Des informations parcellaires font état de la découverte, samedi 21 novembre, d’une fosse commune à Nsele, agglomération située à une soixantaine de kilomètres de la capitale. L’annonce a été faite, dimanche, par Georges Kapiamba, président de l’Association Congolaise pour l’Accès à la Justice (ACAJ). Celui-ci a aussitôt demandé aux autorités de « sécuriser » l’endroit. Le moment est peut-être venu de faire la clarté sur toutes les fosses communes et autres « disparitions ».
Près de vingt-trois mois après le changement intervenu au sommet de l’Etat congolais, on apprend l’existence d’une fosse commune à une soixantaine de kilomètres de Kinshasa. « Une nouvelle fosse commune a été découverte hier dans la commune de Nsele. Nous demandons la sécurisation urgente des lieux et une enquête judiciaire crédible. C’est troublant ». L’homme qui parle s’appelle Georges Kapiamba. Il s’agit d’un activiste de la société civile bien connu. C’est le message qu’il a posté, dimanche, sur son compte Twitter.
A en croire Kapiamba, ce présumé charnier se trouverait « non loin du mausolée de feu Etienne Tshisekedi wa Mulumba ».
Cette information lugubre doit faire frémir des familles kinoises. Elle vient rappeler à la mémoire des Congolais quelques cas des personnes tuées – au cours des dix-huit années du pouvoir féroce de « Joseph Kabila » – dont les corps n’ont jamais été retrouvés. Une situation douloureuse pour des parents et proches qui ne peuvent faire le travail de deuil.
Ci-après quelques cas célèbres:
Fidèle Bazana Edadi. Le 2 juin 2010, le corps sans vie de Floribert Chebeya Bahizire, directeur exécutif de la « VSV » (La Voix des Sans Voix pour les droits de l’Homme) est retrouvé sur la banquette arrière de sa voiture, sur la Route de Matadi, au Quartier Mitendi. La veille, à la fin de l’après-midi, ce défenseur des droits de l’Homme avait rendez-vous au « QG » de la police avec le général John Numbi Banza, alors inspecteur général de la police congolaise. Chebeya était accompagné de son chauffeur Fidèle Bazana Edadi. Celui-ci s’est « volatilisé ». Son corps n’a jamais été retrouvée. Selon l’officier de police Paul Mwilambwe, alors responsable de sécurité au siège de la police, c’est l’ex-major – promu colonel après les faits – Christian Ngoy Kenga Kenga qui avait torturé à mort « Floribert ». On imagine que c’est le même homme qui se serait « occupé » de Bazana. Le but était sans doute d’effacer toute trace de passage du défenseur des droits humains en ce lieu fatal.
Armand Tungulu Mudiandambu. Fin septembre 2010, le Bruxellois Armand Tungulu se rend en visite familiale à Kinshasa. Le 1er octobre, on apprend qu’il a été arrêté sur l’avenue du 24 novembre par des éléments de la garde prétorienne de « Kabila ». Il est reproché à Tungulu d’avoir « lapidé » le cortège présidentiel. « Armand » ne pourra jamais dire sa part de vérité. Dès le 2 octobre, un communiqué du parquet général de la République annonce son décès « par pendaison ». Les faits se seraient passés au Camp Tshatshi qui sert de « QG » aux troupes de la garde présidentielle, pompeusement appelés « Garde républicaine » (GR).
Selon des témoins ayant assisté à son interpellation, Tungulu aurait été passé à tabac avant d’être « balancé », tel un sac de riz, dans un des véhicules du convoi présidentiel qui se rendait à la Ferme de Kingakati. Il sera, par la suite, transféré au Camp Tshatshi. Dans quel état? Toute la question est là. Dix années après, la famille du défunt n’a jamais vu le corps. Elle ne sait pas non plus l’endroit où celui-ci a été enseveli.
Opération « Likofi ». En novembre 2013, « Joseph Kabila » donne l’ordre à la police kinoise, dirigée alors par le général Célestin Kanyama, de « nettoyer » la capitale en éliminant tous les bandits dits « Kuluna ». Cette information a été confirmée par le porte-parole de la police, le colonel Pierrot Mwana Mputu. L’opération prend fin en février 2014. Le bilan est terrifiant.
Dans un rapport publié en novembre 2014, l’ONG américaine Human Right Watch fait état de 51 tués et de 33 cas de disparition forcée. HRW décrit par le menu les méthodes employées par des policiers cagoulés. Ceux-ci opéraient la nuit. Ils amenaient des présumés « Kulunas » hors de leurs domiciles. Certains jeunes gens sont été abattus sur place. D’autres sont emmenés ailleurs. Ces atrocités ont été révélées par trente-quatre familles dont les enfants et proches n’ont plus donné signé de vie après ces rafles. Les familles sont toujours à la recherche des corps.
Fosse commune de Maluku. En juin 2015, l’ONG Human Right Watch, toujours elle, invite les autorités congolaises à exhumer 421 corps enterrés au mois de mars dans une fosse commune à Maluku. Les officiels ont prétendu que le charnier dont question ne contenaient « que » des fœtus, des enfants mort-nés et des « indigents ». Le but, selon eux, est de « désengorger » la morgue de l’hôpital général de Kinshasa dont la capacité est de 300 corps.
Seulement voilà, cette fosse commune a été découverte deux mois après la répression violente des manifestations du 19, 20 et 21 janvier 2015. Des Kinois protestaient contre la tentative de modification de la loi électorale à une année de l’expiration du second mandat du Président en exercice. Une manière de modifier les règles du jeu au cours du match. Des éléments de la garde prétorienne de « Kabila » ont été surpris en train d’entasser des cadavres dans des camions.
Affaire Kamuina Nsapu. En février 2017, la force publique congolaise (armée, police, services de sécurité) est accusée d’avoir fait un usage disproportionné de la force dans la répression des « jacqueries » survenues suite à l’exécution du Chef Jean-Pierre Mpadi, le Kamuina Nsapu. Selon des sources, des ex-miliciens Bakata Katanga ont épaulé l’armée et la police lors de ces opérations.
Informé de l’existence des fosses communes dans le « Grand Kasaï », le Conseil de sécurité des Nations Unies a dépêché sur le terrain deux de ses experts: Zaïdan Catalan et Michaël Sharp. Ceux-ci sont arrivés au mois de mars 2017 à Kananga. Le 12 de ce même mois, les deux envoyés de l’Onu sont exécutés par des prétendus miliciens Kamuina Nsapu vers la localité de Bukonde. De l’avis général, cette zone était sous le contrôle des FARDC. A qui profite le crime? En tous cas pas aux « miliciens » Kamuina Nsapu qui étaient victimes de la répression. Ce crime ne peut profiter à ceux qui n’avaient pas intérêt à la divulgation des informations, photographies et autres indices obtenus par les deux agents onusiens.
Depuis le mois de juillet 2017, une parodie de procès a lieu devant la Haute cour militaire à Kananga. Trois années après, cette juridiction militaire parait délibérément incapable d’identifier tant le commanditaire de ce double homicide que les tueurs.
Vingt-trois mois après le changement intervenu à la tête de l’Etat congolais, on espère qu’une commission d’enquête pourrait travailler en toute indépendante pour faire la lumière sur ces fosses communes et autres « disparitions ». Et déterminer les responsabilités.
B.A.W.