Dans une dépêche datée du 8 août, l’Agence congolaise de presse (ACP) rapporte que le député national Daniel Safu (Lamuka) a tenu, jeudi 6 août, une « conférence de presse » au cours de laquelle il a « encouragé » le partenariat entre la Direction générale des douanes et accises (DGDA) avec la société privée « Trafigo » au poste-frontière de Kasumbalesa. Aucun journaliste de l’ACP n’était présent à ce point de presse. L’Agence a repris le « reportage » réalisé par l’Agence d’information d’Afrique centrale (ADIAC). Les propos tenus par cet ancien confrère qui aimait se présenter sous le double titre de « journaliste engagé » et « opposant radical » heurtent l’éthique. En se mettant au service d’un groupe d’intérêt, le parlementaire s’est comporté en « lobbyiste ».
Le mot « lobby » est un vocable anglo-saxon qui signifie: « couloir ». Aujourd’hui, ce terme renvoie à une structure d’influence. Autrement dit, un groupe de pression. Les membres d’un lobby sont appelés « lobbyistes ». Ceux-ci arpentent les couloirs des parlements de vieilles démocraties. Objectif: « influencer » des parlementaires à la veille du vote d’une loi. Le lobbyiste ne travaille guère pour la « charité chrétienne ».
Selon l’ADIAC citée par l’ACP, Daniel Safu a commencé par préciser qu’il inscrivait ses propos « dans le cadre de son travail parlementaire ». Et d’ajouter que le rôle du parlementaire ne consiste pas seulement à « charger » mais aussi à « encourager ceux qui travaillent bien ».
Ouvrons la parenthèse ici. Lors de son émission « Masolo na député » du 29 juillet, le journaliste Eliezer Thambwe – qui est également député national – s’est interrogé sur la présence de deux sociétés privées au poste-frontière de Kasumbalesa. A savoir: Trafigo SPRL et Pacific Trading SPRL. « Quelqu’un » a-t-il chargé le député Safu de contrer son collègue Ntambwe? Pour la petite histoire, Daniel Safu fait partie de la « Commission Défense et sécurité » à l’Assemblée nationale. La présidente de ladite commission n’est autre que Jaynet « Kabila ». Fermons la parenthèse.
QUESTION ORALE À LA DGDA
Au cours de son point de presse, Safu dit avoir mené une « enquête » à la suite d’une « Question orale » qu’il avait adressée à la DGDA. Selon lui, cette dernière se porte mieux depuis qu’elle a conclu le partenariat avec Trafigo. « (…). Avec la numérisation des services de la douane à Kasumbalesa, nous sommes rassurés sur le caractère objectif des opérations ainsi que sur la mobilisation des recettes ».
Après ces mots, l’ « honorable Safu » adopta la posture d’un « plaideur » pour ne pas dire « lobbyiste ». Selon lui, la société Trafigo « n’est pas fictive comme d’aucuns voudraient le laisser entendre ». D’après lui, cette société « a acquis cette offre en bonne et due forme, en passant par les voies dont la publicité ne fait l’ombre d’aucun doute ». L’orateur voudrait-il dire que la DGDA avait lancé un appel d’offres remporté par Trafigo? Détiendrait-il des éléments probants?
C’est au mois de mai 2018, que l’Agence congolaise de presse avait révélé que la DGDA venait de confier ses activités douanières à Kasumbalesa à une société privée. L’ACP se reportait à une source qui avait requis l’anonymat.
« LANCEUR D’ALERTE«
Dans une lettre datée du 15 février 2019, adressée au président Felix Tshisekedi par un « lanceur d’alerte », on apprenait que Trafigo « appartient » à Jaynet « Kabila ». Et que cette société éludait « chaque mois un montant de 24 millions de dollars des droits de douane dont elle devait s’acquitter ».
Un avis que Daniel Safu est loin de partager. Baignant dans une sorte de « béatitude », le parlementaire s’est mis à égrener « plusieurs réalisations » à mettre « à l’actif de ce solide partenariat DGDA-Trafigo »: augmentation de la capacité d’accueil des parkings, augmentation du circuit des voies d’évacuation et leur réhabilitation, amélioration du dispositif sécuritaire, acquisition des caméras de surveillance. L’orateur ne s’est pas arrêté là. Il ajoute: la mise en place du premier portique électronique d’Afrique centrale, l’arrimage électronique pour la gestion optimisée des files par ordre de priorité des entrées et des sorties. Ouf! On imagine que tous ces détails lui ont été soufflés.
QUI EST DANIEL SAFU?
C’est à partir de 2015 que le « journaliste engagé » Daniel Safu a acquis une réelle notoriété. Anti-kabiliste assumé, l’homme avait quelques thèmes favoris. C’est le cas notamment de la défense des intérêts du Kongo Central, sa province d’origine, et l’ « éradication » du système incarné par « Joseph Kabila ». Friand des outrances verbales, il finit par « séjourner », par deux fois, à la prison centrale de Makala.
A l’instar de nombreux Congolais n’appartenant pas à l’UDPS, « Daniel » se considère comme un « tshisekediste ». Il aime clamer son attachement aux valeurs défendues par le regretté Etienne Tshisekedi wa Mulumba, le leader de cette formation politique. L’Etat de droit, et la lutte contre la corruption, l’impunité et les anti-valeurs tiennent lieu de principe-phares.
En août 2017, Safu participe en France (Chantilly) à la rédaction du « Manifeste du Citoyen Congolais » sous l’égide de l’I.D.G.P.A (The Institut for Democracy, Gouvernance, Peace and Development in Africa). C’est à l’occasion de ce colloque que l’auteur de ces lignes fera sa connaissance. D’autres « journalistes engagés » de l’époque étaient également présents: Mike Mukebayi, Eliezer Ntambwe et Christelle Vuanga. Tous les quatre seront élus parlementaires au niveau provincial et national. Ils ne juraient que par l’opposition incarnée par la plateforme politique « Lamuka » originelle composée de: Jean-Pierre Bemba, Martin Fayulu, Vital Kamerhe, Moïse Katumbi, Mbusa Nyamuisi, Adolphe Muzito et Felix Tshisekedi.
Lors des élections présidentielles et législatives du 30 décembre 2018, Daniel Safu est déclaré élu, par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), dans la circonscription kinoise du Mont Amba. Six mois après, il est invalidé par la Cour constitutionnelle. En juillet 2019, il est « confirmé » par la même juridiction qui invoqua une « erreur matérielle ».
Fin juillet 2019, l’ « honorable Safu » dit haut et fort l’aversion qu’il éprouve du « deal » conclu entre le Cach et le Fcc: « Aussi longtemps que Felix sera avec Kabila qui a reçu mission de détruire ce pays, je ne serai jamais avec lui ».
ET SI DANIEL SAFU AVAIT FAIT DU LOBBYING?
Lors de la constitution des Commissions à l’Assemblée nationale, la députée Jaynet « Kabila » est désignée présidente de celle en charge de « Défense et sécurité ». Daniel Safu fait partie des vice-présidents.
En juin dernier, le tout-Kinshasa ne parlait que du bouquet de fleurs remis à « Jaynet » par… « Daniel ». C’était à l’occasion de la célébration de l’anniversaire de cette dame. Interrogé au sujet de cette « proximité » qui ressemble fort à un virage à 180 degrés, Safu de bredouiller: « Je suis maintenant un homme d’Etat! ». C’était lors de l’émission « Questions publiques » de Peter Tiani.
Le deuxième alinéa de l’article 100 de la Constitution congolaise stipule: « Sans préjudice des autres dispositions de la présente Constitution, le Parlement vote les lois. Il contrôle le gouvernement, les entreprises publiques ainsi que les établissements et les services publics ». Et si Safu avait détourné sa noble mission de parlementaire en faisant du lobbying pour un groupe d’intérêt?
Baudouin Amba Wetshi