Dans ses efforts pour théoriser la République, Platon pose la question de savoir qui doit commander et qui doit obéir dans cette Cité parfaite (Cité idéale). En guise de réponse, il recourt au « conte phénicien » et fait parler Socrate qui plaide pour les hommes « reconnus capables de veiller à la garde des lois et des institutions du fait qu’ils possèdent quatre vertus caractéristiques: l’amour de la vérité, la tempérance, le courage et l’intelligence » et de rajouter « perfectionnés par l’éducation et l’expérience ». A eux seuls, dit Socrate, tu confieras le gouvernement de l’État.
La parabole « phénicienne » précise les qualités dont doivent se munir « ceux qui président à la coopération harmonieuse de tous les citoyens ». Parmi ceux qui naissent « il y en aura qui ont du fer et de l’airain dans leurs âmes; d’autres auront de l’argent et d’autres encore, auront de l’or. Les premiers seront les artisans et les laboureurs; les seconds, les gardiens et les troisièmes, ceux qui commandent ». Dans ces formulations Platoniennes, la République doit être gouvernée par les personnes qui ont l’état de conscience des « âmes d’or », le stade le plus éduqué de la conscience. La polis doit être administrée par des hommes qui ne font plus de différence entre la vie privée et la vie publique et qui consacrent toute leur vie à la recherche du Vrai, du Bien et du Beau.
A l’opposé de la République de l’excellence, le siège de la République des médiocres est sous l’emprise totale des individus dominés, selon la description du Léviathan de Hobbes, par la recherche des plaisirs et la fuite de la souffrance (les âmes de fer et d’airain). A la rigueur, on y repère quelques hommes singuliers, isolés, ayant conscience « d’âmes d’argent », dont « la vie privée continue à être dominée par la recherche des plaisirs et des choses passagères, mais dont la vie publique est désormais guidée par une certaine notion de devoir et par une approximation de la Raison ».
La République des médiocres, c’est aussi la décrépitude généralisée ou « l’ordre médiocre érigé en modelé ». En vérité, l’apophtegme de l’archevêque de Kinshasa, « il est temps que la vérité l’emporte sur le mensonge systémique, que les médiocres dégagent » charge vigoureusement contre « la médiocratie », cette maladie sociale virulente qui trahit la déchéance morale en cours en RDC.
En effet, les entrelignes des propos du Prélat Catholique déploient sa conviction de départ, qui synchronise foncièrement avec les postulats de la théorie de la médiocratie, élaborée par le philosophe Alain Denault (la médiocratie, Lux Editeur, Quebec, 2015): Les médiocres sont au pouvoir, la médiocrité est devenue la norme sociale qui gouverne l’entièreté de la société; le médiocre est devenu majoritaire, le moyen élevé au pouvoir. Selon Denault, « médiocrité » est en français le substantif désignant ce qui est moyen, tout comme « supériorité » et « infériorité » font état de ce qui est supérieur et inferieur. Il n’y a pas de « moyennété ». Mais « la médiocrité désigne le stade moyen en acte plus que la moyenne. Et la médiocratie est conséquemment ce stade moyen hissé au rang d’autorité. Elle fonde un ordre dans lequel la moyenne n’est plus une élaboration abstraite permettant de concevoir synthétiquement un état des choses, mais une norme impérieuse qu’il s’agit d’incarner ».
A l’antinomique de la vocation pour l’excellence et de l’impératif catégorique Kantien de l’éthique du devoir, l’emprise médiocratique est avant tout caractéristique d’un système politique qui forme, sélectionne et privilégie l’accession des individus considérés comme les moins brillants, dépourvu d’un cursus honorum, aux postes de responsabilité. Dans l’échange politique c’est « le médiocre qui fait le jeu et s’en tire » et c’est « le médiocre qui paie », c’est le médiocre qui a du succès: Pas le succès dans le travail, mais le succès social.
« Les symptômes de la médiocrité sont le sommeil de la pensée, l’acceptation de l’inacceptable comme ce qui est inévitable, la confusion du révoltant et du nécessaire ». Ce signal était patent, dans ses extrêmes et sa manifestation orageuse, à travers les méthodes de répression de la marche des chrétiens du 31 décembre dernier. Et, à la suite, la sortie médiatique du numéro Un de l’église Catholique en RDC, le cardinal Mosengwo Pasinya, condamnant les actes de « barbarie » commis par de « prétendus vaillants hommes en uniforme » a créé le branle-bas général dans les rangs et dans l’espace de la Majorité Présidentielle. Comme à l’accoutumée, celle-ci n’a pas hésité à tirer à boulets rouges sur le Cardinal. L’escalade verbale est servie. Le compte-rendu du Conseil des ministres du 5 janvier, évoquant implicitement la menace de poursuites à l’encontre du Prélat pour « propos injurieux à l’endroit des dirigeants du pays ainsi que des forces de l’ordre », les élocutions de M. Bitakwira, ministre du Développement rural, traitant le cardinal de « putschiste » ou encore le débat pathétique animé par le héraut de la « Révolution de la modernité » Jean Marie Kassamba, flanqué de John Lungila et Joachim Diana, ne sont que les éléments décoratifs de cette vendetta politique de mauvais goût.
Huit minutes et sept secondes peuvent paraître bien courts mais le Cardinal a relevé le pari fou, d’apporter en ce laps de temps, un souffle de révolte, de ras le bol et de défiance face au gouvernement en place. Huit minutes et sept secondes pour que tel un tsunami, ses mots soulèvent une vague d’indignation dans le cœur du congolais patriote.
Mais, la République des médiocres, est aussi une autocratie qui s’assume avec la complicité d’une opposition d’accompagnement, corrompue, déboussolée et en mal de leadership. L’opinion publique congolaise devrait s’appesantir tant soit peu sur la nature et développement des « oppositions » au Régime de J. Kabila. Le degré de structuration idéologique ou programmatique des regroupements politiques qui se déclarent de l’opposition induit à une complémentarité coopérative avec le régime, ce qui explique la versatilité idéologique et l’opportunisme politique qui prolonge l’agonie du régime de J. Kabila.
L’acuité de la décrépitude politique et morale au Congo- Kinshasa interpelle les hommes et les femmes « au-dessus de la moyenne » et mobilisés à la cause patriotique pour se joindre à un nouveau projet politique et social novateur, refondateur à même de jeter les jalons d’un régime politique qui permette de concilier la justice et le bonheur dans la Cité.
Puisque la politique rencontre les projets, les réalités et, par-dessus tout, la nation et le souci du bien commun, l’excellence des hommes au gouvernail de la communauté politique est un atout nécessaire et un gage de succès. Cependant, l’action politique doit se déployer à l’intérieur d’un cadre des valeurs d’humanisme, de solidarité et de justice. Une bonne part du sens de l’existence humaine, écrit Deneault, ne réside-t-elle pas dans la résistance à l’ordre établi, dans le refus de la facilité, dans le rejet énergique de la démission et de la paresse, bref dans la lutte farouche contre la médiocrité?
Dr. Kayamba Tshitshi Ndouba
© Congoindépendant 2003-2018