« Tout le monde » parle, ces derniers temps, d’incursions des armées de certains pays voisins sur le sol congolais. Le cas le plus flagrant est et reste l’occupation, par l’armée zambienne, de plusieurs villages (Kibanga, Kalubamba, Moliro, Pweto) dans la province du Tanganyika dont le gouverneur n’est autre que le très énigmatique Zoé « Kabila ». Des bandes armées « dormantes » ont, comme par enchantement, été « réactivées » tant au Nord-Kivu, au Sud-Kivu qu’en Ituri. Les Uélés, mêmement. Qu’en est-il advenu de l’armée zaïro-congolaise? Où sont passé ces militaires, torses bombés, qui défilaient lors des parades organisées sous le pouvoir de « Joseph Kabila »? Où sont les 60 chars transférés, début avril 2016, de Kinshasa à l’ex-province du Katanga via le port d’Ilebo? Où sont les orgues de Staline et autres canons à tirs multiples exhibés lors des festivités nationales?
Lors de la réunion du Conseil des ministres présidée, vendredi 24 juillet, par le président Felix Tshisekedi, le ministre congolais de la « Défense », le Fcc/Pprd Aimé Ngoy Mukena, toute honte bue, était heureux d’annoncer que la Sadc (Communauté de développement de l’Afrique australe) « a donné raison » au Congo-Kinshasa. Les forces zambiennes doivent quitter les villages congolais dans un délai de sept jours. A quoi sert le ministère de la Défense? Quelle infamie pour le « Grand Congo »?
Selon les « internationalistes », l’Etat ne se limite pas à un assemblage composé d’un territoire habité par une population régentée par un appareil d’Etat. A ces éléments, il faut ajouter la reconnaissance internationale, la personnalité juridique internationale et la souveraineté. Ce dernier élément est essentiel. Il confère à l’Etat la « compétence exclusive » sur son territoire. Le Congo-Kinshasa exerce-t-il cette compétence exclusive sur son territoire?
Vingt-trois années après la pseudo-libération du 17 mai 1997, le constat est là: le Congo-Kinshasa est un Etat sans défense. Il n’a pas une armée digne de ce nom. Une armée professionnelle, bien équipée, bien entraînée et bien entretenue. Bref, une armée capable de garantir la « souveraineté territoriale » du pays.
Un examen rapide démontre que la situation décrite ci-haut est délibérée. A travers des pseudo-rébellions (CNDP, RCD, M23) suivies de brassage et autre mixage, l’armée nationale a fini par être minée de l’intérieur par une « cinquième colonne » composée de « mercenaires étrangers ». Des individus déloyaux n’ayant aucune attache psychologique avec un pays qui n’est pas le leur.
L’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (Afdl) avait reçu mission de détruire les Forces armées zaïroises. Procès d’intention? Assurément pas. « Joseph Kabila » a eu pour « mission » de « liquider » ce qui restait des forces armées zaïro-congolaises. L’objectif, comme l’a dit bruyamment Pascal Mukuna, était de « maintenir le Grand Congo à genoux ».
En fouillant dans les archives de notre site d’information, il n’est pas sans intérêt de « revisiter » trois interviews accordées à Congo Indépendant par le général Paul Mukobo Mudende en 2012 (décédé en 2015), le colonel Kadate Lekumu (2015) et le colonel Daniel Lusadusu Nkiambi (en 2017), respectivement ancien chef d’état-major général adjoint des Forces armées zaïroises, chef d’état-major de la Logistique et médecin à la Division spéciale présidentielle (DSP). Certains extraits de ces entretiens sont d’une brûlante actualité.
LA FORCE PUBLIQUE CONGOLAISE
Le 5 août 1888 le roi Léopold II signe le décret instituant la « Force publique congolaise » destinée à assurer la protection de sa « propriété » d’une superficie quatre-vingt fois plus grande que la Belgique. Les premiers recrutements ont lieu dans les tribus guerrières des provinces de l’Equateur, du Sankuru et de l’ex-Province Orientale.
Jusqu’au 30 juin 1960, le Congo était découpé en six provinces. La Force publique, elle, était repartie en trois Groupements étant chacun en charge de deux provinces. La province du Katanga et du Kasai, la province de Léopoldville (Kwilu, Kwango, Mayi Ndombe, Kongo Central) et de l’Equateur, la Province Orientale et le Kivu relevaient respectivement du premier, deuxième et troisième Groupement.
Contrairement à ce qui se passe aujourd’hui, la Force publique a été un véritable « melting pot » qui a jeté les bases de la future « nation congolaise ». Le dosage ethnique était de rigueur. Les ressortissants des différentes tribus ou ethnies ont appris non seulement à se côtoyer mais surtout à « vivre ensemble ». Ils avaient un passé et un présent communs. N’importe quelle unité pouvait être déployée dans n’importe quelle autre partie du pays.
Après la proclamation de l’indépendance le 30 juin 1960, l’Armée nationale congolaise (ANC) voit le jour le 17 novembre 1960. Elle sera rebaptisée « Forces armées zaïroises » en 1971.
LES FORCES ARMÉES ZAÏROISES/FARDC
Paul Mukobo Mudende fait partie des premiers Congolais à entreprendre des études à l’ERM (Ecole royale militaire) de 1960 à 1964. En 1982, il est promu général et envoyé à Kalemie, chef-lieu du Tanganyika, au Nord Katanga, où un certain Laurent-Désiré Kabila et ses lieutenants Kanambi, Maradura et Kalis menaient des actions de guérilla notamment à Moba.
Le général Mukobo a connu la disgrâce en 1986 sous la forme d’une « relégation ». Et ce suite à une « cabale ». Pour lui, le tribalisme a été le premier facteur qui a affaibli l’armée zaïroise. « C’est ça le mal qui a gangrené l’armée zaïro-congolaise et qui affecte toutes les armées africaines ». Selon lui, l’armée a été fragilisée par un autre phénomène: le conflit de génération « entre les officiers issus de l’ex-armée coloniale et ceux sortis de grandes écoles et académies militaires. La discipline a fait défaut à cause du favoritisme ».
Lors du déclenchement de la guerre dite des « Banyamulenge » ou de l’AFDL, en septembre 1996, Mukobo se trouvait à Mbandaka en qualité de « commandant Région ». Le 27 décembre 1996, il est nommé chef d’état-major général adjoint. Le titulaire s’appelait Donatien Mahele Lieko. Voyant que les carottes étaient cuites, Mukobo a quitté le pays le 15 mai 1997 pour Brazzaville. Kinshasa est tombée deux jours après. Le général Mahele sera tué dans la nuit du 16 au 17 mai 1997 dans des conditions non-élucidées à ce jour.
LE FANTÔME DE L’AFDL/PPRD/FCC INCARNE PAR « KABILA »
Le général Mukobo ne trouve pas des mots assez durs à l’égard du président LD Kabila. « Le président Laurent Kabila a commis une erreur monumentale à son arrivée au pouvoir en refusant d’intégrer les soldats qu’il a trouvés dans la nouvelle armée ». Pour lui, la nomination du colonel rwandais James Kabarebe à la tête de l’armée congolaise provoqua « une totale déception ».
Le 16 janvier 2001, LD Kabila est mort. Il est remplacé par « Joseph Kabila ». Pour Mukobo, l’ex-Zaïre « n’a plus d’armée ». Pourquoi? « C’est parce que le chef de l’Etat n’est pas Congolais ». Pour lui, « Kabila » ne peut en aucun cas promouvoir une véritable armée. « L’homme qui dirige notre pays a une mission à accomplir. Cette mission tient en trois mots: détruire le Congo ». Selon Mukobo, « Joseph » a laissé, à dessein, la situation sécuritaire pourrir à l’Est. « L’objectif est de contraindre le Congo à céder une partie de son territoire au Rwanda et à l’Ouganda ». « Il faut un changement à la tête du pays. (…), Joseph Kabila est un traître », concluait-il.
Expert en Logistique, le colonel Kadate Lekumu est revenu sur le « camp de concentration » de Kitona où furent regroupés 43.000 militaires des FAZ dans des conditions infra-humaines. Pour lui, cette décision ne pouvait émaner que de LD Kabila et du colonel Kabarebe. « Chaque jour, il y avait quinze à vingt morts à inhumer », dit-il. La diarrhée était diagnostiquée comme cause principale de décès. Le logisticien ne décolère pas: « L’AFDL a été présentée faussement comme une rébellion congolaise. (…). Nous avons fini par découvrir que l’armée rebelle était commandée par des officiers rwandais, ougandais et burundais ». A l’instar de Mukobo, Kadate est formel: « La RDC n’a pas d’armée. C’est une situation délibérée ».
Colonel-médecin, Daniel Lusadusu Nkiambi est tout aussi amer. « Ce qui est certain est que l’armée congolaise est massivement infiltrée par des éléments étrangers. Et ce depuis le sommet jusqu’aux troupes ». Il se souvient de la « chasse à l’homme » lancée contre des officiers FAZ. « Alors que l’AFDL n’a pu s’emparer du pouvoir que du fait que les militaires ex-FAZ , fatigués par le mobutisme, avaient rechigné de combattre la rébellion ».
A travers ces extraits d’interviews, il est clair que les Zaïro-Congolais sont conscients de leur part de responsabilité dans la déliquescence de leur armée nationale. Ils sont également conscients que rien ne changera dans ce secteur aussi longtemps que le « fantôme » de l’AFDL/PPRD/FCC, incarné par « Joseph Kabila », continuera à « hanter » la vie nationale…
B.A.W.