La grande majorité des ménages kinois ne dispose plus de ressources suffisantes pour satisfaire les besoins en nourriture. Incapables d’acheter un poulet entier, les ménages se contentent désormais d’une portion de ce met très prisé. Pire, les épices, mêmement. C’est le cas notamment de la noix de muscade. Le phénomène est loin d’être nouveau? Sans doute. Le problème est qu’il prend une ampleur alarmante.
Dans un rapport publié en octobre 2015, soit quatorze mois avant l’expiration du dernier mandat de « Joseph Kabila », le FMI tirait la sonnette d’alarme en indiquant que 82% de la population congolaise vivaient sous le seuil de la « pauvreté absolue » avec 1,25 $ par jour et par personne.
A Kinshasa, on assiste à un phénomène qui prend de l’ampleur dans les marchés kinois. De quoi s’agit-il? Suite à la demande d’une clientèle plutôt précarisée, les marchandes des vivres frais vendent de plus en plus leurs produits par portion ou petits morceaux. « Parmi ces produits, précise une dépêche de l’Agence congolaise de presse, figurent le poulet, le choux, la purée de tomate, le concombre, l’oignon, l’ail, la muscade ». L’Agence épingle également le manioc cuit, la fameuse « chikwangue ».
A titre d’exemple, un poulet entier se vend actuellement au prix de 7.000 à 7.500 franc congolais au grand marché de Kinshasa soit l’équivalent de plus ou moins 5 $. Pour écouler leurs marchandises, les vendeurs se sont adaptés aux « revenus limités » de cette clientèle en vendant le même poulet en deux, trois voire quatre portions. Le prix unitaire est aussitôt divisé en autant de morceaux.
En Occident, les consommateurs ont l’habitude d’acheter un poulet entier ou simplement les cuisses ou les ailes. Ici, c’est une question de choix. Au Congo-Kinshasa, c’est la nécessité astreint les consommateurs à cette espèce de « rationnement ».
Comble de la pauvreté, une boîte de purée de tomate revient à 250 ou 300 FC. Il n’est pas rare de voir une ménagère acheter une « demi boîte ». Le concombre, l’oignon, l’ail et la muscade n’échappent pas à ce phénomène en vogue. Ils sont coupés en deux pour permettre à la ménagère lambda de les acquérir. Il en est de même de la chikwangue.
MÉNAGES A « FAIBLES REVENUS »
Après une enquête auprès des marchandes, l’ACP a pu apprendre que cette nouvelle tendance commerciale vise à permettre aux ménages à « faibles revenus » à acquérir ces produits alimentaires.
D’aucuns pourraient objecter que ce phénomène est loin d’être nouveau. Sans aucun doute. Le problème est qu’il prend des proportions inquiétantes qui confirment la plongée de la société congolaise dans la pauvreté. Celle-ci touche désormais une frange importante de la population.
Mégalopole de 10 à 15 millions d’habitants, la capitale congolaise compte moins de 200.000 habitants travaillant dans le « secteur formel ». Ce dernier chiffre émane du ministère congolais du Travail. Il date de 2014. Le reste de la population, elle, vit de la « débrouille », pompeusement appelée le « secteur informel ». Les Kinois parlent de « coop ». Une contraction du mot « coopération » au sens le plus péjoratif.
Selon un rapport publié par le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement), 18 millions d’adultes congolais ne savaient ni lire ni écrire en 2016. Le nombre d’habitants du pays est estimé à 80 millions dont une majorité de « miséreux ».
D’après des témoignages recueillis par l’ACP, la grande majorité des ménagères kinoises est sans emploi. Pas d’emploi, pas de revenu. Les ménagères qui ont une occupation professionnelle ne gagnent pas assez pour avoir s’offrir ces produits alimentaires « en entier ».
UNE PAUVRETÉ GALOPANTE
La pauvreté galopante décrite dans ces lignes traduit l’échec, au plan tant économique que social, des dix-huit années de présence de « Kabila » au sommet de l’Etat. Durant près de deux décennies, cet homme a « anesthésié » les Congolais à coup de « projets politiques » qui se sont révélés des « slogans creux ».
Au lendemain de sa « victoire » à l’élection présidentielle en 2006, « Kabila » lança les fameux « Cinq chantiers du chef de l’Etat » qui promettaient des monts et merveilles dans les secteurs ci-après: santé, enseignement, habitat, énergie (eau et électricité), infrastructures et emploi. Les Congolais attendront en vain l’amélioration du climat des affaires susceptible d’attirer des investisseurs pour créer des emplois.
On retiendra des « Cinq chantiers » uniquement l’élargissement des boulevards du 30 juin et Lumumba. Etienne Tshisekedi wa Mulumba d’ironiser en parlant de « quelques routes goudronnées ».
Lors de sa « réélection » en novembre 2011, le successeur de Mzee, en bon prestidigitateur, a sorti un autre « lapin » de son chapeau. Il s’agit de la prétendue « Révolution de la modernité ». Un projet dont « l’objectif ultime », déclarait-il, était de faire figurer la Congo-Kinshasa dans le petit cercle des « pays émergents ». Quid du bilan? C’est l’échec. Un échec confirmé par le rapport du Fonds monétaire international cité précédemment.
On peut comprendre une appréhension certaine qui se lit sur le visage d’une frange de la population congolaise. Et ce face au « retour en force » des « Kabila boys ». Des hommes et des femmes très peu proches de la « plèbe ». Ils sont plus soucieux de la préservation des intérêts de leur « clan » que de répondre aux attentes de la population en eau courante, électricité et éducation. Sans oublier la santé, la formation qualifiante et l’emploi.
Serait-il excessif de relever qu’on assiste à une crise de l’Etat en tant que garant de la solidarité et du bien commun? Une certitude: l’Etat congolais parait incapable d’extraire sa population d’une pauvreté qui devient insoutenable pendant que les riches sont de plus en plus riches…
Baudouin Amba Wetshi