Le Premier ministre Bruno Tshibala Nzenzhe a regagné Kinshasa dimanche 17 septembre. L’ex-secrétaire général adjoint de l’UDPS vient de passer près de deux semaines à Paris où il aurait subi une intervention chirurgicale au niveau oculaire dans un hôpital de la place. A en croire le successeur de Samy Badibanga, les relations entre le Congo-Kinshasa et la France « sont excellentes ». Et pourtant. Le « Premier » congolais qui est réputé un homme sans pouvoir n’a rencontré aucun officiel français. Dans deux interviews accordées à TV5 Monde et RFI, « Bruno » a profité pour régler ses comptes avec « monsieur Félix ». Ceux qui espéraient des clarifications sur les véritables attentes des citoyens ont dû déchanter. De l’avis général, les propos de l’ex-opposant manquaient une certaine « majesté ». Bref, ils volaient bas…
Bruno Tshibala est rentré dimanche à Kinshasa. Le Premier ministre s’est dit satisfait de son séjour parisien qu’« il a mis à profit pour des contacts de très haut niveau ». Pour lui, « la visite a été couronnée d’un grand succès aussi bien au plan diplomatique qu’à celui des contacts avec ceux [des compatriotes, Ndlr] qui veulent revenir au pays ». On ne peut apprécier les résultats d’une action qu’au regard des objectifs de départ. Quel était le but de ce voyage?
Dans sa dépêche datée du 4 septembre, l’ACP rapportait que le « Premier » est « en mission officielle à Paris ». En dehors des interviews qu’il a accordées à TV5 Monde et RFI, le séjour en France de l’ex-secrétaire général adjoint de l’UDPS n’a pas eu l’heur de passionner les médias hexagonaux. Bien au contraire. C’est le silence plat. Sur la toile, aucune trace.
Jeudi 7 septembre, on apprenait via la RTNC que Tshibala a été reçu par le président du Sénat français. En fait, Gérard Larcher – c’est son nom – n’était pas là. Et ce pour cause de campagne électorale en prévision des élections sénatoriales prévues le 24 septembre.
Ce « petit détail » met à nu de l’impréparation voire de l' »amateurisme ». Qu’est allé faire Tshibala au Sénat où il n’a été reçu finalement « que » par un « simple » sénateur en l’occurrence Ladislas Poniatowski? Mystère!
A Paris, l’ancien bras droit de « Tshitshi » s’est entretenu avec quelques « seconds couteaux » du Medef (Mouvement des entreprises de France). Le président du patronat français Pierre Gattaz n’était pas au rendez-vous. Devait-on faire déplacer tout un « chef du gouvernement » pour le mettre face à des simples « bureaucrates »?
« DOYENS DES OPPOSANTS »
Jeudi 14 septembre, Tshibala était l’invité du « journal Afrique » de TV5 Monde. On ne retiendra de ce passage que quelques platitudes d’anthologie. L’homme s’est autoproclamé « le doyen des opposants » pour avoir, semble-t-il, lutter durant 36 ans aux côtés du président Etienne Tshisekedi.
Arrivé à la primature dans les conditions que l’on sait, « Bruno » a fini par passer aux aveux en reconnaissant que le poste lui avait été proposé « en vain » au moment où il était détenu à la Prison de Makala. Il a été extrait discrètement pour aller rencontrer dans le plus grand secret le tout-puissant « dircab » à la Présidence de la République, Néhémie Mwilanya Wilondja.
Selon des sources proches de l’UDPS, Tshibala – qui a arrêté le 9 octobre 2016 et libéré à la fin du mois de novembre – avait gardé son secret. « Le président Etienne Tshisekedi l’avait appris par ses propres canaux », confirment plusieurs Udépésiens. Jusqu’à son décès, « Tshitshi » n’a guère exigé des explications à celui qui était porte-parole du Rassemblement. « Le traitre était déjà découvert », assure un « combattant ».
Alors qu’il passait pour un « opposant pur et dur », « Bruno » avait qualifié l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 11 mai 2016 – autorisant « Kabila » à rester en fonction jusqu’à l’élection du nouveau Président élu – d’« épitaphe ». Promu Premier ministre, l’homme joue désormais la carte du reniement. Selon lui, il est faux d’accuser « Joseph Kabila » de répandre le chaos pour retarder le processus électoral.
Dans un entretien avec RFI diffusé lundi 18 septembre, Tshibala s’est mué en « avocat du diable ». Le 5 septembre, Félix Tshisekedi a déclaré que « l’heure est plus que grave, nous n’allons plus accepter aucune négociation. Kabila doit partir »? Réponse: « C’est une déclaration à l’emporte-pièce ». Et d’ajouter: « L’accord dit que le président Kabila reste en fonction jusqu’à la tenue des élections générales ».
L’ancien secrétaire général adjoint de l’UDPS qui est passé avec armes et bagages dans le « camp ennemi » refuse qu’on lui accole l’épithète « traitre ». Selon lui, sa nomination au poste de Premier ministre est parfaitement « conforme à l’accord du 31 décembre ». Selon lui, « ce monsieur Félix est un grand traître ». Il compare l’avènement éventuel de « Tshilombo » à la tête de l’UDPS à la succession en Haïti entre « Papa Doc » et son fils surnommé « Baby Doc ». « Voilà pourquoi je considère que, s’il y a quelqu’un qui a trahi, c’est bel et bien monsieur Félix », soutient-il.
Plus surprenant, Tshibala a poussé la flagornerie jusqu’à présenter le très controversé ministre de la Justice, Alexis Thambwe Mwamba, comme « un de mes meilleurs ministres ». Le même Thambwe était à la tête du même département lorsque « Bruno » était arrêté à l’aéroport de Ndjili comme un vulgaire malfrat.
Tshibala qui a raté parfois l’occasion de se taire, n’a pas hésité d’emboucher la thèse soutenue par les « services » selon lesquels les experts onusiens Michaël Sharp et Zaida Catalan ont été assassinés par des miliciens Kamuina Nsapu.
Selon lui, ceux-ci auraient « posé cet acte en pensant que c’était une façon d’aggraver la situation du pouvoir vis-à-vis de la communauté internationale ».
DEGEL ENTRE KINSHASA ET PARIS?
A propos des relations entre le Congo-Kinshasa et la France, le Premier ministre congolais a commencé par les qualifier de « très bonnes » avant de nuancer en murmurant qu’elles « sont en train de s’améliorer depuis un certain temps ».
Fin juin dernier, deux hauts fonctionnaires français ont effectué une visite secrète à Lubumbashi où ils ont pu s’entretenir avec « Joseph Kabila ». Il s’agit de Franck Paris (Cellule africaine de l’Elysée) et de Rémi maréchaux (directeur d’Afrique et Océan indien du ministère Europe et des Affaires étrangères françaises). De quoi avaient-ils parlé? Mystère!
Cette visite est intervenue au lendemain de la libération d’un Français qui était pris en otage par une bande armée au Maniema a sans doute sonner le début d’un « dégel » des relations entre l’Hexagone et l’ex-Zaïre.
Il est vrai que le président Emmanuel Macron qui est aux affaires depuis bientôt quatre mois voudrait conduire une « diplomatie pragmatique ». Défendre les intérêts vitaux de la France tient désormais lieu de crédo. Le successeur de François Hollande l’a dit fin août lors de la conférence annuelle des ambassadeurs de France. La France pourrait-elle embrasser « Kabila » sur les deux joues pendant que les sanctions prises par l’Union Européenne à l’encontre de plusieurs personnalités du régime restent pendantes? C’est à voir.
Une chose paraît sûre: à Paris, le Premier ministre Bruno Tshibala n’a rencontré aucun membre de l’exécutif français. Ni Emmanuel Macron, ni le Premier ministre Edouard Philippe. Encore moins, le chef de la diplomatie hexagonale Jean Yves Le Drian.
En attendant un prochain voyage, l’ex-opposant devrait bachoter sa communication. On espère qu’il adoptera à l’avenir un discours digne d’un homme d’Etat…
B.A.W.