwanda en vue d’aplanir les différends. Mais on est toujours très loin du compte. La revitalisation de la CEPGL qui regroupait le Burundi, le Rwanda et le Congo (autrefois Zaïre) n’est toujours pas effective.
La relance de cette communauté qui a été créée le 20 septembre 1976 à Gisenyi est censée pouvoir contribuer à la lutte contre la pauvreté et à la pacification de la région. Le Congo contribuait au budget ordinaire de cette association à concurrence de 50% et les deux autres pays à hauteur de 25% chacun. L’implication du Rwanda dans les conflits civils qui ont secoué le Burundi au cours des années 1980, va se traduire par une perte de confiance mutuelle. Les différentes crises que les trois pays membres ont connues depuis le déclenchement, au début des années 1990, des processus de démocratisation en Afrique ont eu un impact négatif sur son fonctionnement. La CEPGL tombera en léthargie en 1994.
On retiendra qu’elle n’a été efficace ni dans le renforcement de la sécurité des Etats et de leurs populations ni dans l’intégration régionale à travers la libre circulation des biens et des personnes, la coopération politique et militaire, la promotion des échanges commerciaux. Le manque de volonté politique, les querelles de personnalité entre les chefs d’Etat et l’existence de visions politiques différentes sont autant de facteurs qui sont à la base de l’échec de la CEPGL. Rien d’étonnant dès lors que le Rwanda se soit opposé à la relance des activités de la CEPGL. Il existe toujours dans l’Est du Congo un grand nombre de personnes déplacées à cause de l’insécurité. L’exploitation illicite et le trafic des ressources naturelles sont toujours florissants.
La mise en place des programmes de désarmement, démobilisation, et réintégration des ex combattants tarde. Afin de faire face aux conséquences néfastes de l’insécurité, l’état de siège fut proclamé , le 3 mai 2021, dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu. Les résultats ne sont pas probants à ce jour.
Le 30 novembre 2021 fut déclenchée l’intervention conjointe des armées de l’Ouganda (UPDF) et de la République démocratique du Congo (FRDC) sur ce territoire en vue d’endiguer la menace posée par le groupe rebelle ADF (Allied Democratic Front), un mouvement rebelle ougandais qui s’illustre par des massacres des populations civiles. Cette intervention a heureusement contribué à diminuer les exactions des miliciens ADF.
L’implication du Rwanda, un acteur majeur dans la déstabilisation de la région, demeure sujette à question. D’ailleurs, le président Paul Kagame n’a pas daigné participer aux assises de Kinshasa démontrant par là son désintérêt. Et pourtant, c’est lui le trublion de la région. Le Rwanda continue à avoir son agenda propre qui tient compte de ses intérêts, à savoir piller les ressources du Congo/Kinshasa grâce à la déstabilisation de la région. Pour régler la situation, il faut rappeler que la communauté internationale ne peut se substituer au leadership congolais. Les soldats de la MONUSCO ne viendront pas mourir pour le Congo si ses propres ressortissants ne sacrifient pas leurs vies pour la défendre la souveraineté et l’intégrité territoriale de leur pays. Une armée forte et une bonne organisation de l’Etat sont suffisantes pour dissuader le Rwanda dans ses manœuvres. Cela vaut plus que tous les sommets, tous les discours, tout l’argent gaspillé par l’ONU, soit près de 20 milliards de dollars en vingt ans de présence au Congo.
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Gaston Mutamba Lukusa