Les témoignages qui nous viennent de Kwamouth, dans le Mai-Ndombe, ressemblent étrangement aux informations que nous recevions de Beni à partir d’octobre 2014 et qui m’avaient amené à mener des recherches dont l’aboutissement fut la publication de mes livres: « Les Massacres de Beni » et « Les Génocides des Congolais ».
A Beni, comme à Kwamouth, on se réveille avec des scènes de tueries d’une cruauté extrême sans aucune explication rationnelle. Une narration officielle se met en route pour attribuer ces tueries à des acteurs dont la culpabilité se révèle être improbable. Pourquoi les Teke et les Yaka se mettraient-ils aujourd’hui à s’entretuer avec une telle cruauté, alors qu’ils ont toujours vécu en paix depuis des lustres? A Beni, je m’étais posé la même question épistémologique: pourquoi les ADF, une rébellion ougandaise fossilisée depuis des années, se mettraient-ils tout d’un coup à massacrer la population locale avec une telle ferveur?
J’ai commencé à démêler le vrai du faux en analysant des mouvements migratoires en provenance du Rwanda et le mode opératoire des escadrons de la mort. A Beni, ces mouvements migratoires ont connu véritablement deux phases décisives. En 2009, en application de l’accord du 23 mars 2009 signé entre le pouvoir de Joseph Kabila et la milice rwandaise du CNDP, le Rwanda avait déversé des milliers de ses soldats dans l’est du Congo où Kinshasa leur avait cédé presque toutes les lignes de front, du nord Katanga à l’Ituri en passant par le Sud-Kivu et le Nord-Kivu. Pendant quatre ans, les officiers de renseignement rwandais, brassés/mixés dans les FARDC, ont pris le temps d’explorer tous les recoins des campagnes de cette partie du Congo, de cerner les petits conflits locaux et de préparer des plans pour frapper les points de fragilité le moment venu. La deuxième phase des vagues migratoire s’est opérée à partir de décembre 2013 après la déroute du M23 dont les éléments essayaient d’implanter des populations rwandaises chassées de la Tanzanie dans le Rutshuru. Les combattants du M23 et ces populations se sont retrouvés au Rwanda et en Ouganda d’où ils se sont mis à revenir en masse au Congo sous l’identité galvaudée de « Banyabwisha » ou « Hutu de Masisi ». Aidés par les officiers rwandais brassés/mixés dans les FARDC, en application de l’accord du 23 mars 2009, ces masses des Rwandais, dont des criminels que le Rwanda sortait de prison, se sont déversés dans les campagnes de Beni et en Ituri où leurs compatriotes, des officiers rwandais brassés dans les FARDC, avaient déjà identifié des espaces favorables pour leur installation. La suite, on la connait.
Dès qu’ils étaient en nombre suffisant dans les FARDC et dans les campagnes de Beni-Ituri, ils ont lancé des attaques contre les autochtones qui, hibernés dans leur naïveté, n’avaient pas vu venir le péril derrière ces vagues migratoires et les politiques de brassages/mixages. Depuis, des familles entières sont exterminées à coups de machette, presque tous les jours, tandis que des dizaines de villages ont été vidés de leurs autochtones.
Pour revenir à l’affaire de Kwamouth, dans le Mai-Ndombe, difficile d’expliquer le rôle exact du Rwanda si on se limite aux seuls témoignages des survivants des tueries qui décrivent pourtant assez clairement le profil des escadrons de la mort. Si à Beni, les forces rwandaises et les vagues des migrants étaient visibles, au Mai-Ndombe, à plus de mille kilomètres de Beni, on peine à croire que le Rwanda puisse avoir la capacité de frapper le Congo aussi durement. Pourtant, ceux qui suivent l’histoire du Congo depuis l’AFDL savent que tous les espaces névralgiques de la RDC, durant les 18 ans de la présidence de Joseph Kabila, étaient sous contrôle des services de renseignement rwandais. De très nombreux témoignages faisaient état des arrivées massives des avions bondés en provenance du Rwanda, qui après avoir déposé des centaines de leurs occupants, repartaient à Kigali sans que personne à Kinshasa sache où ces dirigeaient ces personnes. Plusieurs sources m’ont appris que la plupart de ces nouveaux arrivants se dirigeaient vers le Kongo Central et le Bandundu. Si je comprenais que le Rwanda renvoie ses forces au Kongo Central où la déroute de Kitona face à l’armée angolaise en 1998 devait le hanter, l’implantation dans le Bandundu me laissait sans hypothèse qui tienne la route. Ces rotations d’avions se sont accélérées après l’arrivée de Félix Tshisekedi et l’ouverture du ciel de la RDC à la compagnie « RWANDAIR ». Les avions rwandais atterrissaient à Kinshasa pleins et repartaient à Kigali presque vides. Un jour, un officier rwandais s’est vanté dans une vidéo affirmant que grâce à « RWANDAIR », les forces rwandaises ne sont plus obligées de parcourir de longues distances pour atteindre leurs cibles. Ils décollent, frappent et repartent au Rwanda pour danser en célébrant la réussite de leur opération. Bien avant ces rotations d’avions, il y eut l’affaire d’une arrivée surprise des bouviers rwandais avec des troupeaux de zébus (vaches à longues cornes) dans le Bandundu au grand étonnement des populations locales. C’était en janvier 2018, alors que Joseph Kabila sentait la fin de son règne. A l’époque, j’avais publié un message indiquant que le Bandundu, seule région épargnée par les massacres, va devenir le théâtre des massacres comme le reste de la RDC.
J’ai longtemps souhaité me tromper dans mes projections et cru que l’affaire de Yumbi n’était qu’un incident isolé. Je crains que mes craintes soient en train de se réaliser. De plus, avec l’acquisition par le Rwanda d’un vaste domaine à Maloukou, de l’autre côté du fleuve, au Congo-Brazza, et l’emprise militaire du Rwanda sur le président centrafricain Touadera, les Congolais doivent sérieusement s’inquiéter pour la sécurité de leur pays. En particulier au vu de la faible capacité des dirigeants de la RDC à décrypter les périls sécuritaires sur un temps long, mais surtout au vu de l’inavouable tropisme pro-Kagame de l’écrasante majorité des politiciens congolais, par fidélité à leur passé dans les mouvements armés partis du Rwanda depuis l’AFDL/1996, et à qui ils doivent leurs confortables carrières politiques à Kinshasa.
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Nicaise Kibel Bel Oka
in Les Coulisses
