Lubumbashi. Lundi 20 septembre. La nouvelle est tombée: « Emile Mota Ndongo est mort suite à une courte maladie ». Il avait 65 ans. Le défunt n’est pas n’importe qui. Le 16 janvier 2001, Mota assumait les fonctions de directeur de cabinet adjoint du président Laurent-Désiré Kabila. L’intéressé n’a cessé de prétendre qu’il a été le « témoin oculaire » du meurtre de Mzee. Pour une raison inconnue, le présumé assassin laissa la vie sauve à un « témoin gênant » qui l’a identifié. Vingt années après, l’arme du crime n’a jamais été retrouvée. Lors du procès ayant abouti en janvier 2003 à plusieurs condamnations à mort, l’ancien « dircaba » sera « recadré », à maintes reprises, par les juges. Ceux-ci lui reprochaient ses versions contradictoires. Vingt années après, il apparaît que le Mzee a été victime d’un « complot » ourdi par ses proches. Le Congo-Kinshasa a vécu un « coup d’Etat de palais » le 16 janvier 2001. Saurait-on la vérité avec la disparition du « témoin oculaire« ?
Vingt années après la mort du président Laurent-Désiré Kabila, le mystère reste entier. « Ceux qui savent » les circonstances exactes de la mort de Mzee disparaissent les uns après les autres: Gaétan Kakudji (2009), Dominique Sakombi-Inongo (2010), Augustin Katumba Mwanke (2012), Abdoulaye Yerodia Ndombasi (2019), Jeannot Mwenze Kongolo (6/2021). Emile Mota (9/2021). On se croirait dans le fameux roman policier « les dix petits nègres » d’Agatha Christie. Contrairement à ce dernier récit, sept « survivants » sont encore là: « Joseph Kabila » (chef d’état-major des forces terrestres), John Numbi Banza (commandant de région militaire au Katanga), Léonard She Okitundu (ministre des Affaires étrangères), Eddy Kapend (aide de camp du chef de l’Etat), Georges Leta Mangasa (administrateur général de l’ANR), Constantin Nono Lutula (conseiller spécial en matière de Sécurité) et Georges Buse Falay (directeur du cabinet présidentiel).
Le décès de l’ancien ministre de l’Agriculture (2015-2016) Mota Ndongo suite à une « courte maladie » fait épaissir l’énigme sur la mort mystérieuse du président LD Kabila. Celui-ci a été tué le 16 janvier 2001 vers 13h45 dans son bureau de travail au Palais de Marbre. Le chef de l’Etat congolais devait se rendre ce jour-là à Yaoundé, au Cameroun, où se tenait le 21ème sommet France-Afrique.
A en croire Mota, il se trouvait dans le bureau présidentiel en pleine discussion avec le Mzee au moment le garde du corps Rachidi Kasekera a fait irruption avant de tirer sur ce dernier. Président de la commission d’enquête composée notamment d’Angolais, Namibiens et Zimbabwéens, Luhonge Kabinda Ngoy – alors procureur général de la République – a fait état de trois balles de calibre 9 mm. C’était le 24 mai 2001. « Une balle entre dans la tempe, une seconde entre au niveau de l’épaule, traverse le cœur et ressort par la droite, une troisième perce l’estomac« , dira-t-il sans convaincre l’opinion.
« COUP D’ETAT DE PALAIS »
Dans une interview accordée à l’hebdomadaire parisien « Jeune Afrique » n°2115 du 24 au 30 juillet 2001, le tout nouveau président « Joseph Kabila » déclarait notamment: « Un rapport préliminaire a été rendu public. Des gens impliqués dans le complot sont en fuite. Nous les recherchons activement. Tous les autres sont déjà entre les mains de la justice. Il y aura, bien évidemment, un procès ouvert et transparent« .
Sans doute contraint par la clameur populaire suspectant un « coup d’Etat de palais« , « Kabila » a contredit Dominique Sakombi-Inongo, alors ministre de la Communication. « Comme l’assassin a été abattu, il n’y aura pas d’enquête« , affirmait le ministre Sakombi le 18 janvier 2001 provoquant la stupeur. Comment peut-on classer sans suite une affaire relative à l’assassinat d’un chef d’Etat sous prétexte que l’assassin a été tué?
« TEMOIN OCULAIRE » AUTOPROCLAMMÉ
Vingt années après, plusieurs questions restent sans réponses. 1. Qui avait ordonné le désarmement des militaires du camp Kokolo – 48 heures avant le meurtre de Mzee – sauf trois bataillons commandés notamment par les capitaines Eric Lenge (proche de John Numbi) et Jean-Jacques Kakwata Mbuj (proche du trio Joseph Kabila, Yav Nawej et Eddy Kapend)? 2. Qui a commandité le meurtre du Président? 3. Qu’en est-il du mobile? 4. Où est passé l’armée du crime? 5. Pourquoi a-t-on abattu le présumé assassin au lieu de le neutraliser sans lui ôter la vie? 6. Pourquoi la mort de LD Kabila a été officialisée le 18 janvier 2001 alors que l’homme était mort 48 heures auparavant? 7. Qui avait instruit le ministre de la Communication de déclarer que la mort du présumé tueur rendait l’enquête sans objet? Question finale: pourquoi Emile Mota est resté libre – sans pouvoir quitter le pays – alors que des membres du cabinet présidentiel ont écopé des peines maximales alors qu’ils se trouvaient à plusieurs kilomètres du palais de marbre au moment des faits?
Le grand public a découvert Emile Mota lors du procès sur l’assassinat de LD Kabila. Certains criminologues ne cachaient pas leur scepticisme en apprenant que le présumé tueur avait épargné la vie au « dircaba« , le « témoin oculaire » autoproclamé de l’exécution de Mzee. D’aucuns ne furent pas surpris en apprenant que Mota s’était contredit à maintes reprises sous les questions des juges de la Cour d’ordre militaire.
Dans son ouvrage « La mort de LD Kabila: Ne nie pas c’était bien toi« , le lieutenant Georges Mirindi, ancien membre de la garde rapprochée de Mzee, dit sa part de vérité en avançant ce qui serait, selon lui, le « mobile » de l’élimination physique du Président congolais.
L’OMERTA
D’après ce sous-officier, le Mzee aurait signé son « acte de décès » le 28 décembre 2000. Ce jour-là, il avait tenu une « causerie morale » devant les « militaires fugitifs » qui revenaient du front. Le Président de la République avait annoncé, à cette occasion, sa volonté « d’épurer l’armée » de tous les généraux de pacotille. « Je vais agir, vous allez voir« , avait-il martelé. Vous avez sans doute compris que c’était au lendemain de la défaite des troupes envoyées à Pweto pour contrer la progression des combattants pro-rwandais du RCD-Goma. Les opérations étaient dirigées sur le terrain par le général-major « Joseph Kabila« , alors chef d’état-major des forces terrestres. Ce dernier était dans le collimateur du chef de l’Etat. Il en est de même des officiers John Numbi et Eddy Kapend.
Selon Mirindi, à Pweto, les rapports établis par des officiers et les « services » allaient dans le même sens en dénonçant la « félonie » de « Joseph » restèrent sans suite auprès du chef de l’Etat. A en croire, cet ancien garde du corps, le Mzee était fou furieux après avoir découvert la vérité. Aussi, avait-il décidé de faire fusiller les « traitres » dont « Joseph Kabila ». Ce dernier n’aurait eu la vie sauve que grâce à l’intervention d’Augustin Katumba Mwanke, alors gouverneur du Katanga. Coupant la poire en deux, le chef de l’Etat décida de placer « Joseph » en résidence surveillée à Lubumbashi. Les deux hommes ne s’étaient plus adressé la parole jusqu’à la date fatale du 16 janvier 2001.
Mirindi assure, par ailleurs, que l’agent de sécurité Annie Kalumbu avait surpris Emile Mota en train d’empocher les douilles dans le bureau de Mzee. Et l’arme du crime? L’ancien « dircaba » emporte avec lui sa part de vérité sur cette énigme criminelle. Ceux qui espéraient un « déballage » après la libération du colonel Kapend et ses co-accusés ont dû déchanter. Ils ne sauront pas de sitôt pourquoi le corps de Mzee, bien que criblé de balles, ne baignait pas dans son sang.
L’Omerta semble être le mot d’ordre. Question ultime: LD Kabila serait-il décédé de mort naturelle maquillée en assassinat par les « comploteurs » afin de justifier le « règlement de compte » dont parle Constantin Nono Lutula à Jeune Afrique (édition en ligne du 16 janvier 2021)? Mirindi ne dit pas autre chose: » La vérité sur la mort de Mzee Kabila ne se trouve nulle part ailleurs que dans le régime qui a pris le pouvoir le 16 janvier 2001« ,
Baudouin Amba Wetshi