C’est un arrêté ministériel aux allures d’une « assignation à résidence » que le ministre de la Justice « en affaires courantes » Alexis Thambwe Mwamba a signé, le mercredi 20 mars, portant « libération conditionnelle » de l’opposant politique Eugène Diomi Ndongala. Cette décision de libération est assortie de quelques obligations usuelles. Sauf que certaines de ces contraintes trahissent des arrière-pensées politiques. Diomi serait-il plus nocif que l’ex-chef milicien Kyungu Mutanga, alias « Gédéon » qui, bien qu’évadé de prison, mène une vie tranquille « d’honnête retraité » sous la haute protection de « Joseph Kabila » et du patron de l’Agence nationale de renseignements, Kalev Mutondo?
Président du parti « Démocratie chrétienne » et proche d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba, Eugène Diomi Ndongala devait quitter la prison centrale de Makala ce mercredi. Si le directeur de la prison de Makala ne va plus exercer de la surveillance sur lui, Diomi est désormais sous la coupe du procureur général près la Cour de cassation chez qui il est tenu de « se présenter chaque lundi », indique l’arrêté précité.
Outre l’obligation « de ne pas encourir une peine privative de liberté entre la période s’étendant du 20 mars au 8 avril », le « libéré » ne doit pas « causer du scandale par sa conduite ». Plus surprenant, ce dernier ne peut pas « se livrer à des déclarations et activités politiques de nature à troubler l’ordre public et le bon fonctionnement des institutions étatiques ».
De quoi parle-t-on? S’agit-il d’une infraction de droit commun ou d’une infraction politique? Quid de l’article 23 de la Constitution qui reconnait à tout citoyen le droit à la liberté d’expression? Ce droit n’implique-t-il pas notamment la faculté de critiquer les gouvernants?
JUSTICE A DEUX VITESSES
L’ex-pensionnaire de Makala ne peut pas non plus « sortir du territoire national » ni « se rendre dans aucun point de sortie du territoire national ». Il ne peut pas « se retrouver dans un périmètre de 500 mètres d’une école des filles pendant les heures des cours ». Et si son domicile était situé à quelques mètres d’une de ces écoles? « Devrait-il déménager? », s’interrogeait un juriste congolais qui n’a pas hésité à fustiger une « justice à deux vitesses ».
Diomi serait-il plus dangereux que l’ex-chef milicien Kyungu Mutanga, alias « Gédéon », un égorgeur, qui s’était évadé, le 7 septembre 2001, de la prison de la Kasapa, à Lubumbashi, avant d’être accueilli, en octobre 2016, avec solennité par Kalev Mutondo, le patron d’alors de l’ANR?
La « libération conditionnelle » est une suspension de la peine privative de liberté. Le bénéficiaire doit réunir deux conditions essentielles. A savoir: subir au moins le tiers de la peine et présenter des « gages sérieux » de réinsertion sociale. Thambwe Mwamba reconnait que le condamné « a déjà purgé plus d’un quart » de sa peine et « qu’il a fait preuve d’amendement pendant son incarcération ».
Arrêté le 8 avril 2013, Eugène Diomi est condamné le 26 mars 2014 à 10 ans de servitude pénale pour « viol à l’aide de violence, exposition d’enfants à la pornographie, détention d’enfants et tentative de viol d’enfants », précise cette décision ministérielle. La libération définitive devrait intervenir le 8 avril 2023. Et ce, à la condition que la révocation de cette libération n’intervienne pas avant le 8 avril 2023.
Durant les dix-huit années de sa présence au sommet de l’Etat congolais, « Joseph Kabila » a utilisé les « services » et l’appareil judiciaire comme « ses choses ». Les services et les Cours et les tribunaux ont été mis à contribution pour museler les adversaires et autres contempteurs de l’ancien Président. C’est le cas notamment de Diomi.
« MAJORITÉ PRÉSIDENTIELLE POPULAIRE »
Les ennuis politico-judiciaires de ce tshisekediste pur et dur ont commencé au lendemain de l’élection présidentielle et des législatives organisées le 28 novembre 2011. De l’avis général, Etienne Tshisekedi wa Mulumba avait remporté haut la main une présidentielle jalonnée de graves fraudes face à « Joseph Kabila ».
En juin 2012, la province du Nord-Kivu est secouée par une mutinerie menée par des anciens combattants du CNDP (Congrès national pour la défense du peuple) de Laurent Nkunda. C’est la naissance du « M23 ».
Provocation ou pas, le 23 juin, Diomi fait célébrer un office religieux à la Cathédrale Notre Dame à Lingwala « en soutien » aux soldats de l’armée congolaise, les FARDC. Tshisekedi wa Mulumba était présent. Il sera ovationné bruyamment par l’assistance. Au grand déplaisir des sbires du régime défunt.
Après la messe, Diomi et quelques activistes politiques décident de mettre sur pied une plateforme politique pro-Tshisekedi dénommée « Majorité présidentielle populaire » (MPP). La date du 27 juin est fixée pour la signature solennelle de la charte de ce cartel. La nouvelle est accueillie chez les « durs » de la Kabilie comme une déclaration de guerre.
Le 28 décembre 2012, Diomi est interpellé au Beach Ngobila, « sur ordre de la hiérarchie », par des agents de l’Agence nationale de renseignements, au moment où il allait embarquer dans un bateau à destination de Brazzaville. Interrogé de 13h00 à 19h00, Diomi est privé de son passeport. Il lui est interdit de quitter le territoire national. Aucun motif ne lui est signifié.
PRISONNIERS PERSONNELS DE « KABILA »
Le 8 avril 2013, le président de la Démocratie chrétienne est arrêté. Il est accusé de « viol sur mineures ». Il faut être un parfait naïf pour ne pas y voir une cabale politico-judiciaire tissée du fil blanc. La suite est connue.
Qui a dit que tous les Congolais étaient égaux devant la loi? Eugène Diomi Ndongala serait-il moins Congolais que l’ex-chef milicien Kyungu Mutanga qui s’était évadé en plein jour de la prison de Haute sécurité de la Kasapa? Devrait-on rappeler que Gédéon et ses égorgeurs ont commis des viols, des pillages et des assassinats au Nord-Katanga sur l’axe Pweto-Mitwaba-Malemba Nkulu, de 2003 à 2006?
Comment peut-on expliquer la protection que bénéficie Gédéon depuis sa reddition, le 15 octobre 2016, de la part des autorités à Lubumbashi? Comment peut-on expliquer que l’ex-chef milicien ait été accueilli avec tant d’honneurs par le patron de l’ANR, Kalev Mutondo?
On le voit, « Gédéon » ne fait face à aucune restriction de liberté. Eugène Diomi Ndongala, lui, a droit à une « libération très conditionnelle ». Il est tenu de se présenter chaque lundi à l’office du procureur général près la Cour de cassation.
Sorti de Makala, Diomi se trouve quasiment assigné à résidence par le ministre Thambwe, un homme réputé pour son manque d’humanité et sa morgue. Fort heureusement, « Alexis » est en passe de devenir un homme du passé.
Diomi doit apprendre à vivre avec une sorte d’épée de Damoclès suspendu au-dessus de sa tête. Comment ne pas donner raison à ceux qui soutiennent que l’ancien président « Joseph Kabila » disposait et continue à disposer de quelques « prisonniers personnels » à Makala et ailleurs?
B.A.W.