Mesdames et Messieurs de la Communauté internationale,
et chers Compatriotes,
Il y a six jours, j’ai reçu, sur Hinterland, une vidéo montrant les images atroces de l’assassinat chez nous en République démocratique du Congo (R.D.C.), aux Kasaï, de Madame Zaïda Catalan, de nationalité suédoise et chilienne, experte et enquêteur de l’O.N.U., tuée en même temps que son collègue de service, Monsieur Michael Sharp, de nationalité américaine, en plein exercice de leur mission pour le compte de l’Organisation des Nations Unies et de leur journal, le New York Times.
La cruauté et la barbarie de ce crime m’ont estomaqué et rappelé un autre du même ordre commis suivant le même mode opératoire au Sud-Kivu, dès les premières semaines de la deuxième Guerre de l’Est, celle du Rassemblement des Congolais pour la Démocratie (R.C.D.), et qui demeure à ce jour impuni: un massacre entre mille commis dans la foulée de cette Guerre sanguinaire dont moi-même et toute ma famille nucléaire ainsi que tout le peuple congolais nous portons à tout jamais une douleur profonde et lancinante et les stigmates marqués au feu rouge!
C’est ainsi qu’en visionnant cette vidéo, ma sensibilité a été heurtée et ma mémoire ravivée par le chagrin. Aussi, ai-je cru aussitôt devoir partager directement ces images avec les miens, mes frères et sœurs, mes enfants et quelques uns de mes amis qui sommes affectés et partageons naturellement les affres de tels crimes.
Aujourd’hui, cependant, un ami, mieux outillé en informatique, responsable de l’un des médias de l’opposition congolaise qui diffusent mes messages d’opposant à l’étranger, en particulier auprès des Congolais vivant dans les pays de l’Union Européenne, m’ayant fait remarqué que ces images n’ont pas été réalisées dans notre pays, la République démocratique du Congo, j’ai tiqué en voyant la couleur de la peau de certains parmi ces tueurs à gage et me suis alors décidé d’y revenir, par devoir d’honnêteté. Pour: d’abord, dénoncer la forfaiture des auteurs de cette vidéo macabre au cas où celle-ci ne serait pas avérée; ensuite, pour dénoncer et prévenir la déloyauté de ceux qui, pour des raisons obscures et inavouées, exploitent notre douleur et nos malheurs pour justifier leurs visées et leurs prétentions sur notre pays; et enfin, pour exiger de la Communauté internationale que Justice soit faite non seulement en faveur des victimes récentes de l’O.N.U. au Congo, mais aussi, comme le souhaite ardemment le peuple congolais, et peut-être surtout en faveur des victimes congolaises de la Guerre de l’Est, si tant est vrai que la Communauté internationale entend, conformément aux missions dévolues à l’O.N.U., restaurer une paix durable dans l’ex-République du Zaïre, seul gage de la sécurité internationale dans le monde, particulièrement en Afrique centrale et de l’Est.
Mesdames et Messieurs de la Communauté internationale,
Mes chers Compatriotes,
En 1998, dans la foulée de la Guerre du R.C.D., alors conduite, sous les ordres des Présidents rwandais, Paul Kagame, et ougandais, Yoweri Kaghuta Museveni, par Ernest Wamba dia Wamba, Arthur Z’Ahidi Ngoma, Moïse Nyarugabo, Jacques Depelchin, Lunda Bululu, Kalala Shambuyi, Thambwe Mwamba, Bizima(na) Karaha(muheto), Mbusa Nyamwisi, Déogratias Bugera, Joseph Mudumbi, Dr. Gertrude Mpala, E. Kamanzi, Me Emungu Ehumba, E. Ngangura Kasole, Dr. Emile Ilunga, Jacques Matanda, Daniel Mayele, José Endundo, Kinkiey Mulumba et Lambert Mende, ainsi que, peu après, Banza Mukalayi, Azarias Ruberwa, etc., les soldats rwandais de l’Armée Patriotique Rwandaise (A.P.R.), tous d’origine tutsi, usant du même mode opératoire aujourd’hui en cours aux Kasaï, ont procédé à des massacres systématiques dans mon Sud-Kivu natal avant que la société Banro Corporation Inc., une multinationale américano-canadienne qui finançait la Guerre, ne s’empare juste après de mes Concessions minières familiales.
Et c’est donc au même mode opératoire, d’abord les massacres de mes frères du Kasaï, ensuite l’occupation des terres et des concessions minières suivies de l’exploitation illicite des gisements miniers parmi les plus riches de notre pays qu’il nous est encore donné d’assister aujourd’hui!
Madame Zaïda Catalan et Monsieur Michael Sharp viennent donc d’être sauvagement assassinés dans mon pays de la même manière, la plus atroce et la plus cruelle qui soit, que l’on avait assassiné en octobre 1998 ma propre nièce, Yvette Nyanghe Mukulumanya, épouse du Mwami Na-Luindi François Mubeza III, et Reine de Kasika à peine venait-elle d’avoir son diplôme universitaire de Licence en économie et était-elle enceinte de son premier enfant qui ne vit plus jamais le jour. C’est autrement dire que, de 1998 à 2017, rien n’a changé dans mon pays! Et aussi curieux que cela puisse paraître, c’est impunément que les responsables et les auteurs de ces crimes horribles, on ne peut plus odieux, dont je viens de donner quelques noms en échantillon ci-dessus, sont depuis lors au pouvoir en R.D.C.! Et tout aussi curieusement, c’est à eux que la Communauté internationale, en particulier les Grandes Puissances de ce monde ont confié et laissé, au détriment des Nationaux que nous sommes, le loisir d’instaurer la démocratie, ou une caricature de démocratie, dans ce pays…
Pour votre édification, voici comment avait été assassinée ma nièce dans les veines de laquelle coulait mon sang et celui de son père que, soit dit en passant, l’on a aussi assassiné à Goma, il y a trois ans, lorsqu’en revenant de l’enterrement de sa mère décédée à Fizi où il s’était rendu après quinze ans d’exil, il y venait d’arriver pour prendre son avion de retour à son lieu d’exil:
Ce dimanche-là, ma nièce et son mari priaient, en pleine messe dominicale, à la Paroisse de Kasika. Étaient présents à cette messe plusieurs chrétiens de ce grand village et des environs. Soudain, des soldats tutsi rwandais parlant le « kinyarwanda » et l’anglais, portant des bottes et armés jusqu’aux dents firent irruption dans l’Église, barricadèrent toutes les portes et s’y enfermèrent prenant ainsi en otage tous les fidèles innocents: hommes, femmes, enfants, jeunes et vieux. Ils s’emparèrent ensuite de Monsieur le Curé qui présidait la messe, puis de deux autres Abbés présents et les massacrèrent. Une religieuse qui fit mine de s’en émouvoir fut poignardée et réduite au silence. Alors, ma nièce poussa un cri d’horreur! Ces soldats tueurs, tous des Tutsi rwandais du R.C.D., s’emparèrent d’elle, l’étendirent sur l’autel, lui ouvrirent la grossesse à la baïonnette, en firent sortir son tout premier fœtus d’enfant, le dépecèrent tandis qu’elle regardait transpirant et hurlant de douleur sans rien voir et encore en vie, puis on l’égorgea! Son mari qui, ce voyant, s’était élancé pour voler à son secours avait aussitôt été maîtrisé et alors qu’il se débattait encore entre les mains des malabars tutsi qui le tenaient, des compères de ceux-ci lui ouvrirent la poitrine, à la baïonnette toujours, puis le thorax et en firent sortir le cœur encore battant et le placèrent sur un plateau d’or de l’Église, lui coupèrent la tête et, elle aussi encore dégoulinant du sang, la mirent sur le même plateau. Alors, ils s’adonnèrent en chantant et à cœur joie au massacre de tous les fidèles présents. Puis, une fois sortis de l’Église, les tueurs tutsi firent du porte-à-porte dans le village ainsi que dans tous les villages environnants massacrant toute âme qui vive! A la fin de leur sale besogne, ils emportèrent au Rwanda le plateau sur lequel étaient posés la tête et le cœur de François Mubeza III, Grand Chef traditionnel, comme symbole, se plaisaient-ils à chanter, de leur future victoire sur le Congo ex-Zaïre de Mobutu!
Depuis lors, commencèrent alors d’autres épisodes, comme celui de l’enterrement des femmes vivantes à Mwenga, parmi lesquelles, trois femmes et une religieuse qui avaient des liens familiaux avec ma défunte épouse, et ceux des massacres, sinon, du génocide, des Nande, des Tembo, des Hunde, des Shi, des Lega, des Vira, des Fuliiru, des Bembe, etc., mais, dont cependant, vous conviendrez avec moi que ce n’est pas ici le lieu ni le moment de conter.
Mesdames et Messieurs de la Communauté internationale,
Mes chers Compatriotes,
En apprenant tout ce qui précède et dont j’ai toujours fait état depuis lors dans les nombreux écrits de mon combat pour la libération de l’Est de notre pays complètement vandalisé, de la Province de l’ex-Haut-Zaïre au Nord-Katanga en passant par les riches Provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, je pense que vous comprenez très bien pourquoi je me suis permis de relayer auprès des miens ces images fortes de la mort atroce et inhumaine de Madame Catalan: pour leur rappeler celle que la barbarie entourant cette mort m’a rappelée, hautement dramatique dont je souffre depuis lors des douleurs enflammées et lancinantes dans chacune des fibres de ma chair et dans mes os. Tant il m’a semblé que ce rappel devait être perçu comme une invitation à ne pas se leurrer et à rester éveillés et activement mobilisés pour nous défendre contre l’envahisseur et l’usurpateur de la nationalité congolaise et pour défendre nos droits et nos intérêts dans l’unité.
Que ces images soient vraies ou fausses, c’est aux enquêteurs qu’il appartient d’établir leur véridicité et/ou leur authenticité. En un mot, ce à quoi nous devons tous nous en tenir.
C’est pourquoi je joins ma voix à celle des dix Sénateurs américains, Messieurs et Mesdames, Pat Roberts, Cory Booker, Ed Markey, Jerry Moran, Lisa Minkowski, John Kennedy, Chris Coons, Susan Collins, Richard Durbin et Jeff Merkley, qui ont instamment demandé, ce vendredi 7 juillet 2017, à l’honorable Nikki R. Haley, Représentant permanent des États-Unis auprès de l’Organisation des Nations Unies de travailler en étroite collaboration avec le Secrétaire Général de l’O.N.U., en vue de la constitution et de l’envoi sans délai d’une Commission d’Enquête Internationale Spéciale et Indépendante sur les massacres et les violations des droits de l’homme dans les Provinces des Kasaï en République Démocratique du Congo (R.D.C.).
Pour ma part, et puisque je sais que mes amis qui sont au pouvoir dans mon pays ne le feront pas, j’enjoins à notre Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire, et Représentant permanent de la R.D.C. auprès de l’O.N.U. à New York, de s’associer à cette démarche, pour s’assurer de la garantie d’une bonne justice, et de la protection des droits et des intérêts du Congo et de son peuple, et non des dirigeants du Congo en veillant spécialement sur le fait que cette Commission d’Enquête ne comprenne aucun membre des pays impliqués dans le pillage de nos ressources tout comme dans le financement de la Guerre de l’Est chez nous.
Dans le même ordre d’idées, je voudrais inviter les acteurs politiques de la majorité présidentielle et de l’opposition politique institutionnelle de même que les membres de l’opposition politique extra-parlementaire ou non-institutionnelle sur deux faits: d’abord à considérer que ce moment étant grave au regard de l’agitation qui a gagné toutes les parties prenantes au conflit artificiel qui nous est imposé depuis vingt-un ans et qui risque d’emporter notre pays, il est temps de cesser de prendre les choses à la légère, de jouer avec le feu et de poursuivre le montage des stratégies suicidaires pour la satisfaction des intérêts personnels dès lors que notre case est entrain de brûler. Ensuite, à arrêter de se distraire en s’adonnant aux discussions individuelles partisanes oiseuses ou de chapelle, et à engager au nom de l’intérêt national des débats de fond en vue de la sortie de la crise. Aussi voudrais-je attirer leur attention sur le fait qu’ils doivent s’abstenir, à cette occasion où les faits graves interpellent la justice internationale, de chercher à profiter de la crise diplomatique qui se fait jour entre notre pays et la Communauté internationale pour envenimer inutilement la situation déjà préoccupante de et dans notre pays. Et pour cela, ils doivent veiller à ne pas verser au dossier de cette Enquête internationale des éléments insuffisamment documentés ou non avérés.
Par ailleurs, puisque je connais bien le jeu et les joueurs, je voudrais, en même temps, demander aux Chefs d’Etat africains et des Gouvernements de ne pas transformer les Sommets de l’Union Africaine en réunions du Syndicat des Chefs d’Etat pour leur seul maintien au pouvoir au détriment des droits des peuples et des intérêts supérieurs de leurs Nations respectives. Les Chefs d’Etat et des Gouvernements sont en effet tenus, non pas de profiter de la souveraineté de leurs États pour couvrir leurs forfaitures et les lacunes de leur gestion de la chose publique, mais de bien gérer leurs États, de mieux défendre et garantir la souveraineté de leurs peuples et de mieux veiller à l’intégrité de leurs territoires et à l’inviolabilité des droits inaliénables de leurs États et de leurs peuples auxquels, in fine, ils ont naturellement et absolument des comptes à rendre.
A la Communauté internationale, enfin, je voudrais redire que l’avènement de la paix est sans cesse fuyante depuis le début de la Guerre de l’Est en date du 26 octobre 1996, non pas parce que la crise congolaise est insoluble, mais simplement parce que, gangrenée dans sa poursuite des intérêts indus et illicites qu’elle escompte à travers la Guerre de l’Est, elle n’a pas su se montrer à la hauteur de sa tâche s’étant engagée à ne pas respecter le prescrit du droit international concernant le règlement des conflits entre les États, nonobstant le fait que depuis lors et de tout temps, je n’ai cessé, ainsi que beaucoup d’autres après moi, de dénoncer le mal: les destructions méchantes, les viols, les pillages des minerais de sang, les violations massives des droits de l’Homme, les crimes odieux, les cruautés inimaginables et jamais connues sous la Deuxième République mobutiste, mais qui demeurent toujours impunis! Pourquoi? Que des violations du droit international dans le règlement du conflit prétendument congolais qui a lieu et tend à s’éterniser dans l’Est de mon pays, la R.D.C. Pourquoi?
Si, en mon nom et au nom du peuple congolais meurtri et depuis longtemps abandonné à son triste sort par ses dirigeants et par la Communauté internationale poursuivant des objectifs et des agendas illégitimes autres que ceux pouvant conduire immédiatement à la paix et à la sécurité internationale, je souscris ici à l’impératif de la constitution immédiate d’une Commission d’Enquête internationale indépendante pour nous éclairer sur les tenants et les aboutissants de ces massacres, c’est parce que j’estime que le meurtre de Madame Zaïda Catalan et de Monsieur Michael Sharp ne doit pas rester impuni comme cela a souvent été le cas pour tant d’autres qui ont, jusqu’à ce jour, été impunément perpétrés dans mon pays. D’autre part, je souhaite que cette procédure aboutisse à l’arrestation et à la mise en accusation des vrais coupables et de leurs responsables, qu’ils soient au pouvoir ou non, nationaux ou étrangers, blancs ou noirs, et que ces coupables soient réellement sanctionnés. Ce sera un cas de jurisprudence pour la suite et une raison de commencer à penser à la fin de la Guerre!
Je forme l’espoir, en effet, que si elle est bien menée, cette Enquête, et si les coupables ainsi que les pêcheurs en eaux troubles, comme les multinationales qui se cachent derrière eux pour illicitement accéder à l’exploitation de nos ressources naturelles sont démasqués, dénoncés et mis hors d’état de nuire, alors, et alors seulement, nous serons en mesure de nous prendre en charge, de protéger nos droits, de veiller sur nos intérêts. Et capables, en même temps, de développer des relations saines de coopération responsable, mutuellement avantageuse, et de rencontrer, dans la transparence, les préoccupations de tous les partenaires respectueux de notre souveraineté qui voudront être à nos côtés et nous accompagner dans nos efforts pour notre développement national. Car, nous sommes contre la Guerre, contre les massacres, contre les pillages et contre l’occupation de nos terres par des étrangers sans foi ni lois comme voies d’accès à l’exploitation de nos ressources. Comme voies, elles sont inacceptables et immorales! D’autant plus que nous sommes conscients de l’étendue des ressources halieutiques, du sol, du sous-sol et climatiques dont regorgent notre pays, et que nous sommes tout aussi conscients de nos limites et de la nécessité de recourir au savoir-faire et aux compétences de nos partenaires pour mettre en valeur nos dites ressources en veillant bien à ce que notre peuple, notre État et des partenaires honnêtes, y trouvions chacun notre compte. J’ai donc foi que c’est ce faisant que nous saurons instaurer dans notre pays une démocratie viable et crédible.
Mukulumanya wa N’gate Zenda
Président du Mouvement Populaire de la Révolution (M.P.R.)
Ancien ministre des Affaires étrangères