Agiter l’épouvantail russe à chaque divergence avec un pays occidental serait-il devenu une mode pour tous les indignés africains? Quand, actuellement, sous d’autres latitudes, le visage de Vladimir Poutine est gratifié sur les photos de la petite moustache d’Hitler – le « diable » incarné – et le drapeau russe mis en parallèle avec celui de l’Allemagne nazie, l’homme fort du Kremlin et les couleurs de son pays ont, par contre, la cote au sud de la Méditerranée. Ce chantage « sentimental » des activistes du continent – c’en est bien un, disons-le, ressemble risiblement à celui d’un enfant frustré et mécontent d’un parent et qui menace de retirer à ce dernier son affection pour la transférer à une autre personne présumée plus sympathique, bienveillante.
Les pays de l’Ouest de l’Europe et du Nord de l’Amérique constituent ce qu’on appelle l’Occident. Ils ont en partage les valeurs libérales et font ainsi du respect des libertés individuelles, du droit à la différence et de certains droits publics une « religion ».
On retrouve parmi ces pays des anciennes puissances coloniales. S’être partagé l’Afrique et avoir mis sous leur domination les peuples du continent, telle est l’encre qui a sali, depuis plus d’un siècle, les rapports entre les nations de l’hémisphère nord et celles de l’hémisphère sud du globe terrestre. Tâche que les unes croient avoir effacée en octroyant leurs indépendances (et diverses assistances postcoloniales) aux autres.
Mais efface-t-on aussi facilement, à coup d’argent et d’aides matérielles, les effets d’une profonde déculturation, d’une déshumanisation partie de la traite négrière et, plus tard, « softement » perpétuée à travers les rapports ségrégationnistes qui avaient prévalu entre colons et colonisés? Ici s’expliquent les refoulés de la part de certains Africains sur tout qui est américano-européen et le discours bouc-émissairiste – ressassé par les Nathalie Yamb, Kémi Séba et autres -, qui est à la limite de la haine anti-Blancs occidentaux, qui l’accompagne: l’Occident, « impérialiste, néocolonialiste, pilleur des richesses du continent », serait, répète-t-on à souhait, la cause de l’appauvrissement et de la stagnation de l’Afrique. Il faut ainsi, estime-t-on, s’en éloigner – en se débarrassant au passage de toutes les rémanances coloniales dont le franc CFA – et aller voir ailleurs, à l’Orient, pour des coopérations dites « gagnant-gagnant », notamment avec la Russie de Poutine.
Mais que peut bien apporter la Russie à l’Afrique que l’Occident ne lui a jamais donné L’argent? L’assistance technique civile ou militaire? L’aide humanitaire? La démocratie? L’État de droit? Les Russes seraient-ils ces gens gentils, pas donneurs de leçons, pas « paternalistes », qui n’ont colonisé aucun pays africain et qui n’ont ainsi pas chicottté nos ancêtres, les nouveaux partenaires idéaux dont rêvent les Africains?
Ces derniers n’auraient-ils pas étudié l’histoire du monde? Auraient-ils oublié ou ignorent-ils que la Russie, si elle n’a certes pas eu des colonies en Afrique, a été une des grandes puissances impérialistes qui avait eu sous sa domination plus d’une dizaine de pays – parmi lesquels l’Ukraine -, qui n’accédèrent à l’indépendance qu’après la chute du mur de Berlin, au début des années 1990, trente ans après celle du Congo lui octroyée par la Belgique? Les Africains n’auraient-ils pas appris que les peuples – pourtant de race blanche – colonisés par les Russes ont subi des violences inouïes de la part de ces derniers faites des travaux forcés, de russification culturelle contraignante, de relégations dans des goulags où périrent, d’épuisement, de froid et de faim, plus de quatre millions de personnes? Des peuples noirs d’Afrique auraient-ils joui d’un différent et tendre traitement, d’une particulière gentillesse s’ils auraient été sous le joug des Russes?
N’est-il pas de l’impérialisme, de la recolonisation ce que la Russie de Poutine fait aujourd’hui, avec de fallacieux arguments et sous les yeux du monde, en s’octroyant par la force – comme du temps des conquêtes coloniales du 19è siècle – des territoires de l’Ukraine (la Crimée et autres)? La protection des russophones ukrainiens prétendument maltraités dans leur pays donne-t-elle droit aux dirigeants russes d’envahir l’Ukraine, un pays souverain, de le balkaniser et, terrorisme effroyable, de raser ses villes et de tuer à l’aveuglette, sans distinction, ses populations civiles (femmes, enfants et vieillards)?
Les justifications données par Poutine à son invasion de l’Ukraine ont la même résonnance que celles données par Paul Kagame à ses opérations militaires au Congo où il est notamment question pour lui, secret de polichinelle, de porter secours aux populations rwandophones violentées au Congo (en les armant afin de se défendre eux-mêmes avec des militaires rwandais comme forces d’appui) et d’assurer la sécurité de son pays menacée, dit-il, par ses opposants armés du FDLR (Front De Libération du Rwanda). Des velléités de balkanisation du Congo sont également redoutées par ses habitants. Peut-on approuver la violation du droit international par Vladimir Poutine et dénoncer celle de Paul Kagame, les volontés hégémoniques de ces deux autocrates étant pourtant évidentes et identiques?
Les États africains sont évidemment libres de se choisir de nouveaux « amis » (ou « maîtres ») qui ne viendraient pas leur exiger l’organisation des élections transparentes, le respect des droits de l’homme, la lutte contre la corruption, leur donner des conseils de rigueur de la gestion des fonds publics, qui ne viendraient pas « piller » leurs richesses, qui leur fourniraient (gratuitement?) des armes et autres assistances et qui viendraient se battre à leur place, verser leur sang sans contrepartie. Les miliciens russes de Wagner ne se paient-ils sur la « bête » en Centrafrique, au Mali et ailleurs?
Les relations entre partenaires internationaux se fondent sur des profits à tirer réciproquement. Les Africains semblent l’oublier et confondent coopération et philanthropie quand ils décident émotionnellement de déshabiller saint Pierre pour habiller saint Paul. Les désillusions, dans quelques temps, de certaines et hasardeuses options pourraient être grandes.
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Wina Lokondo