C’est un procès sans précédent – en Afrique subsaharienne – qui se déroule depuis fin octobre 2022 devant un tribunal criminel spécial à Conakry.
Sur le banc des accusés, il y a dix prévenus dont l’ex-président guinéen, le très fantasque capitaine Moussa Dadis Camara et son ex-aide de camp le commandant Aboubacar Sidiki Diakité, alias « Toumba ».
Des accusations gravissimes (meurtres, viols, tortures) sont articulées, à divers degré, à l’encontre de ce beau monde parmi lequel d’ anciens ministres.
Le 28 septembre 2009, des manifestants sont réunis au Stade de Conakry. But: protester contre la candidature de « Dadis » à l’élection présidentielle. La manifestation s’est terminée par un bain de sang. Des éléments de la « garde présidentielle » sont suspectés d’avoir commis ces atrocités. Qui a fait quoi?
Indépendant depuis 1958, la Guinée-Conakry a été dirigée, d’une main de fer, vingt-six années durant, par Ahmed Sekou Touré qui mourra le 26 mars 1984 à Cleveland aux Etats-Unis suite à une attaque cérébrale. Qui oubliera le « Camp Boïro » où le président Touré faisait mourir de faim et de soif les opposants à son régime ou prétendus tels.
Sekou Touré est mort. Une semaine après, l’armée guinéenne « ramassa » le pouvoir un certain 3 avril 1984. A la tête du nouveau régime de, il y a le très falot colonel Lansana Conté qui devint calife à la place du calife. Le 22 décembre 2008, le nouveau Président, promu général, quitta à son tour la terre des hommes. Et ce suite à une longue et pénible maladie. C’est ici que commence une page d’histoire burlesque de l’histoire de la Guinée. Une histoire aux allures de « blague d’étudiants ».
Un certain capitaine Moussa Dadis Camara, gestionnaire du « carburant » de l’armée, veille au grain. Il veut succéder à Conté. Un jour, lui et son acolyte « Toumba » – médecin-militaire doté d’une témérité folle – échafaudent un scénario de prise du pouvoir qui réussi sous la barbe des colonels et généraux.
Le 23 décembre 2008, « Dadis » devient Président. Mine de rien. Toumba est chargé de la sécurité présidentielle. « Durant les trois premiers mois, tout baigne dans l’huile, raconte Toumba. Au quatrième mois, le Président s’est mis à recruter les ‘gens de chez lui’ pour servir dans une milice. Je ne contrôlais plus rien. Le climat est devenu délétère à la Présidence de la République où le ‘patois du village’ de Dadis est devenu la langue de travail ». Bonjour le tribalisme!
L’appétit venant en mangeant, un jour, « Dadis », devenu très impopulaire à cause notamment de ses pitreries, fait savoir sa volonté de postuler à l’élection présidentielle. Au grand dam tant de l’opposition que de la société civile. Celles-ci lui reprocha d’avoir trahi sa promesse de diriger le pays uniquement durant la transition.
Le 28 septembre 2009, les leaders socio-politiques organisent une journée de protestation au Stade de Conakry. « Le pouvoir est dans la rue. Ils vont le regretter. Il faut les mâter ». L’homme qui parle n’est autre que Moussa Dadis Camara. La suite est connue. Bilan: 156 morts, 1.480 blessés et 36 femmes violées.
Après cette tragédie, les relations se sont détériorées entre « Dadis » et son aide de camp. Le premier accuse le second d’avoir commandé les « éléments » à l’origine de la répression. Faux, rétorqua le second. Au cours d’une vive explication, le commandant Toumba sortit son arme. Un coup de feu est parti. Moussa Dadis s’écroule. Il est atteint à la tête. C’est la fin de son régime. C’était le 3 décembre 2009. Toumba prend le large. Il sera arrêté au Sénégal.
Depuis le début de ce procès, les magistrats guinéens ont démontré à la face du monde que l’Afrique noire dispose des cadres bien formés mais qui évoluent dans de mauvais systèmes. Les guinéens ont démontré qu’il suffit d’un peu de liberté pour que les cadres africains donnent le meilleur d’eux-mêmes.
Le juge-président Ibrahima Sory 2 Tounkara sort du lot. Agé de 45 ans, l’homme fait la fierté de l’Afrique. D’abord par son humilité. Ensuite par sa compétence et sa sérénité. La procédure en matière pénale étant accusatoire, le juge Tounkara, formé en Guinée, joue à fond son rôle « d’arbitre » en veillant au respect des droits de la défense ainsi qu’à ceux des parties civiles. Coup de chapeau au représentant du ministère public et ses substituts. On est loin de l’époque des « tribunaux populaires » où le procès n’était qu’un cirque. Vive la justice guinéenne! Un modèle à suivre.
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Baudouin Amba Wetshi