Deux années après l’accord capoté à Genève, Felix Tshisekedi a eu pour la première fois une entrevue à trois avec ses anciens « camarades » Jean-Pierre Bemba Gombo et Moïse Katumbi Chapwe qui avaient pris position en faveur de l’Union sacrée de la nation. On imagine que les trois locuteurs se sont livrés, au préalable, à une « franche explication » sur le rendez-vous manqué de cette ville suisse. La rencontre qui a lieu, samedi 27 décembre à Kinshasa, a dû déplaire à « Joseph Kabila ». L’ancien Président n’a jamais cessé de considérer le leader du Mouvement de libération du Congo et l’ancien gouverneur du Katanga comme ses « ennemis intimes ».
Des sources concordantes indiquent que l’entretien entre les trois leaders politiques a duré trois heures dans le bureau privé du chef de l’Etat. De quoi ont-ils parlé? C’est la question qui turlupine les esprits.
La « presse présidentielle » n’a pas été d’un grand secours. « Les deux invités n’ont pas voulu s’exprimer devant la presse à l’issue de l’entrevue mais l’on croit savoir qu’ils ont évoqué les grandes questions politiques de l’heure notamment la matérialisation de l’Union sacrée qu’ils soutiennent », rapporte-t-elle. Même son de cloche dans le bulletin de l’Agence congolaise de presse (ACP) daté du 27 décembre.
La volte-face de Genève, un certain 20 novembre 2018, a sans doute laissé des « plaies béantes » au plan psychologique. On peut gager que les trois interlocuteurs ont eu une « franche explication » avant de lever l’option de s’engager dans une nouvelle « aventure commune ». Le fait que l’échange ait été poursuivi autour d’un repas incline à penser qu’une certaine réconciliation a été scellée le samedi 27 décembre 2020.
Le président Felix Tshisekedi est en quête d’au moins 251 députés pour former une coalition majoritaire au sein de l’Assemblée nationale congolaise qui en compte 500. Sauf erreur, l’Ensemble pour la République de Katumbi, le MLC de Bemba et l’UDPS/Tshisekedi alignent respectivement 76, 22 et 32 députés soit un total de 126. AFDC-A de Modeste Bahati Lukwebo pourrait « apporter » 41 élus. On apprenait que « Fatshi » a reçu le même samedi les délégations de quatre groupes parlementaires. Va-t-t-il reprendre les mêmes et recommencer?
QUID DE LA PLATEFORME POLITIQUE « LAMUKA »?
Qu’en est-il de « Lamuka » dont Bemba et Katumbi sont membres du Présidium au même titre que Martin Fayulu Madidi et Adolphe Muzito?
Depuis la signature de la Convention du 27 avril 2019 portant création de la plateforme politique « Lamuka », celle-ci parait écartelée entre deux tendances dissonantes.
Il y a d’une part, les « modérés » incarnés par Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi. Depuis la date précitée, ces derniers ont adapté leur discours aux « quatre axes » contenus dans ladite Convention. A savoir: la promotion de l’Etat de droit et la bonne gouvernance, la défense de la Constitution, la mobilisation des citoyens à une alternance démocratique et politique reflétant la vérité du choix des électeurs et l’éradication des antivaleurs. D’autre part, il y a les « radicaux » que symbolisent Martin Fayulu et Adolphe Muzito. Ici, « la vérité des urnes » tient lieu de credo. Deux années après la proclamation des résultats de l’élection présidentielle par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) et la confirmation de ceux-ci par la Cour constitutionnelle, Fayulu se considère toujours comme le « Président élu ».
Sur le plan juridique, « Lamuka » n’existe pas encore en tant qu’organisation politique. En fait, elle n’est plus qu’une « coquille vide ». Deux événements intervenus au cours de douze derniers mois ont vidé « Lamuka » de sa substance.
Le premier événement remonte au 23 décembre 2019. Il s’agit de la déclaration faite par Muzito selon laquelle « notre pays devrait engager une guerre contre le Rwanda et l’annexer à la RDC ». Comme pour confirmer la fracture existante entre les deux courants, les membres du présidium Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi se sont empressés de se « désolidariser » de leur camarade Adolphe Muzito dans un communiqué publié le même jour. « (…), Lamuka lutte pour l’érection d’un Etat de droit fort, pacifié, inclusif et prospère; toute autre considération de nature à s’écarter de cet idéal ne saurait recueillir notre soutien », souligne le texte. Le second événement concerne l’appui apporté aux « consultations présidentielles » par les leaders d’Ensemble pour la République et le MLC.
GRINCEMENT DE DENTS CHEZ « KABILA »
La tripartite Fatshi-Bemba-Katumbi n’a pas manqué de provoquer de grincement de dent au sein du « Front commun pour le Congo » en général et dans le proche entourage de « Kabila » en particulier. Ce dernier considère « Jean-Pierre » et « Moïse » comme ses « ennemis intimes ». Durant sa présidence, le successeur de Mzee a usé et abusé des moyens de l’Etat pour mettre hors course ses deux « rivaux ».
S’agissant de Bemba, « Kabila » a joué un rôle obscur dans l’arrestation du leader du MLC par des éléments de la police judiciaire belge et son transfert à la Cour pénale internationale à La Haye où il a passé dix années de détention.
Dès 2003, Léonard She Okitundu, alors directeur de cabinet du président « Kabila » a effectué plusieurs voyages à Bangui où trônait le général François Bozizé, le tombeur du président Ange-Felix Patassé. L’objectif consistait à faire accélérer la rédaction de la plainte à adresser à cette juridiction internationale. Quid de la contrepartie?
Pour les adeptes de « Saint Thomas », il y a ce courrier électronique daté du 21 avril 2006. L’expéditeur s’appelle Abdoul Karim Meckassoua, alors ministre de la Communication de Bozizé. Le destinataire n’est autre que le « dircab » à la Présidence à l’époque, She Okitundu. Ambassadeur du Congo-Kinshasa en RCA au moment des faits, Mugaruka bin Mubibi reçut copie. Objet du message: « JPB CPI ». « Chers amis, je vous transmets les infos nécessaires à la très haute attention du PR. Merci de mettre 2 billets A/R à disposition sur AF, pour un départ le 22 avril de Bangui et retour le 24 avril via Douala pour A. Karim Meckassoua et Me Goungaye Wanfiyo Nganatoua. Je confirme le rendez-vous avec Antoine qui a mon contact de Paris (…). Mes respects au PR et merci pour votre diligence ». Pour ceux qui ne le savent pas, l’avocat Nganatoua était le président de la Ligue centrafricaine des droits de l’homme. La CPI l’avait sous-traité pour récolter les « témoignages » des « victimes » des troupes du MLC. L’homme sera tué dans un mystérieux accident de circulation.
Qu’en est-il de l’ancien gouverneur du Katanga? De retour d’un séjour médical en Europe, Moïse Katumbi a eu l’idée de tenir un meeting à la Place de la Poste à Lubumbashi. C’était le 24 décembre 2014. « Kabila » se trouvait dans la ville. C’est à cette occasion qu’il lance son allégorie d’un « troisième faux pénalty inacceptable ». En français facile, « Moïse » invitait les Congolais à barrer la route à la volonté de « Kabila » – dont le deuxième mandat expirait le 19 décembre 2016 – de briguer un troisième mandat en violation de la Constitution. La suite est connue.
« KABILA » ET LE FCC N’ONT PAS ENCORE DIT LEUR DERNIER MOT
Katumbi devint un homme à abattre pour avoir exprimé notamment sa volonté de se lancer à la course à l’élection présidentielle de 2016. Outre le fameux contentieux immobilier avec le Grec Stoupis, l’ancien gouverneur fut accusé, en mai 2016, par Alexis Thambwe Mwamba, alors ministre de la Justice, d’avoir recruté 600 mercenaires américains. Une déclaration qui sera balayée du revers de main par l’ambassade des Etats-Unis à Kinshasa. Dans une interview accordée à la RTBF, Thambwe finira par revoir à la baisse ses chiffres en parlant de 11 mercenaires. Ces deux affaires permirent au pouvoir kabiliste de forcer Katumbi à aller exil. Le changement intervenu le 24 janvier 2019 au sommet de l’Etat permit à l’ancien gouverneur à regagner le pays en mai 2019.
Revenons à la rencontre sous examen. Des observateurs espèrent que le chef de l’Etat va extraire des propositions présentées par les « consultés » des priorités et lancer des réformes au plan économique et social. Les mêmes observateurs estiment que le premier magistrat du pays devrait réformer son cabinet – dans le sens de l’efficacité – et renforcer les conditions de sélection de futurs membres du gouvernement. La puissante Amérique compte 15 ministres. La France d’Emmanuel Macron en a 31. La population congolaise piaffe d’impatience de flairer les premiers frémissements du changement.
Au moment où ces lignes sont écrites, le mystère plane encore sur le rôle respectif que pourraient jouer Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi dans la future configuration institutionnelle. Une certitude: les deux leaders politiques traînent derrière eux une expérience éprouvée en matière politico-administrative. Autre certitude: « Joseph Kabila » et le Fcc n’ont pas encore dit leur dernier mot…
Baudouin Amba Wetshi