Partenaire à ce projet, la direction d’Ethiopian Airlines souhaite que les postes clés, notamment la direction générale soient confiés à ses cadres. Ce n’est pas tout. Les interférences politiques dans la gestion de la compagnie sont à bannir. Le management de la future compagnie doit être à l’abri de la corruption.
Au mois d’avril, le gouvernement annonçait la conclusion d’un accord de partenariat avec Ethiopian Airlines pour la création d’une nouvelle compagnie aérienne dénommée « Air Congo S.A. ». Dans cette nouvelle société, Ethiopian Airlines prend 49% des parts et l’Etat congolais, 51%, pour un capital de départ de 20 millions de dollars. Ethiopian s’engage à mettre au moins sept avions à disposition de la nouvelle compagnie.
Le projet qui devait débuter en juillet pourrait prendre du retard. Suivant le magazine Jeune Afrique du 7 juillet, « si le président d’Ethiopian Airlines se dit intéressé par le potentiel du marché congolais, sur lequel sa compagnie pourrait positionner sept avions, il entend en revanche se montrer ferme quant aux conditions de fonctionnement de la future Air Congo… Il ne s’agit pas seulement de prendre des parts dans le capital, mais aussi de passer un contrat de management ». Concernant la gestion de la nouvelle société, les responsables d’Ethiopian Airlines souhaitent que les postes clés, notamment la direction générale, soient assurés par ses hauts cadres, comme cela est le cas dans les autres filiales africaines d’Ethiopian, à savoir Asky Airlines, Zambia Airways, Malawi Airlines et Tchad Airlines. Ils exigent aussi qu’il n’y ait pas d’interventions politiques dans la gestion de la compagnie et que le gouvernement veille à ce que des cas de corruption ne puissent pas entacher le management de la future compagnie. Une démarche qui est tout à fait justifiée au regard de l’expérience des compagnies aériennes nationales congolaises.
LES INTERFÉRENCES DE L’ETAT ONT ÉTÉ NÉFASTES
A sa création en 1961, Air Congo qui deviendra Air Zaïre en 1971, est une société dont les apporteurs des capitaux sont la République démocratique du Congo et la SABENA ainsi que des intérêts belges. La grande particularité à relever est l’interpénétration des intérêts entre Air Congo et SABENA par le système des capitaux croisés. Air Congo a des participations dans le capital de la SABENA, de même SABENA en a dans Air Congo. Le Président du conseil d’administration d’Air Congo est Vice-président à la SABENA et inversement celui de la SABENA l’est dans Air Congo.
Ce mariage d’intérêts ne résistera pas aux soubresauts politiques entre le Congo et la Belgique. En 1966, le gouvernement congolais décide de sortir Sabena et les intérêts belges du capital de la société Air Congo au profit des entreprises congolaises à savoir Banque nationale du Congo, OTRACO (Office de transport fluvial), INSS (Institut national de sécurité sociale), Société de crédit aux classes moyennes et à l’industrie et OTCC (Office des transports en commun du Congo). En 1978, le gouvernement décidera de transformer Air Zaïre en une entreprise à caractère commercial avec l’apport en capital du seul Etat congolais. La société disposait non seulement d’un important patrimoine matériel et immobilier mais aussi d’une expertise humaine avérée. A son apogée en 1971, la société comptait 31 aéronefs contre seulement 4 en 1996 (1 DC10-30, 1 DC8 et 2 Boeings 737-200). Ce sont les conséquences d’une confusion dans les rapports de l’Etat monarque qui était à la fois entrepreneur, actionnaire, client et pouvoir public. L’Etat a continué à s’immiscer dans la gestion de la société de façon dramatique.
Pour améliorer son administration qui devenait défaillante au fil des années, le gouvernement passa des contrats de gestion avec des compagnies aériennes étrangères. Ce fut le cas de la PAN AM en 1971 et de l’UTA en 1986. Ces contrats furent à chaque fois résiliés par le gouvernement par manque de résultat. Finalement Air Zaïre fut déclarée en faillite en 1995 par un tribunal belge. La faillite d’Air Zaïre fut la résultante de nombreux défauts et des erreurs de gestion dont la responsabilité est partagée entre l’Etat, propriétaire et client, et les mandataires défaillants placés à la direction de l’entreprise. La société Air Zaïre, appartenant à 100% à l’Etat, disposait d’une importante flotte aérienne ainsi que de grandes installations pétrolières de stockage et de pompage de carburant aviation sur tous les aéroports du pays. La société avait aussi une grande installation de maintenance des aéronefs à Kinshasa ainsi que de plusieurs matériels de handling pour l’assistance des avions pendant les escales. Elle possédait aussi un capital immobilier à travers le pays et dans certains pays africains. A tout ceci, il faut ajouter une expertise humaine avérée comprenant un personnel hautement qualifié: navigants, techniciens et autres spécialistes d’aviation formés au pays et dans certaines grandes écoles d’aviation européennes et américaines. Elle avait un important fonds de commerce constitué par un réseau international des lignes exploitées découlant du portefeuille des droits de trafic lui concédé par l’Etat. Enfin, Air Zaïre disposait d’importantes créances sur l’Etat résultant des réquisitions et affrêtement d’avion, de l’octroi des billets pour passagers ainsi que les transports de fret de l’Etat. Malgré tout cela, la société est tombée en faillite à la suite d’une mauvaise gestion et de l’impunité à l’égard des mauvais dirigeants nommés par l’Etat grâce à un système de clientélisme politique.
En 1997, une société dénommée Lignes Aériennes Congolaises (LAC) remplace Air Zaïre. Elle tomba peu après en faillite et cessa toute activité en 2003. C’est alors qu’en 2005, une nouvelle compagnie aérienne portant le même nom de LAC, fut ressuscitée avec un nouveau certificat de navigation et de nouveaux partenaires tel que Bravo Airlines. La compagnie fut à son tour dissoute et mise en liquidation, le 21 septembre 2012, sur décision du gouvernement prise en conseil des ministres. Pour desservir le territoire national, une société du nom de Korongo Airlines fut créée en 2009 à la suite d’un partenariat entre Brussels Airlines et des hommes d’affaires belges, à savoir le Groupe Forrest International. La société fut officiellement enregistrée le 13 avril 2010 et prit l’air le 16 avril 2012. La société Korongo Airlines fut malheureusement liquidée le 4 septembre 2015 en raison du taux d’occupation jugé insuffisant pour sa rentabilité nonobstant un taux de remplissage moyen de 70%. Mais la raison principale fut la concurrence accrue avec la création de la compagnie Congo Airways. Celle-ci fut créée le 15 août 2014 avec comme actionnaires : l’Etat congolais (40%), la Caisse nationale de Sécurité Sociale (CNSS, ex-INSS) (31%), le Fonds de Promotion de l’industrie (FPI) (8%), la Société congolaise des Transports et Ports (SCTP) (8%), la Régie des voies aériennes (RVA) (6%), l’Office de Gestion du Fret Multimodal (OGEFREM) (3%), la Générale des carrières et des mines (GECAMINES) (2%) et les employés (2%).
UNE COMPAGNIE NATIONALE AÉRIENNE EST NÉCESSAIRE
En raison de l’étendue du pays (2.345.000km²) et de la dégradation des voies terrestres et ferroviaires, le transport aérien joue un rôle important dans les déplacements des voyageurs, les mouvements de marchandises et l’unification géographique. Le gouvernement devrait donc veiller à la création d’une compagnie aérienne nationale prospère. Si Air Zaïre avait été mieux gérée, elle aurait pu posséder, à l’heure actuelle, plus que les 150 avions d’Ethiopian Airlines, compagnie aérienne nationale fondée en 1945 et contrôlée à 100% par l’État éthiopien.
Nous devons songer à faire de même. Ce qui est perturbant est que même la société Congo Airways s’illustre aujourd’hui par les mêmes maux que ceux reprochés à Air Zaïre à l’époque: management déficient, mauvais services à bord, retards et annulations des vols sans explications etc.. Aujourd’hui, Congo Airways qui est une société mixte, connait d’énormes difficultés financières. A titre d’exemple, il y a eu l’annulation d’un accord de leasing signé en septembre 2021 avec Kenya Airways pour six mois renouvelables avec option d’achat portant sur deux Embraer E190. Ce contrat ne fut pas prolongé au-delà du 15 mars, date de la première échéance, pour insolvabilité de la part de Congo Airways. Cette situation avait déjà été certifiée par l’Inspection générale des Finances à la suite d’un contrôle de gestion diligenté le 12 janvier 2021. Les inspecteurs de l’IGF avaient épinglé un risque élevé de faillite comme les pertes enregistrées dépassaient le capital social.
De même, les indicateurs de gestion étaient au rouge. C’est le cas de la situation nette, du fonds de roulement, de la trésorerie nette, de la rentabilité économique, de la solvabilité et de l’autonomie financière. L’IGF a aussi dénoncé l’absence d’une politique de rationalisation des charges, la mauvaise allocation des ressources financières, l’échec total dans l’atteinte des objectifs assignés à la société dans le cadre de l’agrément au code des investissements.
Comble de tout, Congo Airways ne procédait ni à la déclaration ni au paiement des impôts dus à l’Etat. Au regard de ce tableau sombre, il y a lieu de se demander quand et comment le Congo-Kinshasa pourrait disposer un jour d’une compagnie nationale aérienne viable et rentable.
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Gaston Mutamba Lukusa