Le hasard fait bien les choses. Samedi 6 août, au début de soirée, l’auteur de ces lignes a fait une rencontre inédite dans une rue de Bruxelles avec l’ancien gouverneur du Katanga Moïse Katumbi Chapwe. Vêtu d’un jean’s et d’un polo à manches longues avec des mosaïques en noir et blanc – les couleurs du football club Tout-Puissant Mazembe -, l’homme se promenait tout seul. Sans garde du corps ni accompagnateur. Après les présentations d’usage, le « Gouv », comme ses proches l’appellent, a fini par accepter d’engager un échange à bâtons rompus dans un Café environnant. Durant près de 90 minutes, Katumbi va évoquer successivement sa naissance dans un « petit village » au Katanga, son arrivée précoce dans le monde des affaires ainsi que son accession à la tête de l’ex-Shaba en mars 2007. Sans oublier les sujets brûlants d’actualité au Congo-Kinshasa. « Moïse » considère que la CENI doit impérativement convoquer le scrutin pour l’élection présidentielle pour le 19 septembre prochain. Entretien.
SELF MADE MAN
Moïse Katumbi commence la conversation par l’évocation de son parcours personnel. Après avoir rappelé qu’il est né dans un « petit village » au Katanga, il précise: « J’ai commencé la vie active très jeune en tant qu’opérateur économique. Toutes mes sociétés étaient prospères ». C’est en tant qu’homme d’affaires qu’il a pris la direction de l’équipe de football Tout-Puissant Mazembe.
Après cette introduction, il jette aussitôt un regard rétrospectif sur l’histoire politique du Congo-Zaïre. Il évoque, tour à tour, les présidents Joseph Kasa Vubu, Mobutu Sese Seko et Laurent-Désiré Kabila. « Depuis notre accession à l’indépendance, dit-il, il y a comme une machine qui tire notre pays vers le bas alors qu’en 1960 celui-ci avait une meilleure santé économique et une croissance équivalente à celle du Canada ».
Pourquoi rien ne va dans notre pays? Il répond: « C’est un problème de leadership. Notre pays a besoin des réformateurs ». Pour lui, chaque Congolais « a le droit de rêver de sortir le Congo de la misère ambiante ». Sans anticiper, il dit que les Congolais espéraient que « Joseph Kabila » allait promouvoir la stabilité. « Hélas, toute dictature est porteuse de déstabilisation ».
GOUVERNEUR DU KATANGA
Elu gouverneur de la province du Katanga en mars 2007, Moïse Katumbi s’est vite rendu compte qu’il mettait les pieds dans un univers impitoyable. Profondément croyant, il considérait cette charge comme une manifestation du « destin de Dieu ». L’homme fait l’éloge du pragmatisme. Il le dit: « Lorsque je suis devenu gouverneur du Katanga, mes adversaires riaient sous cape en murmurant que je n’avais pas de programme. Au lieu de prêter l’oreille aux commérages de mes détracteurs, je me suis attelé à étudier les dossiers tout en restant à l’écoute de la population. Cette écoute m’a permis d’identifier les besoins vitaux de mes administrés avant de mobiliser les moyens pour les satisfaire ».
Après huit années passées à la tête du Katanga, Katumbi dissimule à peine sa fierté pour son « bilan ». « En 2007, les recettes annuelles de la douane s’élevaient à 18 millions $, lance-t-il. Je les ai portées à plus d’un milliard de dollars. Le péage ne rapportait que 3,5 millions $. Ce chiffre a été multiplié pour atteindre 70 millions ». En l’espace de 9 mois, s’est-il exclamé, l’ex-Shaba est devenu la « province-pilote ».
Selon lui, l’amélioration de la qualité et du cadre de vie de la population a été au centre de ses préoccupations. Il en est de même des secteurs tels que la desserte en eau potable et électricité, l’agriculture, les voies de communication, la santé, l’éducation et la diversification de l’économie provinciale.
Il met, par ailleurs, à son crédit la construction d’un grand pont en béton à Kolwezi et la réhabilitation de l’aéroport de Kalemie. Sans vouloir égratigner le bilan de ses successeurs, l’ancien gouverneur constate que ceux-ci ont mis fin à la « tradition » consistant à publier les recettes réalisées.
A ceux qui l’accusent de s’être enrichi « sur le dos » du Katanga, « Moïse » rétorque qu’il était un opérateur économique et président de TP Mazembe avant de se lancer en politique. « La population du Katanga connait bien ma famille, dit-il. Je viens d’une grande famille d’entrepreneurs. Avant de devenir gouverneur de province, j’avais une maison à Lubumbashi. J’ai occupé la même maison tout au long de ma présence à la tête de l’exécutif provincial ». Il poursuit: « Gouverneur du Katanga, je n’ai ordonné l’arrestation de personne. Je n’ai fait ôter la vie à personne. Je n’ai jamais eu d’escorte sauf à l’occasion des manifestations officielles ». Comme pour clore ce chapitre, il lance: « J’ai un bilan que personne ne pourrait effacer ».
CANDIDAT A L’ELECTION PRESIDENTIELLE
Le 29 septembre 2015, « Moïse » a démissionné du poste de gouverneur tout en claquant la porte du parti dominant PPRD (Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie), le parti présidentiel. Un acte qualifié de « non-événement » par ses anciens camarades de la majorité présidentielle. Le 4 mai 2016, il a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle de 2016.
C’est fort de son « bon bilan » à la tête de la province du Katanga – dont la superficie est égale à celle de la France – que Katumbi s’estime en mesure de se lancer dans la course à la Présidentielle. « Aujourd’hui, dit-il, il faut qu’on aille à l’essentiel. L’essentiel, c’est le Changement pour redonner aux Congolais l’honneur et la dignité ».
Pour lui, ce changement doit consister à la promotion de la paix et du progrès au plan économique et social. La situation à l’Est du pays peut être résolue, selon lui, en trois mois. « Les pouvoirs publics ont affecté beaucoup d’argent du trésor dans la guerre qui ne finit jamais à l’Est », déplore-t-il avant de dénoncer l’absence de volonté politique.
LA JUSTICE CONGOLAISE
Depuis l’annonce de sa candidature à la présidentielle, l’ancien gouverneur est harcelé par la justice congolaise. Deux accusations gravissimes: recrutement des « mercenaires » pour éliminer « Joseph Kabila » et faux et usage de faux dans une affaire de conflit immobilier. Suite à des problèmes de santé, Moïse Katumbi a été autorisé par le procureur général de la République de se rendre à l’étranger pour recevoir des « soins appropriés ».
Cette autorisation du plus haut magistrat du ministère public n’a pas empêché le tribunal de paix de Lubumbashi/Kamalondo de condamner l’ancien gouverneur « par défaut ». Contre toute attente, l’ancien gouverneur continue à faire confiance à la justice de son pays. Pour lui, la lettre de la juge-présidente Chantal Ramazani Wazuri, dénonçant les pressions dont elle a été l’objet de la part de sa hiérarchie et de l’ANR, démontre que le Congo-Kinshasa recèle de très bons magistrats qui fonctionnent dans un mauvais système. « Nous devons redonner à notre justice son indépendance afin qu’elle joue son rôle de socle de la paix sociale », souligne-t-il. Il salue, au passage, le refus de Madame le bâtonnier de Lubumbashi d’obtempérer à l’instruction de l’ANR de distribuer, à tous les avocats, l’édition du « Soft » consacré à son conflit avec le Grec Stoupis. Pour lui, « le pouvoir a perdu toute crédibilité ».
Moïse Katumbi peine cependant à comprendre qu’il ait été condamné « par défaut » par le tribunal de paix de Lubumbashi/Kamalondo alors qu’il avait quitté le pays avec l’autorisation du procureur général de la République. Il peine également à comprendre qu’un agent de l’ANR s’est cru en droit d’intimider des magistrats en leur donnant des instructions. Il cite, au passage, le cas du juge-président Bushiri de la Cour suprême de Justice qui a été sanctionné sous le motif de « manque de loyauté » pour avoir appliqué la loi en faisant droit à la récusation de la juge présidente du tribunal de paix de Kamalondo par les avocats de la défense.
Pour lui, « Il faut redonner à la justice congolaise ses lettres de noblesse ». Et d’ajouter: « Le Congo aura une justice digne de ce nom le jour où le pouvoir veillera à laisser les juges travailler en toute indépendance. Nous avons besoin de changement pour instaurer une justice qui met fin aux ‘privilèges’. Une justice à même de juger tant les autorités politiques que les fonctionnaires de l’ANR ».
Après la disparition du greffier du tribunal de paix de Lubumbashi/Kamalondo avec les pièces du dossier relatif à l’affaire Katumbi contre Stoupis, le premier président de la Cour d’appel de Lubumbashi a pointé un doigt accusateur en direction d’un « réseau » que l’ancien gouverneur aurait, selon lui, laissé au sein de l’appareil judiciaire. L’intéressé de répondre: « Pourquoi aurai-je organisé la subtilisation d’un dossier dont les copies ont été remis officiellement à mes avocats contre paiement des frais judiciaires? » Pour lui, il s’agit d’un « montage » qui porte la signature de l’ANR. « Le chef de l’Etat devrait réfléchir vingt fois sur ce genre d’agissement ».
ALTERNANCE DEMOCRATIQUE
A quelques quatre mois de l’expiration du second et dernier mandat du président sortant « Joseph Kabila », la majorité et l’opposition affichent des prétentions diamétralement opposées. Pour la première, l’actuel locataire du Palais de la nation devra rester à la tête du pays jusqu’à l’élection du nouveau Président. Pour la seconde, le 19 décembre marque la fin du mandat de « Joseph Kabila ». Aussi, un nouveau Président doit-il entrer en fonction à la date du 20 décembre prochain.
Que va-t-il se passer le 19 décembre? « Il faut parler d’abord du 19 septembre, martèle-t-il. La Commission électorale nationale indépendante doit convoquer le scrutin pour l’élection du Président de la République conformément à l’article 73. Sinon? « A défaut, il y aura des marches pacifiques dans toutes les provinces ».
Pour Katumbi, ces manifestations ne seront guère glorieuses pour l’image du régime en place. Que pourrait-il répondre à ceux qui disent que « Joseph Kabila » dispose des moyens de coercition pour s’imposer par la maîtrise de la force publique? « Les Congolais doivent cesser d’avoir peur, dit-il. Le peuple constitue l’armée la plus puissante. Un jour, elle dira: trop, c’est trop! » Pour lui, l’armée et la police sont apolitiques.
QUID DU PROGRAMME COMMUN DU « RASSEMBLEMENT »?
Depuis la tenue du Conclave du 8 au 9 juin à Genval, d’aucuns reprochent au « Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement » de réclamer le départ de « Joseph Kabila » sans dire un mot sur son « programme commun » de gouvernement. Pour « Moïse », il est prématuré de parler de programme alors que la campagne pour l’élection présidentielle n’est pas encore lancée. « J’ai un programme avec mes alliés de l’Alliance pour la République, le G7 et les Forces vives, dit-il. Je peux écrire un bon programme sans toutefois pouvoir réaliser une seule des propositions ». Il poursuit: « Nous sommes dans le ‘Rassemblement’ et le moment venu nous allons nous mettre autour d’une table pour désigner un candidat de rassemblement à l’élection présidentielle ». Et de conclure: « Je suis prêt à appuyer celui d’entre nous qui sera désigné… »
Baudouin Amba Wetshi