Dès le lendemain du discours prononcé le 24 avril 1990 par le président Mobutu Sese Seko annonçant la restauration du pluralisme politique, un principe revenait comme un credo dans la bouche des politiciens zaïrois en mal de positionnement. Il s’agit de « l’Etat de droit ». Où en est-on près de vingt-huit années après?
En octobre 1996, l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre) n’a pas résisté à la tentation de fredonner la même rengaine. Ce « conglomérat d’aventuriers », dixit le président Laurent-Désiré Désiré justifiait sa « guerre de libération » par la nécessité notamment d’ « instituer l’Etat de droit ».
Quid du résultat? Vingt-deux années après la « libération », le constat est là: le miracle n’a pas eu lieu. Les Zaïro-Congolais continuent à ployer sous l’arbitraire. D’aucuns estiment que les abus et excès du pouvoir sont devenus pires qu’à l’époque du MPR- parti Etat.
ETAT DE DROIT ET LÉGALITÉ
L’Etat de droit est une traduction du vocable allemand « Rechsstaat » qui signifie un Etat où règne la primauté du droit. Un Etat où les citoyens, grands ou petits, sont soumis à la loi au sens le plus large. Mieux, « un Etat dont l’ensemble des autorités politiques et administratives, centrales et locales, agit en se conformant effectivement aux règles de droit en vigueur et dans lequel tous les individus bénéficient également de libertés publiques et de garanties procédurales et juridictionnelles », précise le Lexique des termes juridiques édité par Dalloz.
L’Etat de droit a pour corollaire la légalité. C’est quoi donc la légalité? C’est tout simplement l’ensemble des actes qui sont conformes à la loi au sens large. Par loi, il faut entendre notamment la Constitution, la loi au sens strict, les décrets, les arrêtés, les édits, les règlements etc.
Le principe de légalité renvoie à l’idée que toute décision émanant d’une autorité judiciaire ou administrative ne peut être légitime que lorsqu’elle se fonde sur un texte légal. En clair, tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché. De même, nul ne peut être contraint de faire ce que la loi ne commande pas de faire.
Depuis le 30 décembre 2017, cinq militants du mouvement citoyen « Filimbi » sont détenus au secret dans un cachot de l’ANR (Agence nationale de renseignements), avec à leur tête Carbone Beni, le coordonnateur de cette organisation.
En prévision de la marche pacifique organisée le 31 décembre dernier par le Comité laïc de coordination (CLC), ces activistes faisaient du porte-à-porte pour exhorter la population à participer à cette manifestation.
ARRESTATION ARBITRAIRE
Selon l’avocat Chris-Sam Kabeya, conseil du « Filimbi », « Carbone » et ses camarades sont accusés d’ « outrage au chef de l’Etat » en l’occurrence « Joseph Kabila » dont le dernier mandat a expiré le 19 décembre 2016. Selon la Commission électorale nationale indépendante, le corps électoral pourra aller aux urnes le 23 décembre prochain.
On le sait, le « CLC » demande au Président sortant – qui use et abuse de stratagèmes pour faire durer sa présence à la tête de l’Etat – de prendre l’engagement solennel de ne pas briguer un nouveau mandat. Une telle exigence est-elle constitutive d’une infraction? Si oui, quelle est le texte légal qui interdit à un citoyen congolais de demander au premier magistrat du pays de respecter son serment « d’observer et de défendre la Constitution et les lois de la République »?
L’article 18-4 de la Loi fondamentale énonce que la garde à vue ne peut excéder 48 heures. Près de trois mois après leur arrestation arbitraire, les cinq militants du Filimbi attendent toujours que le « raïs » et son chef barbouze Kalev Mutondo fassent preuve de « magnanimité » en les mettant à la disposition des autorités judiciaires.
Selon l’avocat Georges Kapiamba président de l’ONG « ACAJ » (Association congolaise pour l’accès à la justice), un de ses confrères a été arrêté pour avoir exposé dans sa voiture, l’effigie de l’ancien gouverneur du Katanga Moïse Katumbi Chapwe. Quelle est la base légale d’une telle arrestation? Voilà une histoire ubuesque qui confirme l’ancrage du « Congo libéré » dans le « club » des « Etats voyous ».
On ne pourrait s’empêcher de citer, parmi tant d’autres exemples, le cas de l’ex-PPRD Gérard Mulumba, alias Gecoco. Accusé d’ « outrage au chef de l’Etat », l’homme a été arrêté par l’ANR. Le 5 février dernier, l’Agence – qui est rattachée au Président de la République – a fait obstruction à la libération provisoire décidée par le parquet général près la Cour d’appel de la Gombe.
Douze mois après la promulgation de la Charte suprême en vigueur, « Joseph Kabila » a réussi l’exploit de replonger le pays dans la crise de légitimité. En cause, la dérive dictatoriale tant redoutée par les législateurs de 2005.
QUE FAIRE?
Dans une interview accordée à Congo Indépendant en mars 2008, Floribert Chebeya Bahizire, alors directeur exécutif de l’association de défense des droits de l’Homme « La Voix des Sans Voix », déclarait notamment: « Les Congolais espéraient que les élections présidentielles et législatives organisées en juillet 2006 allaient permettre à leur pays de sortir de la mauvaise gouvernance et de s’engager de manière ferme et résolue sur le chemin de l’Etat de droit. Hélas, c’est la désillusion! » Le respect de la légalité constitue plus que jamais un des « brillants échecs » du régime « Kabila ».
Dès que le « chapitre » « Joseph Kabila » sera définitivement tourné, les législateurs congolais devraient se remettre au travail. L’objectif serait de procéder à des « correctifs » au niveau institutionnel.
L’entrée du « Grand Congo » dans le petit cercle des Etats de droit, respectueux de la légalité et nécessite au moins trois réformes majeures. Primo: doter le pays d’une Justice efficace et indépendante – animée par des magistrats dont le processus de nomination ne sera plus tributaire du « pouvoir discrétionnaire » d’une seule institution. Secundo: dissoudre la garde présidentielle. Enfin: placer la police nationale, les services de renseignements civils et militaires sous la tutelle respective des ministères de l’Intérieur, de la Justice et de la Défense nationale. Et sous le contrôle d’une commission ad hoc du Parlement.
Baudouin Amba Wetshi
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