Agé de 56 ans, on lui donnerait 45 ans. Atundu Liongo, alias « Athos », est un ancien officier des renseignements sous Mobutu Sese Seko. Il a été en poste notamment à Paris et Bruxelles. Ancien ambassadeur du Zaïre à Kigali à la fin des années 80, il a assumé par la suite les fonctions de numéro 2 de la Gécamines exploitation avant de prendre la direction de la Gécamines commerciales. Depuis 1998, l’ancien PDG s’est jeté dans l’arène politique. Entretien.
Comment avez-vous pu sortir du pays? Un membre de l’opposition en l’occurrence l’ancien ministre Joseph Olenghankoy, s’est vu confisquer ses billets d’avion et passeport?
Je crois savoir que Joseph Olenghankoy a un problème pendant au niveau du Parquet général. J’ai pu voyager parce que je n’ai pas d’antécédents. Comme vous le savez, j’ai été condamné. J’ai purgé ma peine. J’ai donc recouvré la liberté d’aller et de venir.
En tant que membre de l’opposition, ne pensez-vous pas que ce genre d’agissements constitue un « mauvais signal » pour un pays qui se prépare à l’avènement d’un régime démocratique?
Je crois que c’est la motivation qui est troublante. Je déplore les restrictions et les menaces subtiles sur la liberté d’expression. On semble préconiser une vision manichéenne de la politique congolaise. A savoir: ceux qui sont au pouvoir sont les « bons »; leur vision traduit l’intérêt supérieur de la nation. Et ceux qui sont en dehors des institutions – nous, de l’opposition – nous sommes les « mauvais » et chaque fois que nous faisons des propositions alternatives, nous ne faisons que « détruire » la République. Ceci est une mauvaise vision.
C’est contraire à la Constitution.
Absolument! Vous savez autant que moi que l’article 13 de la Constitution de transition consacre l’existence de l’opposition politique et lui reconnaît un rôle dans l’éveil et l’éducation de la conscience nationale. L’éveil et l’éducation de la conscience nationale se font en rapport avec les critiques que nous articulons sur l’action du gouvernement. Sans oublier les propositions que nous élaborons.
Que préconisez-vous?
Il faudrait, à mon avis, décomplexer la vie politique. D’ailleurs, au niveau de la plateforme « La Sainte Alliance » que je préside, nous demandons au gouvernement et à la communauté internationale d’élargir le débat politique au-delà d’un dialogue entre les institutions. Par leurs critiques, les opposants participent à la direction de l’Etat. Il est, dès lors, normal que les officiels étrangers de passage à Kinshasa prennent également langue avec les représentants des forces politiques. Et ce, pour permettre à nos hôtes d’avoir une perception plus globale de la situation en lieu et place de la seule version officielle qui se limite à une litanie d’autosatisfaction.
Quel est le but de votre séjour en Europe?
Je suis venu prendre contact avec certains milieux belges. Je me propose de me rendre également en France dans le même but. Il s’agit de connaître la perception de mes interlocuteurs sur la situation dans notre pays. J’entends faire entendre la voix de la « Sainte Alliance », la voix de l’opposition, sur les perspectives qui peuvent s’ouvrir. Notre plate-forme milite pour la restauration au Congo d’un système politique plus classique: un Président, un Parlement et un Gouvernement. Nous sommes venus échanger sur notre vision du leadership national.
Selon vous, que va-t-il se passer le 30 juin prochain?
Bien malin est celui qui pourrait le dire. Reste que en analysant les messages « envoyés » par la population à savoir que « Le 30 juin marquera pour nous la fin de la transition », « Nous allons marcher pour demander le départ du président de la République et de ses quatre vices-présidents », « Nous allons demander l’installation d’un nouveau leadership », on est amené de penser qu’il pourrait y avoir une marche. Et si les conditions de sécurité mises par le pouvoir ne le permettent pas, il pourrait y avoir une sorte de « Ville morte ». Nous savons que depuis un certain temps, le pouvoir a mis en place des structures de provocation pour créer le chaos et justifier ses prises de position. Pour nous, c’est une démarche immorale! En définitive, l’opposition n’a aucun intérêt à provoquer des troubles. On ne peut dire autant de ceux qui sont au pouvoir, lesquels sont à l’affût du moindre prétexte pour détourner l’attention de l’opinion de leur échec.
Le jeudi 9 juin, le ministre belge de la Coopération au développement a mis en garde les Congolais qui oseraient « remettre en question » le processus de normalisation politique en cours au motif qu’il n’y aurait pas d’alternative. Le même jeudi, le CIAT (Comité international d’accompagnement de la transition) a publié un communiqué dans le même sens. Votre commentaire?
Intellectuellement, je pense que personne ne peut soutenir qu’il n’y a pas d’alternative en dehors de la formule « 1+4 ». C’est un déni d’intelligence qui ne vise qu’à préparer le terrain pour la pensée unique. La dictature. Nous nous inscrivons en faux contre ce genre de déclarations. Je pense qu’au lieu de brandir la menace d’une répression, un vrai régime démocratique devrait prendre l’initiative de réunir les leaders – aussi bien ceux qui sont au gouvernement que ceux qui sont en dehors – pour rechercher ensemble des solutions au mieux des intérêts de tous.
La crise actuelle est considérée par certains comme un problème juridique résultant d’une « mauvaise lecture » de l’article 196 de la Constitution. D’autres estiment que le problème est plutôt politique. On serait, dit-on, face à une crise de confiance entre les gouvernés et les gouvernants. Qu’en dites-vous?
Je pense que l’origine fondamentale de la crise actuelle se situe dans une rupture du consensus tant au sein des institutions de transition, de la classe politique qu’au sein de la population sur le système politique « 1+4 ». Dois-je vous rappeler que les 2 et 3 juin 2004, la population de Kinshasa est descendue dans la rue aux cris de « 1+4 » = 0? De même, le 10 janvier dernier la population kinoise a violemment réagi après la déclaration du président de la Commission électorale indépendante préconisant le report des élections. Le gouvernement et nous, avons le devoir de trouver une réponse appropriée à cette expression de mécontentement de la part du souverain primaire.
Selon vous, que veut la population?
En scandant « 1+4 » = 0, il est clair que la population n’est pas satisfaite du leadership actuel.
Rien qu’un problème d’hommes à remplacer par d’autres?
Il y a également un problème de structures. Des structures grevées de l’incompétence des hommes et surtout de leur comportement anti-social. Non seulement le président de la République et les quatre vice-présidents affichent un bilan médiocre mais en plus, ils ont un comportement social révoltant. Ils se livrent à une course effrénée à l’enrichissement; ne se préoccupent pas des conditions sociales – qui continuent à se dégrader – de l’ensemble de la population. Sans oublier que les dirigeants en place ne tiennent pas parole. Un des éléments catalyseurs de cette fronde en prévision du 30 juin reste la déclaration que le chef de l’Etat a faite le 7 octobre de l’année dernière. A savoir: si d’aventure je ne parviens à organiser les élections, il est normal que moi et mon équipe puissions démissionner. Nous attendons que le chef de l’Etat, en tant qu’officier et homme d’Etat, puisse répondre par un comportement d’honneur vis-à-vis de cet engagement pris devant l’opinion nationale et internationale.
Dans une interview accordée à l’agence britannique Reuters, le président Kabila a estimé que deux années de transition était un délai plutôt court compte tenu des difficultés rencontrées. Il a accusé certains acteurs politiques de retarder les échéances électorales.
C’est le point de vue certainement du chef de l’Etat. Je le respecte en tant qu’acteur politique. Mais peut-il dire qui a intérêt à ne pas aller aux élections? N’est-ce pas ceux qui sont au pouvoir, c’est-à-dire le président de la République et les quatre vice-présidents? Ils ont, tous, l’ambition de bringuer la magistrature suprême. Il est évident qu’un seul d’entre eux pourra occuper ce poste. C’est donc eux qui ont intérêt à maintenir le statu quo.
L’opposition a-t-elle lancé un appel au soulèvement?
Aucun dirigeant de l’opposition n’a appelé le peuple à se soulever. Bien au contraire. Au niveau de la « Sainte Alliance », nous préconisons des concertations préalables. L’UDPS propose, elle, le retour au schéma de la Conférence nationale souveraine. Est-ce un crime que de proposer une alternative à une situation qui paraît bloquée et à un système qui a manifestement échoué à cause de sa complexité et du manque de qualité nécessaire dans le chef des animateurs? En vérité, le peuple congolais a constaté qu’aucun des cinq objectifs de la transition n’a été atteint. Lorsqu’on dit qu’il faut reporter les élections sans en donner les « raisons techniques et mécaniques », cela ressemble à de la tricherie. Je me souviens d’avoir participé, il y a un an, à une émission sur l’évaluation de la transition. J’avais, à l’époque, proposé que le gouvernement soit dirigé par un Premier ministre pour renforcer l’efficacité de l’exécutif.
Etienne Tshisekedi voudrait réhabiliter l’ordre institutionnel de la Conférence nationale souveraine. Selon vous, par quel mécanisme pourrait-il le faire?
Sans être M. Tshisekedi ou membre de l’UDPS, je pense que cette proposition est une base de négociations. Les mécanismes théoriques existent. C’est le cas notamment d’un référendum ou d’une pétition. Ou encore une initiative parlementaire. Vous savez sans doute qu’il y a des Parlementaires qui envisagent l’amendement de la Constitution. En tous cas, l’opposition à laquelle j’appartiens préconise que ceux qui ont échoué viennent à la table de négociations pour que nous puissions rechercher ensemble les réponses à donner aux attentes de nos concitoyens.
Pourquoi avez-vous été emprisonné en 2004? Quelles sont les leçons que vous avez pu tirer de votre passage au Centre de « rééducation » de Makala?
J’ai été arrêté, jugé et condamné pour avoir, le 3 juin 2004, suite à une déclaration faite à une chaîne de télévision privée dans laquelle je reconnaissais le bien fondé du ras-le-bol de la population face au système « 1+4 ». A cette occasion, j’ai dénoncé l’échec et recommandé que l’équipe au pouvoir rende le tablier. C’est ça la cause de mon arrestation. J’ai passé près de 4 mois en prison.
Pouvez-vous décrire un peu l’ambiance générale à Makala sur le plan humain?
L’ambiance générale à la prison de Makala est à l’image du pays. Les prisonniers sont abandonnés à leur triste sort tant sur le plan alimentaire que de soins de santé. Il en est de même au plan moral. Plusieurs personnes embastillées sont victimes d’arbitraire et d’injustice. Elles sont jetées en prison parce qu’elles auraient « dérangé » un « chef ». Les prévenus attendent désespérément de passer devant le juge. Ils sont oubliés! La leçon que j’ai retenue de mon passage à Makala est qu’il faut continuer le combat. Mon emprisonnement était en réalité une tentative d’étouffer la liberté d’expression.
La « Sainte Alliance », est-ce un nouveau parti? Qui en est le fondateur?
La Sainte Alliance est une plate-forme politique qui existe depuis le mois d’octobre 2004. Elle regroupe près d’une trentaine de partis politiques et mouvements associatifs qui se sont fixé trois objectifs. Primo: le respect des échéances électorales. Secundo: la sauvegarde de la liberté d’expression et d’association et enfin la préparation de l’avènement d’un leadership plus efficient dans la perspective de l’échec de l’équipe actuelle à organiser les élections.
Quel est votre regard sur les quatre années de présidence de Joseph Kabila?
Ce qu’il y a de positif ce que grâce à une certaine flexibilité, le président Joseph Kabila a rendu possible et permis la réalisation d’un vœu de tous les Congolais. A savoir, la présence de tous les belligérants à Kinshasa et dans les institutions avec l’espoir que cette cohabitation mettrait fin à la guerre pour faciliter la préparation des élections.
Certains objecteront que sans la pression de la communauté internationale cette « flexibilité » n’aurait pas été possible.
Il y a eu des négociations politiques. Cela veut dire que chaque partie a fait des concessions. Je reviens à votre question initiale pour dire que, par rapport à son prédécesseur Laurent-Désiré Kabila, qui était plus dogmatique, Joseph Kabila a fait preuve de flexibilité. C’est, à mon humble avis, l’unique résultat palpable. Pour le reste, il est difficile de parler d’un bilan positif. L’armée n’existe pas; il y a plusieurs chaînes de commandement; il y a des armées dans l’armée. Il y a des troupes qui dépendent du chef de l’Etat, c’est le cas du GSSP (Groupe spécial de sécurité présidentielle). Sans oublier la présence des troupes étrangères sur le territoire national. Pire, l’armée manque l’esprit de corps et la discipline. Comme vous le savez, le mouvement de « brassages » des différentes factions ne se termine pas par des manœuvres militaires pour créer justement l’esprit de solidarité au sein de la troupe. D’ailleurs, l’insécurité grandissante dans le pays est l’œuvre des « hommes en uniforme ».
Comment voyez-vous l’état de la sécurité du pays sur le plan interne et externe?
Je suis un officier des renseignements. J’ai surtout évolué à l’extérieur avant d’assumer les plus hautes responsabilités en tant qu’administrateur général du SNIP (Service National d’Intelligence et de Protection), sous la IIème République. La sécurité de la République démocratique du Congo est précaire. La raison est simple: la direction politique n’est pas efficace. Il faut que les gouvernants aient une même lecture de dangers pour lever des options. Par ailleurs, la direction politique du pays est loin de mettre à la disposition des « services » les moyens nécessaires. C’est le cas notamment de la couverture de sécurité sociale et les moyens d’investigation et de recherche.
Qu’en est-il des agents?
Quand je parle des « services », je pense également aux agents. Il y a des anecdotes inadmissibles où les agents en pleine mission de filatures tombent en panne d’essence. Aujourd’hui, le personnel des services de renseignements est le plus mal loti des fonctionnaires de la République. Dans ces conditions, il est illusoire de parler de la sécurité du pays. Cette sécurité va de pair avec la situation des forces armées. Dernièrement, un déserteur de l’armée a été arrêté. « J’ai fui parce que je ne sais pas pourquoi je me bats », a-t-il répondu aux enquêteurs. On le voit, l’âme même de l’armée manque. Aujourd’hui, la sécurité du pays est totalement entre les mains des partenaires extérieurs. Un autre élément qui participe à la sécurité de l’Etat, c’est la diplomatie. Les Affaires étrangères. Comme vous le savez, notre diplomatie marche à tatillon. Elle n’a pas de vision et n’est pas agressive. La diplomatie congolaise ne travaille pas en fonction d’un objectif. Quand la direction politique d’un pays, les « services », l’armée et la diplomatie ne sont pas au point, on ne peut plus parler de sécurité. Au risque de me répéter, le Congo vit dans une situation d’extrême précarité. C’est grâce à Dieu et à la bonne volonté de la communauté internationale que nous sommes à l’abri d’une surprise désagréable.
Que dites-vous à ceux qui soutiennent que le Congo est infiltré par des agents étrangers avec pour objectif de démanteler le système sécuritaire et de défense?
Il faut poser cette question à ceux qui sont aujourd’hui au sommet de l’Etat. C’est eux qui ont amené les Rwandais, les Ougandais, les Angolais, les Tanzaniens etc. Ils savent mieux que nous le moyen approprié pour démonter ce mécanisme. Je crois qu’il y a une solution fondamentale pour résoudre ce problème. Il s’agit de faire la « comptabilité de la guerre ». Il faut que l’on sache, par exemple, combien la participation du Rwanda a coûté à l’Etat congolais. Il faut également que l’on sache ce que veulent certains partenaires d’hier qui sont devenus aujourd’hui les ennemis. Il semble que c’est la question que le Parlement devait poser notamment aux membres de l’espace présidentiel ainsi qu’à tous les acteurs politiques qui ont des troupes soutenues par des pays étrangers. C’est à eux à répondre. C’est une question essentielle! Je suis, comme l’ensemble du peuple congolais, victime de l’incapacité politique, technique et morale de nos gouvernants à faire face à leurs alliés d’hier.
Comment voyez-vous l’avenir?
L’avenir du Congo sera ce que les Congolais et sa classe politique auront décidé qu’il sera. Voilà pourquoi nous, membres de l’opposition, refusons d’abdiquer devant nos responsabilités. Nous entendons faire usage des dispositions constitutionnelles qui reconnaissent à l’opposition politique le droit de participer à l’éveil, à l’éducation de la conscience nationale et à la gestion du pays non seulement par nos critiques mais aussi en faisant des propositions alternatives. Maintenant que l’opposition a dit que « 1+4″= 0, nous avons maintenant des schémas. Quelle que soit la légitimité de 1960, le schéma de la CNS et la proposition de la « Sainte Alliance », vous remarquerez qu’il y a un « tronc commun »: un Président, un Premier ministre, un Parlement. Ce qui va permettre au pays de faire le gain du temps, de l’espace géographique et des dépenses. Figurez-vous que chaque vice-président de la République coûte mensuellement au trésor public – quand il n’effectue pas de déplacements à l’étranger – un minimum d’un million $ US. L’Etat pourrait ainsi faire des économies substantielles pour permettre au pays d’augmenter sa contribution non seulement dans le processus électoral et dans le maintien de la paix. A titre d’illustration, l’Afrique du Sud s’est engagée à former un contingent de policiers. Il faut pour cela implanter un camp à Maluku où doit avoir lieu la formation. Coût: 100.000 $ US. Incapable de libérer ce montant, le gouvernement congolais s’est adressé à la société privée de téléphonie cellulaire « Vodacom » pour obtenir le financement. C’est tout simplement révoltant! Pendant ce temps, les vice-présidents perçoivent des émoluments de plus ou moins 200 à 300.000 $ US/mois sans le moindre retard…
Propos recueillis par B. Amba Wetshi