Le pouvoir congolais jure de respecter la Constitution par les élections fixées au 23 décembre 2018. Soit deux ans après le délai légal et un an après l’accord non appliqué du 31 décembre 2016! Quel crédit peut-on encore lui accorder?
Les dimanches 31 décembre 2017, 21 janvier et 25 février 2018 les forces congolaises (garde républicaine, armée, police…) censées assurer la sécurité des personnes et des biens sur le territoire national ont réprimé, dans le sang, les marches pacifiques organisées à l’initiative du Comité laïc de coordination (CLC). Ces marches – expression de l’exaspération et de la résistance face à l’arrogance et à la politique du fait accompli d’un pouvoir désormais aux soins palliatifs, faute de légitimité, de crédibilité et d’un bilan socio-économique patent – visaient à réclamer l’application effective de l’Accord politique global et inclusif signé, sous l’égide de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), le 31 décembre 2016. Et pour cause!
DÉSINTÉRÊT POUR L’APAISEMENT
Outre plusieurs points de décrispation restés lettre morte, la désignation autoritaire et unilatérale d’un Premier ministre et d’un président du Conseil national du suivi de l’accord (Cnsa) – par le débauchage de deux franc-tireurs du Rassemblement de l’opposition (Rassop) – reste emblématique. Cet oukase apportait une énième illustration du désintérêt, dans le chef d’un président de la République hors mandant depuis décembre 2016, de s’impliquer réellement dans le processus de l’apaisement et du dénouement d’une crise politique provoquée par des manœuvres dilatoires (« concertations », « dialogues »…) destinées à s’octroyer un sursis lui permettant de rester à la tête de l’État avant d’amorcer d’autres modifications constitutionnelles taillées sur mesure.
ABONDANCE DE PRÉCÉDENTS
Il ne s’agit pas d’un procès d’intention, car des précédents abondent. Limitons-nous à deux exemples symptomatiques. Premier exemple: l’âge requis pour se porter candidat à l’élection présidentielle fut rabaissé de 40 à 30 ans afin de permettre à Joseph Kabila, qui en avait 35 à l’époque, de se présenter à l’élection de 2006. Deuxième exemple: dix mois avant l’élection de novembre 2011, pour éviter un deuxième tour défavorable face à un candidat de l’opposition et un remake du mémorable duel « Kabila – Bemba », le mode de scrutin fut ramené « à la majorité simple des suffrages exprimés » en un seul tour. Que la Commission électorale ait enfin publié, dans la précipitation et après plusieurs atermoiements, un nouveau calendrier fixant les élections au 23 décembre 2018 ne laisse rien préjuger de la volonté de ne plus tripatouiller la constitution.
PROPOS SURRÉALISTES
En témoignent, les arguties et autres hérésies juridiques savamment orchestrées et distillées ces derniers jours par les griots du régime tendant en faire accroire à l’opinion que Joseph Kabila serait en droit de présenter sa candidature alors que l’article 70 de la constitution – qui limite le mandat présidentiel à cinq ans renouvelable une seule fois – reste verrouillé et n’a jamais été modifié par une quelconque révision constitutionnelle. Au demeurant, dans son point de presse tenu le 26 janvier, le chef de l’État hors mandat n’avait pas dissipé les doutes en déclarant: « Les élections commencent à nous coûter cher. Il faudrait prendre des décisions courageuses, lever l’option de trouver un équilibre entre élections et développement! » Propos à la fois surréalistes, inappropriés et inopportuns de la part d’un président inconstitutionnel qui ne jouit plus d’aucune prérogative pour prendre seul une quelconque initiative institutionnelle.
QUELLE LÉGITIMITÉ?
Seule la mise en œuvre réelle et consensuelle de l’accord de la Saint-Sylvestre 2016 aurait permis, tant soit peu, de sortir le pays de l’impasse politique dans laquelle l’a plongée le non-respect des prescrits constitutionnels concernant l’élection présidentielle. D’autant plus que le Président de la République incarne la première des institutions (article 68 de la constitution). Si le pouvoir au sommet de l’État s’exerce déjà, lui-même, en dehors de toute constitutionnalité, de quelle légitimité et de quelle crédibilité peuvent se prévaloir les autres institutions, à savoir le parlement, le gouvernement ainsi que les cours et tribunaux?
Et que dire de la Céni, cette Commission électorale nationale « indépendante » qui s’est muée d’institution d’appui en celle d’obstacle à la démocratie par la non-organisation de l’élection présidentielle dans les délais fixés par la constitution? Pourquoi, alors que c’est une institution permanente émargeant au budget de l’État en vue d’appliquer un cahier des charges précis, n’a-t-elle pas invoqué, in tempore non suspecto, les « contraintes sécuritaires, financières, logistiques et techniques » qui l’empêcheraient d’organiser les élections dans les délais légaux? Qu’a-t-elle fait, depuis les dernières élections de novembre 2011, pour alerter et interpeller le gouvernement à propos de toutes ces contraintes puisqu’elles constituent, justement, l’objet de sa mission? Pourquoi a-t-elle attendu le 17 septembre 2016, soit deux jours avant la date officielle de la convocation du scrutin, pour saisir la Cour constitutionnelle et solliciter le report de l’élection présidentielle?
UNE COUR CONSTITUTIONNELLE QUI SE DISCRÉDITE
Le deuxième et dernier mandat du chef de l’État en exercice constitue, aux termes de l’article 75 de la constitution, une « cause d’empêchement définitif » qui ouvre la vacance du pouvoir. En ergotant autour de cette disposition, la Cour constitutionnelle a tout simplement transgressé la Constitution par ses arrêts rendus le 11 mai 2016, à la requête des députés de la majorité, et le 17 octobre 2016, à la requête de la Céni. Le premier arrêt, en réinstallant le président actuel dans son fauteuil au-delà de son mandat « pour consacrer la continuité de l’État », alors que cette continuité est régie par cet article 75 de la Constitution qui stipule que « En cas de vacance (…) les fonctions du Président de la République (..) sont provisoirement exercées par le Président du Sénat ». Le deuxième arrêt, en autorisant la Céni de « produire un calendrier électoral qui va au-delà des délais constitutionnels ». A travers ce dernier arrêt, entériné par cinq juges alors que le quorum de sept minimum exigé pour siéger et délibérer valablement n’était pas atteint, la Cour constitutionnelle – ce n’est pas la première fois – s’est discréditée en violant l’article 90 de sa propre loi organique.
PAS DE PASSATION DE TÉMOIN
Voilà comment, l’immense espoir d’une « alternance civilisée » (pour reprendre la propre antienne des hérauts kabilistes) a tout simplement été étouffé: la passation de témoin entre un président « sortant » et un président « entrant » n’a pas eu lieu! Alors que le deuxième et dernier mandat du chef de l’État s’achevait le 19 décembre 2016, la Constitution, dans son article 73, a été délibérément violée, les électeurs n’ayant pas été convoqués « quatre-vingt dix jours avant l’expiration du mandat du Président en exercice ».
Il est, dès lors, extravagant et lamentable d’entendre les « vuvuzelas » (faiseurs des bruits) du pouvoir pérorer que cette dernière serait respectée par les élections finalement fixées au 23 décembre 2018. Soit deux ans après le délai légal et un an après l’accord non appliqué du 31 décembre 2016! Au vu de nombreuses contraintes soulevées par la Céni elle-même dans son calendrier, ces élections auront-elles lieu? Voire! Surtout que le message subliminal livré par Joseph Kabila dans son point de presse semble dire: « J’y suis, j’y reste »… Mais, paraphrasons Jean Ziegler, mêmes « les murs les plus puissants tombent par leurs fissures ». Comme ceux de Jéricho? Majoritairement chrétiens, les Congolais y croient…
Par Polydor-Edgar KABEYA
Juriste, consultant en médias et communication
Rédacteur en chef de la revue « Palabres » (Éditions L’Harmattan, Paris)