Né à Kashobwe, au Katanga, le 29 septembre 1944, Raphaël Katebe Katoto est issu de la tribu Bemba. Il est marié et père de cinq enfants. Après sa formation à la faculté des sciences économiques à l’Université de Lubumbashi, l’homme a fait toute sa carrière dans l’agro-industrie (pêche). Depuis le lancement du Dialogue intercongolais, l’homme d’affaires s’est jeté dans l’arène politique. Objectif: obtenir la mise en place d’une transition neutre, dirigée par des technocrates sans ambition électorale. La démarche a fait long feu. Depuis l’installation des institutions de la transition le 30 juin 2003, il a été désigné Sénateur sous le label du RCD-Goma. Mercredi 1er juin, Katebe Katoto nous a accordé une interview à la représentation de son tout nouveau parti l’ULD (Union des Libéraux pour la Démocratie) à Bruxelles, située 8 Jan Tieboutstraat à Zellik. L’homme d’affaires que nous avons rencontré pour la première fois en 1999 a pris quelques cheveux gris. Entretien.
Quelle est votre version sur ce qui s’est réellement passé au Katanga? Peut-on parler de tentative de sécession ou d’une simple manipulation?
C’est une simple manipulation, pure et simple! J’ai été désigné, à tort, comme « commanditaire » de cette « opération » alors que j’avais appris la nouvelle en parcourant la presse. D’ailleurs, j’ai adressé mon droit de réponse au journal « Le Soir » qui m’avait cité. Je suis en mesure de vous dire que ce qui s’est passé au Katanga n’est qu’un coup monté du pouvoir. Il n’y a eu ni tentative de sécession ni conspiration. Comment voulez-vous que je me lance dans une opération de sécession au Katanga alors que je viens d’installer le Bureau de mon parti à Kinshasa? Cette affaire de sécession est parfaitement fausse. Il est indigne de la part du pouvoir en place de mentir de manière aussi éhontée.
Pourquoi, selon vous, votre nom a-t-il été cité?
Ce n’est pas la première fois que mon nom est cité dans ce genre d’histoire. En 2001, on avait prétendu que j’entretenais une milice dans le parc national de Kasaba Bay en Zambie pour envahir la province du Katanga. Après enquête, on y a trouvé que des antilopes. Là aussi, ce n’était qu’une manipulation. Pourquoi? J’ai l’impression que le pouvoir a très peur de ma personne sur le plan politique. Je suis originaire du Katanga, province dont le chef de l’Etat actuel se dit être issu. Ce qui revient à dire que le Katanga constitue son fief politique. Voilà les faits qui gênent. Une situation impensable dans une vraie démocratie.
Vous venez de dire que Joseph Kabila « se dit » originaire du Katanga. Devrait-on en conclure qu’il n’est pas un « Katangais »?
Ce n’est pas moi qui vais inventer ça aujourd’hui. C’est une histoire connue de tout le monde. Quand nous étions à Sun City, il y a eu une conférence de presse au cours de laquelle Etienne, un des fils de Laurent-Désiré Kabila, a fait connaître à l’assistance et aux journalistes présents la composition de la famille Kabila.
Pourtant le Grand Chef Kasongo Nyembo a certifié que Kabila junior est un Mulubakat à cent pour cent. Qu’en dites-vous?
Je ne peux ni confirmer ni infirmer. Une chose est sûre: le doute plane sur cette question depuis le début. Je ne suis pas le promoteur de ce doute qui est sorti de la bouche d’Etienne Kabila. Voilà pourquoi ce doute reste entier! Qu’un chef coutumier soutienne le contraire? Tant mieux. J’ai néanmoins peur que cela n’engage que ce chef coutumier.
Quel est l’état de vos relations avec Joseph Kabila? L’avez-vous déjà rencontré depuis son accession à la tête de l’Etat?
Joseph Kabila est le chef de l’Etat du Congo. Je suis un citoyen congolais. Je l’ai déjà rencontré à ce titre-là. Mes relations avec lui sont celles d’un citoyen avec le Président de la République.
Quel est votre sentiment sur le bilan des quatre années de la présidence de Kabila junior?
Il faut laisser au peuple congolais le soin de porter un jugement.
N’êtes-vous pas une partie de ce peuple?
Oui! Mais je ne peux pas m’arroger le droit de parler au nom des 60 millions des Congolais. Mais j’ai mon avis à ce sujet. Je le garde pour moi!
Globalement, le bilan de Kabila est-il satisfaisant ou pas?
Je vais vous faire plaisir: le bilan est globalement très négatif.
Que pensez-vous de l’allocution présidentielle du 16 mai dans laquelle le chef de l’Etat s’est montré plutôt satisfait de son action?
Ce discours ne contenait rien de consistant. Son contenu ne correspond à aucune réalité. J’ai noté avec étonnement que le Président de la République n’a pas fait mention de son annonce du 7 octobre 2004 selon laquelle, tous les gouvernants devront démissionner au cas où les élections ne seraient pas organisées le 30 juin 2005. Est-ce un oubli de sa part? Dans le cas contraire, c’est extrêmement grave. C’est un signe de légèreté! Par respect envers le Peuple, le chef de l’Etat devait, dans son discours, s’expliquer sur son annonce du 7 octobre!
Depuis votre désignation en qualité de Sénateur, on ne vous a jamais vu au Palais du peuple où siège le Parlement. Pourquoi?
Il y a d’abord des problèmes de sécurité pour ma personne. Le pouvoir me suspecte constamment de préparer des coups fourrés. Il est pour moi quasi-suicidaire d’aller siéger à Kinshasa où l’on évolue dans un système qui méconnaît les libertés les plus fondamentales. Système dans lequel, tous ceux qui tiennent un discours contraire à la doctrine ambiante sont, de ce fait, des hommes à abattre. Je pèse bien mes mots.
N’est-ce pas un comble qu’un Sénateur, un homme de pouvoir, ait des appréhensions pour sa sécurité. Qu’en serait-il du Congolais moyen?
Vous savez, une balle ne fait pas de distinction entre le Sénateur et le simple citoyen. Une balle ne connaît pas l’immunité parlementaire…
Qu’est devenue l’alliance entre votre association la « DPTN » (Dynamique pour la Paix et une Transition Neutre) avec le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-Goma)?
La « DPTN » a été présente à Cotonou lorsque le président Laurent-Désiré Kabila a empêché la délégation venue de Kinshasa de s’y rendre. Après Cotonou, elle était présente à Gaberone (Botswana), Addis-Abeba (Ethiopie) et en Afrique du Sud. La DPTN a assisté à toutes les rencontres sans être une des composantes aux négociations politiques intercongolaises. Elle n’était mue que par le souci de suivre l’évolution de la situation du pays. Lorsque Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba ont signé leur « accord privé » à Sun City aux termes duquel le premier gardait son poste et le second devenait Premier ministre, toutes les autres formations politiques s’étaient effacées, devaient que suivre, donc là même le RCD était effacé. La DPTN s’est levée contre cette convention qui risquait de servir de détonateur à une nouvelle confrontation armée. C’est ainsi qu’avec l’UDPS, le RCD et d’autres partis, nous avons mis sur pied une structure dénommée Alliance pour la Sauvegarde du Dialogue (ASD). Etienne Tshisekedi assumait la présidence, la première et la deuxième vice-présidence revenait respectivement à moi-même et au RCD. Grâce à des démarches auprès des chefs d’Etat impliqués dans le dossier Congo, nous avons réussi à contrer cet accord Kabila-Bemba. Accord qui était déjà soutenu par la « Communauté internationale ». Nos pressions ont fini par ramener tous les acteurs autour de la table de négociation d’où est sorti l’Accord global et inclusif du 17 décembre 2002. A partir de ce moment, le RCD-Goma s’est transformé en parti politique.
Vous devenez donc membre du RCD-Goma?
Nous avons fusionné la DPTN et le RCD. Mais au fil du temps, nous nous sommes rendus compte que cette organisation n’était pas vraiment le « rassemblement des Congolais pour la démocratie ».
Qu’entendez-vous par cela?
Vous savez, dans un parti politique, on doit trouver une vision, un idéal et des principes. Il faut qu’il y ait de la cohérence entre la dénomination que l’on choisit et le but du combat politique. J’ai constaté au sein du RCD des idées contraires à mes convictions.
Un exemple?
J’ai constaté avec regret que le RCD est une organisation politique qui privilégie surtout les ressortissants du « coin » particulièrement les « Banyamulenge ». Les autres membres ne servaient que de marchepied. C’est ainsi que j’ai pris la décision de retirer la DPTN de cette alliance.
Vous semblez découvrir sur le tard ce que beaucoup des Congolais suspectaient depuis longtemps avec les changements intervenus à la tête du RCD.
Mon cher frère, j’ai toujours eu en horreur le procès d’intention. Je voulais voir de mes propres yeux ce qui se racontait. Pour ce faire, j’avais accordé à ce mouvement le bénéfice du doute. La DPTN ne faisait pas partie des composantes. Elle a non seulement accompagné le RCD mais a tout fait pour que celui-ci arrive à Kinshasa. C’est grâce à nous que le RCD-Goma se trouve aujourd’hui au pouvoir à Kinshasa. Cet objectif étant atteint, nous avons compris, par la suite, que les camarades du RCD ont obtenu ce qu’ils voulaient et n’avaient plus besoin de nous. Je regrette de dire qu’ils se sont servis de nous comme d’un « kleenex » qu’on jette à la poubelle, après usage.
Quel est l’état de vos rapports avec le vice-président Azarias Ruberwa?
Je n’ai pas à avoir des relations particulières avec lui. Il est le président du RCD. J’occupe la même position à la tête de l’ULD. Je n’ai pas de comptes à régler avec qui que ce soit. En faisant alliance avec ce mouvement, je n’avais qu’un seul but: sauver le Congo et alléger la misère de la population meurtrie par plusieurs années de guerre.
Quid de l’après-30 juin 2005? Dans un communiqué publié récemment par votre parti, il y est dit que la transition doit s’arrêter au 30 juin prochain au profit du schéma de la Conférence Nationale Souveraine. Qu’en est-il exactement?
Avant, est-ce que vous me permettez que j’ajoute un élément sur l’histoire de la sécession du Katanga qui me revient à l’esprit? Je voudrais rappeler à tout le monde qui va nous suivre, qui va nous lire. D’abord c’est un coup monté, c’est une manipulation, d’ailleurs même les journaux maintenant en parlent, tout le monde sait que ce n’était qu’un coup monté comme d’habitude, comme il y a eu le coup monté de Lenge, comme il y a eu le coup de Kilwa. A Kilwa, il y a eu trois bandits la nuit qui sont allés désarmer leurs hommes qui dormaient là-bas pour leur voler leur pantalon, leurs casquettes: « Ah, Katebe fait le coup d’état à Kilwa ». Je vais faire un coup d’état à Kilwa pourquoi? Pour aller pêcher le poisson? Donc, ça n’avait aucun sens. Et puis, la sécession au Katanga, quelqu’un qui veut faire la sécession au Katanga, il va aller implanter son parti politique à Kinshasa? Quand Kabila père est rentré au Congo pour faire le coup d’état à Mobutu, est-ce qu’il est allé d’abord installer un parti politique à Kinshasa? Quand Tshombe Moise a fait la sécession en 1960, est-ce qu’il est allé implanter un parti politique à Kinshasa? Si c’est au Katanga la sécession, c’est au Katanga qu’il faut le faire pas à Kinshasa implanter mon parti et perdre mon temps. Donc tout ça est archifaux et c’est ridicule. L’avantage qu’on a au Congo, on a un avantage, Dieu merci, le ridicule ne tue pas. Parce que si le ridicule tuait, il y aurait beaucoup de morts, mais heureusement Dieu est avec nous. Vous savez, la Sainte Trinité, moi je suis catholique croyant, il y a trois personnalités: Dieu le Père, le Fils et le Saint Esprit pour s’occuper du monde entier. Et j’ai l’impression que le Bon Dieu a vu grand et a mis une personnalité qui s’occupe uniquement du Congo, et les deux autres pour le reste du Monde. C’est grâce à ça qu’il y a beaucoup de survivants, parce que sinon le ridicule tuerait une majorité. C’est faux et archifaux. Et surtout, en tant que pouvoir on ne peut pas se permettre de mentir, on ne peut pas se permettre. Comment voulez vous qu’on vous suive, qu’on vous croie si vous mentez du matin au soir?
La communauté internationale s’acharne à dire qu’il faut une prolongation de la transition. Nous devons avoir l’analyse correcte de la situation. Peut-on espérer des élections fiables avec l’équipe qui est au pouvoir? Qui pourrait croire à la crédibilité des résultats de ces consultations politiques? Je crois pouvoir dire que s’il revenait au pouvoir actuel d’organiser les élections, celles-ci seront truquées. Et ce sera le début d’un autre conflit. Quand on parle d’élections, cela suppose que tous les prétendants partent avec les mêmes chances. Vous venez de m’apprendre que le PPRD a choisi Kabila comme son candidat. Demain, l’UDPS, le PALU et l’ULD et tant d’autres partis vont désigner les leurs. Question: est-ce que, lors de la compétition, tous ces candidats vont se battre à armes égales? La réponse tient en trois lettres: Non! Kabila a, à sa disposition, les moyens et les grands corps de l’Etat. C’est le cas notamment de la police nationale, de l’armée et du trésor public. Qui aura la charge de surveiller les urnes? Nous rentrons dans un tunnel sans fin. Il faut trouver d’autres solutions.
Lesquelles?
Lors du Dialogue intercongolais, j’avais écrit officiellement au facilitateur Ketumile Masire, au nom de la DPTN, en proposant ma candidature en qualité de Président de la République durant la transition. J’avais pris, à cette occasion, le ferme engagement de ne pas me présenter aux élections. Pourquoi un tel engagement? Simplement pour donner la même chance à tous les candidats ou acteurs politiques. N’étant prétendant à aucun niveau du pouvoir, il est donc exclu que j’utilise la police, l’armée ou les deniers publics pour faire ma campagne. L’avenir du Congo dépendra de ce que sera la transition. Si elle est conflictuelle, le pays n’est pas sorti de l’auberge. Peut-on décemment croire que les frères ennemis d’hier sont devenus des amis? Durant deux années, les membres de l’espace présidentiel se sont donnés en spectacle dans des querelles dérisoires au lieu de s’occuper de l’amélioration du vécu quotidien de la population. J’ai la conviction que le résultat aurait été différent si les dirigeants des composantes et entités étaient exclus des prochaines élections.
Que faire maintenant?
Voulons-nous oui ou non la démocratie au Congo? Si nous la voulons, il faut laisser le peuple trancher. C’est ce peuple qui a confié le pouvoir aux gouvernants actuels. Je l’ai dit précédemment: le résultat est négatif. « 1+4″= 0, ironisent les Kinois. C’est donc un échec. Je suis un sportif. J’ai dirigé l’équipe de football « Tout-Puissant Mazembe » pendant presque trente ans. Je ramenais des coupes d’Afrique au pays. En football, quand il y a un match capital comme celui-là, il n’y a prolongation qu’en cas de score nul. Mais, on ne prolonge pas le match, quand il y a défaite. Les institutions de la transition devaient réaliser cinq ou six objectifs. Aucun objectif n’a été atteint. Le score est de 5 buts à 0 ou 6 buts à 0. Peut-on franchement envisager une prolongation dans ces conditions?
La communauté internationale estime, elle, que beaucoup d’argent a été dépensé pour arrêter la transition en cours de route. Selon elle, il n’y aurait pas d’autre alternative que d’aller jusqu’aux élections. Qu’en dites-vous?
Certes. La communauté internationale a financé et continue à financer le processus de normalisation politique actuel. Est-ce la faute des Congolais si cet argent est mal dépensé? On semble oublier que le peuple congolais reste l’acteur principal de son destin. La communauté internationale nous pousse à aller vers la démocratie. Etrangement, cette même communauté internationale nous impose un système qui n’est pas démocratique. L’opinion des ex-belligérants est privilégiée en lieu et place de celle du peuple congolais.
Ne pensez-vous pas que pour agir, ce peuple a besoin de l’élite pour l’encadrer? Aujourd’hui, la classe politique paraît atomisée par ses divisions.
La classe politique est sans doute divisée. Mais cette division est délibérée. Ici en Belgique, on a vu un gouvernement tomber à la suite de la mort d’un manifestant, tué accidentellement par un policier au cours d’une grève des mineurs dans la région de Charleroi. Au Congo, lorsque la population sort dans la rue pour exprimer son mécontentement, comme récemment à Mbuji-Mayi, la police tire sur les manifestants comme s’il s’agissait des lapins, en en assassinant plusieurs. Personne ne proteste. En dépit de ces tueries, ce régime reste en place sous le prétexte qu’il n’y a pas d’alternative. De qui se moque-t-on? La communauté internationale doit savoir que son intervention doit être au profit du Congo et des Congolais. Et non, de quelques individus. Et dans la perspective des manifestations du 30 juin, je suis offusqué qu’aucune voix ne s’élève contre ceux qui menacent de mort des manifestants pacifiques.
J’attends toujours la réponse à ma question sur l’après-30 juin 2005.
Je demande à la Mission de l’ONU au Congo de protéger la population qui doit jouir de la liberté de s’exprimer.
C’est donc une révolution populaire?
Combien de révolutions populaires il y a eu, cette année, à travers le monde?
Qui va encadrer cette révolution?
On ne libère pas un peuple. Le peuple se libère tout seul. Il n’a pas besoin d’encadreurs.
Quelle est votre opinion sur la polémique qui secoue la composante Opposition politique entre les partisans et les adversaires du vice-président Arthur Z’Ahidi Ngoma?
C’est une distraction. On cherche à faire porter le chapeau de l’échec collectif sur une seule personnalité. Et pourtant, comme je l’ai dit plus haut, le 7 octobre 2004, le Président Joseph Kabila avait déclaré devant la presse que « si nous n’organisons pas les élections au 30 juin 2005, nous devons démissionner ». C’est la parole d’un chef de l’Etat. Le peuple voudrait que celui-ci respecte sa parole. Qu’on arrête de chercher à nous distraire du vrai débat: l’échec de la transition.
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi