Interviewé par « Le Soir », « Kabila » avoue l’échec de ses dix-huit ans de pouvoir

Joseph Kabila

Quelle mouche a pu piquer le président hors mandat « Joseph Kabila » pour accorder une « interview d’adieu » aussi fade? Aucune annonce forte. Pas un mot sur le bilan des dix-huit années passées à la tête de l’Etat congolais. Pas un mot non plus sur les « Cinq chantiers du chef de l’Etat » et « la Révolution de modernité ». En guise de diversion, il s’attaque aux « néocolonialistes » belges. Une querelle anachronique qui dissimule mal une diversion. Un constat cependant: l’homme n’a pas renoncé au pouvoir. Bien au contraire. Après la Présidence, il se voit en « réserviste » de l’armée.

Emmanuel Shadary, le « dauphin »

Le 8 août dernier, « Joseph Kabila » a fait annoncer la désignation de son improbable « dauphin » en la personne d’Emmanuel Ramazani Shadary. Celui-ci a été aussitôt chaperonné par le « dircab » à la présidence, Néhémie Mwilanya Wilondja. L’opinion a attendu, en vain, que le Président hors mandat – depuis le 19 décembre 2016 – s’adresse à la nation non seulement pour justifier son choix mais surtout pour dresser le bilan des réalisations accomplies en dix-huit années d’un pouvoir quasi-absolu. Rien!

BILAN. Samedi 1er décembre, les Congolais de la diaspora se sont rués dans les kiosques à journaux pour se procurer le quotidien bruxellois « Le Soir ». Et ce dans l’espoir de découvrir enfin le bilan des « années Joseph Kabila ». Le successeur de Mzee qui avait déclaré bruyamment que « ma priorité, c’est la situation sociale » – dans sa toute première interview accordée au même journal daté du 7 mars 2001 – est apparu bien en peine d’articuler ce qu’il a fait de ses dix-huit années. « La période écoulée peut se diviser en trois étapes, dit-il. Durant la première de 2001 à 2006, la priorité des priorités était la stabilisation du pays, sa pacification et l’organisation d’élections libres. (…). La deuxième phase, c’est la période qui va de 2006 à 2011. Nous avions pour objectif de stabiliser davantage et d’amorcer la reconstruction et la plupart des nouvelles infrastructures ont été construites alors ». C’est tout?

« Kabila » a omis de préciser qu’après sa « victoire » à la présidentielle de 2006, il avait annoncé au mois de novembre (voir « Le Soir » daté du 16.11.2006) qu’il a identifié « cinq chantiers urgents ». Il s’agit de « Cinq chantiers du chef de l’Etat ». A savoir: les infrastructures, la création d’emplois, l’éducation, l’eau et l’électricité et la santé.

Le Président hors mandat a omis également de rappeler que lors de son investiture à l’issue de la présidentielle de 2011, il avait lancé un nouveau projet politique dit « la révolution de modernité ». Selon lui, « ce projet vise à faire de la République Démocratique du Congo, un pool d’intelligence et de savoir-faire, un vivier de la nouvelle citoyenneté et de la classe moyenne, un grenier agricole, une puissance énergétique et environnementale, une terre de paix et de mieux-être, une puissance régionale au cœur de l’Afrique, l’objectif ultime étant l’émergence de notre pays ».

Questions (c’est nous qui les posons): Les Congolais vivent-ils mieux qu’en 2001? Sont-ils plus libres? Ont-ils accès à l’eau et à l’électricité? Combien d’emplois ont-ils été créés? L’éducation et les soins de santé sont-ils de meilleure qualité? Quid de l’état des infrastructures (routes, rail, ponts)? La gestion de la Cité est-elle caractérisée par la transparence? A quoi ont servi les 6 milliards de dollars américains empruntés auprès des banques Chinoises en 2009? Combien de citoyens ont été alphabétisés? Dans « Le Soir », le « raïs » s’est contenté de bredouiller que « de 2012 jusqu’aujourd’hui, nous avons tenté de poursuivre la modernisation, la stabilisation, d’engager des réformes ». Pas une seule réalisation concrète. Rien que du blablabla!

LES ÉLECTIONS. « Kabila » aborde ce chapitre en prétendant qu’il a fait ce qu’il a toujours dit. A savoir qu’il allait respecter la limitation du nombre de mandat prévue par la Constitution. Ah bon! D’après lui, il n’a jamais « exprimé autre chose » en aparté ou en public.

Le « raïs » feint l’amnésie. Il refuse de se rappeler que certains de ses proches collaborateurs clamaient qu’ « il était trop jeune pour aller à la retraite » à 45 ans. Les Congolais ont encore frais en mémoire la campagne médiatique menée à partir du mois d’août 2014 par quelques caciques du parti présidentiel en faveur de la révision constitutionnelle.

Ministre de l’Intérieur Henri Mova

Chef de la Maison civile du chef de l’Etat, Théodore Mugalu avait pris la tête de cette démarche. L’objectif était de faire sauter les articles qui empêchent le « raïs » à briguer un troisième mandat. « Kabila » a semblé s’accommoder de cette « agitation » entretenue relayée par les Claude Mashala et autre Henri Mova Sakanyi.

Le Président hors mandat, lui,  assure qu’il a respecté sa parole sans pouvoir expliquer les deux années de retard qu’accuse la tenue des élections prévues initialement en septembre 2016. Un retard provoqué par les stratagèmes montés par les « durs » du régime.

C’est le lieu de rappeler cette interview que « ‘Kabila » avait accordée au magazine allemand « Der Spiegel » daté du 3 juin 2017. Il avait déclaré qu’il n’avait jamais promis que les élections allaient être organisées en 2017. « Je n’avais rien promis du tout », déclarait-il sans broncher avant d’ajouter: « Je souhaite organiser les élections dès que possible ». L’homme avait perdu de vue sa déclaration faite l’année précédente lors d’un voyage en Ouganda selon laquelle « c’est la Commission électorale nationale indépendante qui organise les scrutins ».

En dépit de la « mauvaise volonté » éprouvée, le « raïs » assure que les consultations électorales à venir « seront les meilleures élections que ce pays aura connues depuis 1959. Je crois que nous aurons été du bon côté de l’histoire ».

SANCTIONS DE L’UE. « Ces sanctions sont tout à fait illégales, injustes, arbitraires, orientées politiquement », fulmine-t-il. « Moi, je fais pleinement confiance à tous ceux qui ont été sanctionnés et surtout les officiers ». Sans rire, il ajoute que ceux-ci « défendent l’Etat de droit ». Or l’Union européenne reproche aux personnes frappées des « mesures restrictives » des cas de violations des droits et libertés. Sans omettre l’usage disproportionné de la force face aux populations civiles. Le « raïs » se veut imperturbable: « Pour les élections, tout va très bien se passer et cela ne dépendra pas des sanctions ».

PAS D’OBSERVATEURS EUROPÉENS. Au cours de cet entretien, « Joseph Kabila » qui semble considérer que « l’Etat c’est lui » a martelé son refus de voir les observateurs électoraux européens foulés le sol congolais. Ils suspectent les « 27 » de parti pris. « Je considère que ces pays ont déjà préparé leur rapport avant même le jour du vote! L’important ce sera surtout l’observation par les Congolais eux-mêmes ». De quels Congolais parle-t-il quand on sait que la majorité des ex-Zaïrois suspecte la CENI d’être inféodée au pouvoir politique. Question: « Kabila » a-t-il autorisé la venue des observateurs africains (SADC, UA, CEEAC et OIF) parce que ceux-ci seraient faciles à « soudoyer »?

APRÈS LA PRÉSIDENCE. Ici, « Kabila » commence par dire qu’il va s’occuper de « ses fermes ». Dix-huit années après son accession à la tête de l’Etat, « Joseph » se trouve à la tête d’une immense fortune estimée, à tort ou à raison, à une vingtaine de milliards de dollars US (voir le magazine Forbes du 30 juin 2014). Il est « l’heureux propriétaire » de plusieurs fermes dans l’ex- Katanga (Kashamata et Kundelungu), au Bas-Congo (île de Mateba et Moanda) et à Kinshasa (Kingakati). Au Nord Kivu, il a racheté les anciennes propriétés de feu Prigogine Ngezayo Safari dans le Territoire de Beni.

Le principal enseignement qui se dégage de cette interview-fleuve est l’aveu d’échec. L’aveu de dix-huit années d’incurie qui n’ont eu aucun effet curatif sur la « maladie du pouvoir » dont souffre un « Joseph Kabila » qui se prend pour un « homme providentiel ». L’autre enseignement est que le successeur de Mzee n’a pas renoncé au pouvoir. « Evidemment, dira-t-il, en cas de besoin, je suis dans ce qu’on appelle la réserve ». Vous avez dit la réserve? Cette fois, le Président hors mandat risque de se tromper énormément…

 

Baudouin Amba Wetshi

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