Les maux qui rongent la gouvernance africaine, perpétuant ainsi la condamnation des peuples au bagne de la misère, sont connus de tous et surtout de tout Africain qui se réclame de l’opposition. Quant aux remèdes, rares sont les Africains qui en font leur cheval de bataille, à commencer par les opposants même de longue date. Depuis la deuxième vague de démocratisation du continent, plusieurs maux se sont ajoutés à une liste déjà longue depuis l’instauration des partis uniques, pour ne pas dire iniques. Les réformes constitutionnelles intempestives dans le but de s’éterniser au pouvoir constituent un énième mal. De même que les élections truquées.
Le Congo-Kinshasa a toujours été le théâtre par excellence où les maux de la gouvernance se manifestent avec une grossièreté aussi étonnante que détonante. Les élections de décembre 2018 n’ont pas fait exception à la règle générale. Des coalitions des partis se sont formées avant leur tenue: CACH, FCC et LAMUKA. Le FCC constituait le camp du statu quo, avec le dictateur Joseph Kabila à sa tête. Celui-ci venait d’échouer à s’offrir un troisième mandat interdit par la Constitution, en tentant vainement de modifier celle-ci. Aussi s’était-il choisi un dauphin. CACH et LAMUKA se positionnaient comme des redresseurs de torts, en leur qualité d’opposants. Mais ils étaient divisés sur le plan des ambitions personnelles, les deux frondeurs et créateurs de CACH s’étant désolidarisés de la candidature commune de l’opposition. Pendant qu’on attendait la proclamation des résultats provisoires de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), l’insolence de la mauvaise gouvernance endémique du pays se manifesta une fois de plus. Pour la première fois dans l’histoire du monde contemporain, une nouvelle coalition vit le jour après les élections et avant l’annonce du verdict des urnes: CACH-FCC. Pourquoi?
Le candidat de LAMUKA avait gagné la présidentielle. Mais comme cette coalition comptait en son sein deux leaders perçus par le dictateur comme ses grands ennemis, ce dernier usa de ses pleins pouvoirs pour se substituer en toute impunité aux électeurs et attribuer une victoire apparente au candidat CACH. Au regard du régime semi-présidentiel du pays, le despote s’attribuait en réalité la victoire en ayant la haute main, toujours grâce au truquage, sur l’Assemblée nationale et les Assemblées provinciales. Exercice qui se poursuivra à travers le vote des gouverneurs de province au cours duquel le FCC rafla la mise en achetant tout simplement le vote des députés provinciaux. Ainsi, le despote tenait par la barbichette le président « élu ». Depuis son intronisation le 25 janvier 2019, Felix Tshisekedi Tshilombo, puisque c’est de lui dont il est question, peine à former un gouvernement, piégé qu’il a été par son bienfaiteur et encombrant allié.
A l’instar de la quasi-totalité de ses prédécesseurs rois nègres, c’est auprès des médias occidentaux que Tshilombo, l’homme du changement dit radical, a consacré sa toute première interview exclusive: RFI et France 24. Ce fut à Lubumbashi, le 29 juin dernier. Comme il fallait s’y attendre, la question de son élection plus que controversée fut abordée. Laissons-lui la parole pour qu’il édifie les Congolais et le monde sur la solution aux élections truquées: « C’est vrai qu’il y a eu toutes ces irrégularités constatées, qu’on les appelle comme ça ou pas. C’est pour ça que je dis qu’à l’avenir pour éviter cela, nous allons maintenant lancer le recensement et l’identification de la population. Cela nous mettrait à l’abri de ce genre d’erreur regrettable ».
Le recensement et l’identification de la population constituent-ils un remède contre les élections truquées? Pour répondre à cette question, il convient d’examiner comment se passe généralement le tripatouillage électoral en Afrique. Avant, pendant et après la tenue des élections, des stratégies anti-démocratiques, choquantes et révoltantes sont mises en branle pour barrer la route du pouvoir à l’opposition ou aux opposants. Avant les élections, on peut citer le changement des lois électorales en défaveur de l’opposition. Je l’ai expliqué, par exemple, dans l’article « La démocratie de façade béninoise jette le masque » (CIC-2 mai 2019). On peut également citer les oukases du despote Joseph Kabila empêchant (i) le dédouanement du matériel de campagne du candidat à la présidentielle de 2006, le Dr. Oscar Kashala Lukumuena, (ii) la candidature réelle de Jean-Pierre Bemba et celle éventuelle de Moise Katumbi en 2018 ou encore (iii) la campagne électorale normale de Martin Fayulu et la tenue des élections dans des fiefs de l’opposition sous-prétexte de protéger la population contre la propagation du virus Ebola. Autres stratégies, l’enregistrement délibérément chaotique des électeurs dans les fiefs de l’opposition ou tout simplement l’existence d’un fichier électoral volontairement corrompu afin de faciliter la fraude. Pendant les élections, le bourrage des urnes est une stratégie devenue courante. La désorganisation intentionnelle du vote dans les bastions de l’opposition en est une autre. Après le vote, deux tactiques se disputent la vedette si elles ne vont pas ensemble. La terreur exercée soit sur les membres de la Commission électorale, soit sur ceux de la Cour constitutionnelle. Ou tout simplement l’achat de leurs consciences.
Qu’est-ce qui rend toutes ces astuces possibles? Une et une seule chose. L’énorme pouvoir que les constitutions africaines accordent aux présidents bien ou mal élus et qui explique qu’aucun contre-pouvoir ne soit en mesure de les contrôler et de les sanctionner comme le prévoient les mêmes constitutions. Le lecteur avisé l’aura remarqué, que la population d’un pays ait été ou non recensée ou identifiée avant les élections, cela ne change rien. Et quand le président congolais Félix Tshisekedi Tshilombo recommande le recensement et l’identification de la population comme antidote aux élections truquées, il nous renvoie à l’uniformité désespérante de la platitude et de l’ordure sur le plan du savoir. Car, c’est tout le système politique qu’il convient de reformer pour que les contre-pouvoirs deviennent effectifs.
Voilà donc un leader issu d’un parti politique vieux de 37 ans. Pendant 37 ans, l’UDPS a lutté courageusement contre toutes les dictatures successives au Congo-Kinshasa. Mais arrivé enfin au pouvoir par le fait du prince et confronté aux simples questions de gouvernance, il est aussi désarmé que les dictatures qu’il combattait au nom de la démocratie ou de l’Etat de droit. La lutte contre le pouvoir d’un individu ou d’une caste est une chose. Celle pour l’avènement de l’Etat de droit en est une autre. Si les slogans sont utiles à la première lutte, dans la seconde, les armes s’appellent « idées-outils ». A l’instar des autres formations politiques congolaises et des animaux politiques de grande envergure, l’UDPS et son propriétaire Tshilombo sont totalement démunis. Il ne faut donc pas s’étonner que sous son administration, le pays navigue à vue comme lors des dictatures qu’il combattait hier.
Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo