A la surprise générale, le président congolais hors mandat « Joseph Kabila », a choisi la journée de vendredi 26 janvier pour rompre cinq années de mutisme en animant un point de presse devant quelques journalistes kinois. Des confrères sélectionnés – à quelques rares exceptions près – sur base de leur degré de connivence avec l’oligarchie en place. Le 26 janvier 2001, un « OVNI politique » nommé « Joseph Kabila » succédait au président LD Kabila assassiné (?) dix jours auparavant dans des conditions non-élucidées à ce jour. D’aucuns ont cru, à tort, que l’improbable successeur de Mzee avait choisi cette date commémorative pour deux raisons. Primo: dresser le bilan de ses 17 années d’exercice de cette fonction exceptionnelle. Secundo: annoncer aux Congolais qu’il ne briguera pas un nouveau mandat lors de l’élection présidentielle fixée au 23 décembre prochain. Rogue, aveuglé par ses certitudes, l’homme a esquivé ces deux sujets. Dans un long monologue de près de deux heures, il a raconté ce qu’il voulait bien entendre. « Dans quel monde vit Joseph Kabila? » C’est la question qui revient, depuis vendredi 26 janvier, dans toutes les conversations. En dix-sept années de pouvoir, « Joseph » a « liquidé » l’ex-Zaïre. Il y a urgence de le « stopper » avant qu’il ne soit trop tard.
Dans l’homélie qu’il a prononcée lors de la messe organisée à l’occasion de la commémoration du 17ème anniversaire de la disparition de Mzee Laurent-Désiré Kabila, Mgr François-David Ekofo Bonyeku semblait s’adresser à « Joseph Kabila »: « Comment voulez-vous connaitre une personne que vous n’avez jamais côtoyé? Comment voulez-vous aimer une personne que vous ne fréquentez pas? »
Dix-sept ans après son accession à la tête de l’Etat congolais, « Joseph » reste une grande énigme pour les 70 millions des Congolais. Les deux « parties » ne se sont jamais connues. Depuis 17 ans, l’homme qui « trône » à la tête de l’ex-Zaïre vit dans une sorte de blockhaus protégé par des gardes du corps étrangers. Rien d’étonnant que ce dernier paraisse déconnecté des réalités. Sans doute qu’il avait une autre « mission » que la renaissance du pays.
Lors de son point de presse précité, « Kabila » a estimé que la « réunification et la pacification du pays » constituent son plus « grand succès ». Il n’a pas pipé un mot sur le rôle décisif joué par la « communauté internationale » à travers notamment le CIAT (Comité international d’accompagnement de la transition) et la Mission onusienne au Congo.
Vendredi, « Kabila » n’a exprimé qu’un seul « regret ». Celui de « n’avoir pas réussi à transformer l’homme congolais en un homme nouveau ». On croit rêver! L’orateur s’est trahi en ajoutant: « on y travaille ». Comment pourra-t-il y travailler alors que son dernier mandat a expiré le 19 décembre 2016 et que c’est l’Accord de la Saint Sylvestre qui lui a accordé un sursis qui a pris fin le 31 décembre 2017? Peut-on changer le monde sans commencer par se changer soi-même en prêchant par l’exemplarité?
C’est le lieu de ramener « Joseph Kabila » au vrai débat en lui posant une question fondamentale: qu’a-t-il fait de ses dix-sept ans de pouvoir?
LES PROMESSES
En fait, il y a eu plusieurs « Joseph Kabila ». Le premier a « dirigé » le pays de 2001 à 2005 sous le régime de transition « 1+4 ». C’est le fameux « homme à la grande capacité d’écoute », dixit Louis Michel, alors ministre belge des Affaires étrangères. Lors de son investiture le 26 janvier 2001, l’homme égrena ce qui apparait aujourd’hui comme un chapelet de bonnes intentions: renforcer l’Etat de droit; instaurer la paix et la communion nationale par une politique qui privilégie le dialogue; consolider la démocratie, la bonne gouvernance et garantir le respect des droits fondamentaux; mettre sur pied une armée et une police modernes, fortes, bien équipées, respectables et respectueuses des droits de chacun, capables de défendre la nation en toutes circonstances. L’objectif était de prendre le contre-pied de la politique imprévisible menée auparavant par son prédécesseur.
Le second « Kabila » a régenté les affaires du pays en autocrate de 2006 à 2011. C’est le temps de l’arrogance et de l’autoritarisme. « Elu » en décembre 2006 sans avoir battu campagne en présentant un projet de société ou programme politique, le « fils » de Mzee – chouchouté par l’Occident – de récidiver en annonçant un projet pharaonique dénommé « les Cinq chantiers ».
Dans une interview accordée au « Soir » de Bruxelles daté du 16 novembre 2006, il exulte en présentant ses « priorités des priorités »: « J’ai identifié cinq chantiers urgents: d’abord, les infrastructures – routes, rails, ponts -, il faut que les régions soient reliées les unes aux autres, que les gens puissent circuler. Ensuite, la création d’emplois, qui passe par les investissements. (…). Troisième chantier: l’éducation. (…). Quatrième chantier: l’eau et l’électricité ».
Le dernier et troisième « Kabila » est celui de 2011 à ce jour. C’est le triomphe de l’aveuglement, de l’arbitraire. Bref, la dérive dictatoriale. Lors de son investiture le 20 décembre 2011, le président « réélu » annonce un nouveau projet de société dénommé « la révolution de la modernité » sans avoir fait au préalable le bilan des « Cinq chantiers ».
Selon lui, ce nouveau projet vise à transformer le Congo-Kinshasa en « un pool d’intelligence et de savoir-faire, (…), un grenier agricole, une puissance énergétique et environnementale, une terre de paix et de mieux-être, une puissance régionale au cœur de l’Afrique, l’objectif ultime étant l’émergence de notre pays ». Il conclut sa description par une évidence: « Sans infrastructures efficaces, la lutte contre la pauvreté est vouée à l’échec ». Quid des réalisations?
LES RÉALISATIONS
Parlant du bilan des « Cinq chantiers », Etienne Tshisekedi wa Mulumba aimait ironiser en parlant de « quelques routes goudronnées ». En fait, il faut se munir d’une loupe pour voir les réalisations accomplies sous la présidence de « Joseph Kabila ».
Le social. « Joseph Kabila » accède à la tête de l’Etat congolais quatre mois seulement après le lancement en septembre 2000 des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) par l’Assemblée générale des Nations Unies. Parmi ces objectifs, on peut citer: éliminer l’extrême pauvreté et la faim, assurer une éducation primaire pour tous, réduire la mortalité des enfants de moins de 5 ans, améliorer la santé maternelle, combattre le VIH/sida le paludisme et d’autres maladies.
Dix-sept années après, « Joseph » qui clamait que sa « première priorité, c’est la situation sociale » (Le Soir daté du 07.03.2001) et « le social est mon cheval de bataille » (Grands Lacs magazine, juin 2015), a négligé la micro-économie. La pauvreté explose. Peu attractif, l’environnement des affaires n’attire que peu d’investisseurs pour créer des emplois. L’eau et l’électricité restent la croix et la bannière pour la grande majorité de la population. Des maladies éradiquées jadis font un retour en force. C’est le cas notamment de la fièvre typhoïde et du choléra. Les entreprises de pompes funèbres sont devenues un « business » très lucratif. En septembre 2014, l’Unesco publie un rapport selon lequel 18 millions d’adultes congolais ne savent ni lire ni écrire. L’échec est cuisant.
L’Etat de droit. Interrogé, vendredi 26 janvier par la correspondante de RFI s’il sera candidat à l’élection présidentielle du 23 décembre prochain, « Joseph Kabila » a répondu par une pirouette: « Remettez un exemplaire de la Constitution à ma jeune sœur ». Si le « conférencier » avait pris la peine de parcourir la Charte fondamentale en vigueur, il aurait été horrifié par le nombre de fois qu’il a violé celle-ci plongeant aujourd’hui le pays dans une nouvelle crise de légitimité.
Depuis 2012, l’homme ne cesse de multiplier de stratagèmes (rébellion du M23, l’ouvrage d’Evariste Boshab « De la révision de la constitution à l’inanition de l’Etat », les concertations nationales, les différents dialogues politiques inclusifs etc.). L’objectif paraît clair: repousser le plus loin possible la date de la convocation du scrutin pour l’élection présidentielle prévue initialement mi-septembre 2016. L’installation du nouveau Président élu devait intervenir le 19 décembre de la même année.
A un journaliste européen qui lui demandait si les élections auront bel et bien lieu le 23 décembre prochain, « Kabila » s’est cru malin en demandant qu’un exemplaire du calendrier électoral publié par la CENI soit remis à l’intéressé. Le président hors mandat est le seul à ne pas voir que la « terre entière » ne lui fait plus confiance.
Que dire des violations des droits humains? Deux « marches pacifiques » organisées le 31 décembre 2017 et le 21 janvier dernier par le Comité Laïc de Coordination (CLC) ont été violemment réprimées. Dieu seul sait le nombre des victimes. Des familles pleurent actuellement leurs morts mais aussi des « disparus ».
Des Kinois ont vu des civils armés opérer aux côtés des forces dites de sécurité lors de ces manifestations. Que dire d’autres décès mystérieux? Aimée Kabila, Ngezayo Safari Prigogine, Pascal Kabungulu, Floribert Chebeya, Fidèle Bazana, Louis Bapuwa Mwamba, Didace Namujimbo, Serge Maheshe, Armand Tungulu sont autant des victimes de la barbarie ambiante. Le sang de ces citoyens crie justice au ciel. Qui oubliera le double massacre, en 2007 et en 2008, des adeptes l’ex-mouvement politico-religieux Bundu dia Kongo? L’Etat de droit promis n’a été qu’un slogan risible.
L’économie. Depuis son accession à la tête de l’ex-Zaïre, « Joseph Kabila » n’a jamais eu le moindre grand dessein pour le pays. L’homme et ses « chefs de gouvernement » successifs n’ont excellé que dans des slogans creux. Des incantations.
A titre d’illustration, nommé Premier ministre en 2012, Augustin Matata Ponyo déclarait trois années plus tard que le Congo était « sur le chemin de l’émergence ». Selon lui, le pays allait se hisser au niveau des pays à « revenu intermédiaire » en 2016. « Kabila » et son « Premier » de l’époque n’avaient que deux mots dans la bouche: « la macroéconomie ». Les yeux rivés sur la croissance, ils avaient oublié l’homme. A en croire Matata, en 2014, la croissance était de 9,5%. Une « performance » sans impact au niveau du quotidien de la population.
TRANSITION POUR REFONDER L’ETAT
Sur le plan politique et sécuritaire, on assiste au triomphe du « banditisme d’Etat » avec son corollaire le recul démocratique. Rarement les Congolais n’ont été aussi inégaux devant la loi selon qu’on est membre de l’opposition ou de la mouvance kabiliste. Pire, des bandes armées nationales et étrangères de connivence avec le pouvoir politique et certains « généraux » sèment la terreur dans la partie orientale du pays.
La corruption, elle, a élevé « Joseph Kabila » et sa fratrie en famille la plus riche du pays. Le dirigeant congolais et sa famille sont crédités de plusieurs milliards de dollar américain. Panama Papers, Passeport biométrique, magouille financière à la BGFI, Paradise paper sont autant de scandales qui ont jeté une lumière crue sur cette étrange famille. Pendant ce temps, les Congolais, eux, vivent avec 1,25 $ par jour. Au niveau de l’indice du développement humain (IDH), l’ex-Zaïre est classé 176è sur 187 pays.
Laisser « Joseph Kabila » réaliser sa folie de briguer un nouveau mandat, reviendrait à condamner ce grand pays au sous-développement. Et à rester à genoux. Ne faudrait-il pas tourner la page de ces dix-sept années sombres? Le cardinal Laurent Monsengwo Pasinya n’a-t-il pas dit que « les médiocres doivent dégager »?
Dans son homélie, Mgr Ekofo n’a pas dit autre chose. Pour lui, le Congo-Kinshasa « n’est plus vraiment un Etat ». Durant dix-sept ans, « Joseph Kabila » – c’est nous qui l’ajoutons – a « liquidé » le Congo-Zaïre. La survie du pays dépend de la « neutralisation » de cet homme. Ne serait-il pas, en revanche, suicidaire de mettre en route les élections générales dans un Etat aussi fragilisé tant au niveau de sa sécurité que de la cohésion nationale?
Ne devrait-on pas examiner sérieusement l’idée d’une nouvelle transition politique? L’objectif in fine serait de doter le pays d’institutions fortes au plan économique, social, sécuritaire, administratif et judiciaire. Pourquoi pas une transition d’une durée de cinq ans? Chaque année serait l’occasion d’organiser un type d’élection en partant des locales. La présidentielle et les législatives devant être le couronnement…
Baudouin Amba Wetshi
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