Kinshasa: « Menaces terroristes » sur les intérêts américains?

C’est l’ambassade des Etats-Unis au Congo-Kinshasa qui l’a fait savoir dans un communiqué d’alerte diffusé samedi 24 novembre. Une situation sans précédent en 58 années de relations diplomatiques entre les deux pays. Ces « menaces terroristes » sont signalées au moment où l’Union européenne et le département d’Etat américain insistent sur la tenue des consultations politiques libres, transparentes et équitables le 23 décembre prochain.

Dans un communiqué plutôt laconique, la représentation diplomatique américaine à Kinshasa assure avoir reçu des « informations crédibles et précises » faisant état d’une « menace terroriste possible » contre les intérêts des Etats-Unis dans la capitale congolaise.

Principe de précaution oblige, la chancellerie sera « fermée au public » au cours de la journée de lundi 26 novembre. « Les citoyens américains ayant besoin de services d’urgence peuvent appeler le (00243) 081-556-0151 », précise le texte. L’ambassade encourage « fortement » les citoyens américains à Kinshasa et aux quatre coins du pays à faire preuve d’un « niveau élevé de vigilance et à pratiquer une bonne connaissance de la situation alentour ». Elle leur conseille, par ailleurs, de « garder le profil bas » et de tenir les amis et parent informés de sur leur situation sécuritaire.

En cinquante-huit années d’existence du Congo-Zaïre en tant qu’Etat, c’est la toute première fois qu’une ambassade étrangère – et à fortiori celle des Etats-Unis d’Amérique – alerte l’opinion et ses ressortissants au sujet de « menaces terroristes » dirigées contre les intérêts du pays d’envoi.

Après deux années de vacance à la tête de l’ambassade américaine, le président Donald J. Trump a nommé, en août dernier, un nouvel ambassadeur en remplacement de James Swan. Il s’agit de Michaël Hammer qui a remis, le 30 octobre dernier, les copies figurées de ses lettres de créance au ministre des Affaires étrangères Léonard She Okitundu.

MAUVAISE HUMEUR

Près d’un mois après, le diplomate attend toujours la date de la cérémonie solennelle pour la présentation des lettres l’accréditant en qualité d’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de son pays auprès du premier magistrat du pays. Ce « retard » semble délibéré. Il pourrait s’agir d’une manifestation de la mauvaise humeur des « durs » de Kinshasa face aux mesures de rétorsion que le département du Trésor US a infligées à plusieurs nomenklaturistes du régime. Des mesures qui ont été reconduites par Trump.

Une certitude cependant: les relations entre Kinshasa et Washington sont loin d’être au beau fixe. Plusieurs raisons peuvent tenir lieu de début d’explication.

Joseph Kabila montre qu’il est prêt à tout pour garder le pouvoir. © JUNIOR D. KANNAH / AFP

Tout a commencé au mois de mai 2014 lorsque « Kabila » ne faisait plus mystère de sa volonté de briguer un troisième mandat. Et ce en dépit de  l’interdit constitutionnel. Le président Barack Obama avait dépêché John F. Kerry, alors secrétaire d’Etat, pour dissuader le dirigeant congolais. Les sénateurs Russ Feingold et Tom Perriello furent chargés, sans succès, d’une mission analogue.

Le mauvais état de ces relations s’est exacerbé au lendemain non seulement de la répression sanglante menée par la force publique contre des prétendus miliciens de « Kamuina Nsapu » mais aussi contre des manifestations pacifiques organisées par des laïcs catholiques.

ASSASSINATS D’EXPERTS ONUSIENS

Après enquête, des experts de la Mission de l’ONU au Congo ont fait état de l’existence de plusieurs dizaines de fosses communes dans le « Grand Kasaï ». Pour en avoir le cœur net, le Conseil de sécurité dépêcha sur le lieu ses experts Zaida Catalan et Michaël Sharp. Le 13 mars 2017, les deux onusiens sont portés disparus vers la localité de Bunkonde. Celle-ci se trouvait pourtant sous le contrôle de l’armée congolaise et des « services ».

Vingt-quatre heures avant la « découverte » des corps sans vie et mutilés des deux fonctionnaires onusiens, les autorités congolaises ont annoncé la décapitation de quarante policiers dans la même région. Le crime est aussitôt imputée aux « miliciens » Kamuina Nsapu. C’était le 22 mars 2017. Seulement voilà, vingt mois après cette « embuscade », les autorités congolaises n’ont jamais divulgué les numéros matricule et les identités des policiers tués. Pire, aucune cérémonie d’inhumation n’a eu lieu à ce jour.

Le 23 mars 2017, les corps mutilés des experts Catalan et Sharp sont « découverts » dans… une fosse commune. Une parodie de procès sur ce double assassinat est toujours en cours à Kananga, le chef–lieu du Kasaï Central. La « décapitation » annoncée des policiers était-elle destinée à conditionner l’opinion?

« TERRORISME »

Décidé à émouvoir la communauté internationale – et surtout à trouver des excuses à la cruauté de ses soldats et policiers -, « Joseph Kabila » prononça pour la première le mot « terrorisme ». C’était le 23 septembre 2017, lors de l’Assemblée générale de l’ONU. « Depuis une année, mon pays est victime d’attaques terroristes menées par certains groupes armés, notamment dans les provinces du Kasaï, voire dans la capitale (…)« , déclarait-il.

Kabila attribua, sans convaincre, le double assassinats d’experts onusiens à « une milice mystico-tribale » opérant au Kasaï. Dans un petit paragraphe, il dit déplorer « la barbarie dont les deux experts de notre organisation ont été victimes ».

Il est revenu à la charge sur le thème du « terrorisme » lors de la 73ème Assemblée générale de l’ONU pour dire que les « efforts » fournis par les forces de défense ont permis de « contenir les attaques terroristes ».

Pour les Etats-Unis et l’Union européenne, les consultations électorales prévues le 23 décembre prochain doivent être une occasion d’un transfert pacifique du pouvoir entre le Président sortant et le Président entrant. Pour eux, les élections à venir doivent être libres, transparentes et apaisées. Aucun postulant ne doit être désavantagé. « Kabila » parait décidé à s’accrocher au pouvoir. Il a placé ses « bad guys » à tous les postes militaro-sécuritaires avant de désigner un « dauphin » en la personne d’Emmanuel Ramazani Shadary.

Peter Pham, Envoyé spécial des Etats-Unis

« C’EST MOI OU LE CHAOS »

La nomination, le 9 novembre, du chercheur américain Peter Pham en qualité d’Envoyé spécial des Etats-Unis pour la région des Grands lacs a été froidement accueillie au sein de l’establishment à Kinshasa. Cette décision du département d’Etat est perçue comme une menace personnelle par « Joseph Kabila ». Celui-ci fait « lanterner » l’ambassadeur Mike Hammer à dessein. Il sait que le diplomate ne peut pas être « opérationnel », au plan bilatéral, aussi longtemps qu’il n’aura pas franchi l’étape cruciale de la présentation des lettres de créance au chef de l’Etat.

Vendredi 23 novembre, Ida Sawyer, vice-présidente pour l’Afrique centrale de l’Ong Human Right Watch, faisait cette réflexion sur son compte Twitter: « la tenue d’élections sans la candidature Kabila ne garantit la crédibilité des élections ».

Ancien rebelle issu de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre), « Joseph Kabila » est devenu maître ès fabrication de « faux rebelles ADF » et de « faux miliciens Kamuina Nsapu ». Les « menaces terroristes » signalées par l’ambassade américaine à Kinshasa ressemblent fort à un « message subliminal » que le « raïs » adresse à la communauté internationale: « c’est moi ou le chaos! »

 

B.A.W.

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