La RD Congo doit éviter le piège de l’endettement

Théoriquement, la RD Congo bénéficie d’une marge pour s’endetter. Mais le pays peine à verser à temps les salaires des fonctionnaires et à payer la dette intérieure. La question qui se pose est de savoir si les calculs du PIB effectués par la Banque centrale du Congo sont corrects, si la richesse nationale est évaluée à sa juste valeur.

Gaston Mutamba Lukusa

En 2023, l’encours de la dette publique de la RD Congo s’élève à 10,560 milliards de dollars américains  (soit 17,81% du PIB) d’après la Direction générale de la dette publique (DGDP). La dette extérieure se situe à 6,848 milliards de dollars et la dette intérieure est de 3,712 milliards. Le service de la dette publique est évalué à 813,88 millions de dollars durant la période. Les tirages sur la dette extérieure se chiffrent pour toute l’année 2023 à 1,519 milliards. Avec la croissance de la dette extérieure, Il est temps de songer à éviter que le Congo-Kinshasa ne retombe dans la crise de l’endettement comme par le passé.

Le gaspillage des ressources d’emprunt

La grosse partie de la dette extérieure avait été contractée vers le début des années 1970. On se rappellera qu’au lendemain de la guerre de KIPPOUR en 1973 qui fut suivie du quadruplement des prix des produits pétroliers, les pays producteurs de pétrole et les banques se sont retrouvés avec des capitaux importants dont ils ne savaient quoi faire. Il fallait que les organismes financiers rentabilisent ces fonds en les prêtant à d’autres. Plus c’était gros, mieux ça allait ! C’est l’époque où des pays sous-développés étaient courtisés pour qu’ils puissent emprunter ces fonds. Ainsi, durant la période 1970-1978, la dette extérieure du Zaïre s’est accrue en termes nominaux tout comme par rapport au PIB et aux exportations. Le service de la dette, qui était de 8% des recettes d’exportation en 1970 est passé à 33,2% en 1978 et à plus de 40% au courant des années 1980. Les montants empruntés ont servi à des investissements peu rentables et de prestige. C’est le cas de la ligne haute tension Inga-Shaba, de la Cité de la Voix du Zaïre, de la Sidérurgie de Maluku. Le service de la dette extérieure s’est par la suite amplifié du fait de la prise en compte par l’Etat de la dette de certains particuliers née de la zaïrianisation ou même de la défaillance de certains promoteurs face à leurs obligations extérieures qui étaient garanties par l’Etat. C’est le cas des brasseries SOBRABAND (Société de brasseries du Bandundu) et BRANA (Brasseries nationales), de l’usine de fabrication de levure LEZA (Levurerie du Zaïre), de la savonnerie COMINGEN etc. Il convient d’ajouter à cette catégorie les obligations extérieures de certaines entreprises publiques. En août 1988, le gouvernement avait décidé d’alléger les charges d’endettement extérieur des entreprises ayant bénéficié des prêts rétrocédés et des prêts privés garantis par l’Etat en supportant le risque de change sur les arriérés de remboursement et en réduisant le taux d’intérêt sur les encours. Il y a eu aussi le cas des prêts BDGEL (Banque de développement des Grands lacs), dont la charge avait été amputée à l’Etat mais pour lesquels le gouvernement décidera le 12 avril 1996 de rapporter l’ordonnance –loi n°  87-026 du 07 juillet 1987 instituant au sein de l’OGEDEP (Office de gestion de la dette publique) un fonds de couverture du risque de change couvrant les emprunts en devises à long terme dont la durée de remboursement dépasse 5 ans. Cette ordonnance obérait aussi les charges de l’Etat, car elle couvrait  les emprunts contractés par les institutions locales de financement ou par les entreprises privées avec la garantie de l’Etat.          

Les difficultés du service de la dette extérieure

Vers la fin des années 1980, le Zaïre n’était plus capable d’assurer de manière régulière son service de la dette extérieure. La situation paraissait évoluer de manière explosive. Le transfert net annuel de ressources en faveur du pays était négligeable, si pas négatif. Les investissements diminuaient. Le taux de croissance du PIB était en baisse mais la dette extérieure continuait à augmenter à cause essentiellement de la capitalisation annuelle des intérêts par l’effet  «boule de neige ». Fin 1989, l’encours total de la dette extérieure s’élevait à 7,771 milliards de dollars américains. La dette extérieure passera à  9,781milliards de dollars en 1990 par le jeu des rééchelonnements du principal. A chaque consolidation de la dette venait s’ajouter un montant important d’intérêts. En 1990, les montants globaux consolidés des intérêts s’élevaient à plus de 50% de la dette extérieure. Les obligations financières continuaient à s’accroître sous l’effet des intérêts de capitalisation alors que le pays ne bénéficiait d’aucun prêt depuis plusieurs années. Le Zaïre, outre le fait qu’il a recouru dans le passé à plusieurs restructurations de sa dette extérieure, avait pratiquement arrêté depuis 1991 d’assurer le service de celle-ci. On arrivait ainsi à  une situation où la dette était constituée à près des 2/3 des intérêts de retard. Un autre problème auquel personne ne portait suffisamment attention jusque là commençait à prendre jour. C’était le service de la dette dû aux partenaires multilatéraux, notamment le FMI, qui n’ était pas ré échelonnable à cette époque. Le service dû au FMI en 1989 s’élevait à 403,8 millions de dollars sur lequel l’Etat a exécuté 385,4 millions de dollars. Il subsistait des arriérés s’élevant à 18,4 millions de dollars. Depuis lors, ces arriérés iront en s’amplifiant pour atteindre 438 millions de dollars en 1997. A noter qu’à fin 2023, la dette envers les multilatéraux s’est beaucoup accrue. Elle s’élève à 5,734 milliards de dollars, soit 78,84%. La part du FMI est de 1,948 milliards de dollars (28,46%) et pour la Banque mondiale (IDA) 3,017 milliards soit 44,06%.

Effacement d’une grande partie de la dette extérieure

La République Démocratique du Congo a atteint, le 1er juillet 2010, le Point d’achèvement de l’Initiative PPTE et de l’Initiative d’allègement de la dette multilatérale (IADM). Cela s’est traduit par l’annulation de 10,8 milliards de dollars sur un stock nominal de 13,7 milliards de dollars. Ainsi, après l’allègement, le stock de la dette fut ramené à 2,9 milliards de dollars américains. L’obtention de l’allègement de la dette devrait permettre d’affecter des ressources vers des investissements, condition sine qua non d’un développement durable. Le pays devait aussi éviter de s’endetter à nouveau pour financer des projets non rentables. A fin 2013, le stock est monté à 5,2 milliards de dollars pour descendre à 4,9 milliards de dollars à fin 2014. La quasi-totalité de ce stock était constitué des dettes à moyen et long terme, contractée principalement auprès des institutions multilatérales. Au 31 décembre 2015, l’endettement extérieur de la RDC est de 4,796 milliards de dollars, soit près de 12,68% du PIB, sur lequel un total de 2,121 milliards de dollars est dû aux Institutions multilatérales. A fin décembre 2016, le stock de la dette publique s’élève à 5,926 milliards de dollars dont 1,384 milliards de dette intérieure, 4,542 milliards de dollars de dette extérieure et 1,270 milliards de passif conditionnel constitué principalement de l’emprunt SICOMINES. Le service de la dette publique de l’année 2016 est de 265,55 millions de dollars dont 259,93 millions pour la dette extérieure et 5,62 millions pour la dette intérieure. Depuis que la RD Congo a atteint le point d’achèvement de l’Initiative PPTE, la Chine est devenue son plus grand partenaire bilatéral. L’encours de la dette due à ce pays, à fin décembre 2016, avoisine les 20,15% du portefeuille de la dette courante et 9,45% du portefeuille total contre environ 1,53% et 0,72% pour le Club de Paris. Le service de la dette extérieure demeure encore tolérable après l’annulation d’une grande partie de l’endettement grâce à l’Initiative PPTE. Depuis, c’est la Chine qui tire les marrons du feu au détriment des pays occidentaux qui avaient effacé la dette. Mais la Chine est devenue le plus grand partenaire commercial de la RD Congo et un des grands créanciers.

La prudence s’impose dans la politique d’endettement

La dette peut être un moyen de stimuler la croissance économique si elle est utilisée de manière efficace et durable. L’endettement doit être géré de manière responsable. Une dette excessive pose toujours des défis importants en termes de soutenabilité et de gestion économique. Actuellement, le ratio dette/PIB qui est de 17,81% est acceptable. En comparaison, le ratio dette publique/PIB de l’Afrique subsaharienne avoisine les 25,6%. Théoriquement, la RD Congo bénéficie d’une marge pour s’endetter. Mais le pays peine à verser à temps les salaires des fonctionnaires et à payer la dette intérieure. La question qui se pose est de savoir si les calculs du PIB effectués par la Banque centrale du Congo sont corrects, si la richesse nationale est évaluée à sa juste valeur. En cas d’emprunt excessif sur les marchés, est-ce que le gouvernement pourra faire face aux deux dans les délais, à savoir payer les fonctionnaires et rembourser la dette dans un contexte marqué par la hausse des taux d’intérêt et par la guerre dans l’Est du pays. Une dernière question est de savoir dans quel secteur rentable ces fonds empruntés pourraient être dirigés. Les autorités politiques doivent s’assurer que la dette a été utilisée pour financer des projets productifs et générateurs de croissance et d’effets d’entraînement suffisants pour assurer son remboursement. Sinon, le pays risque de retomber  dans la crise d’endettement.  

Gaston Mutamba Lukusa

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