Deux consortia ont été invités à déposer une offre commune pour construire le méga-barrage d’Inga 3 sur le fleuve Congo. L’un emmené par les Chinois des Trois Gorges. Et l’autre espagnol, proche du PP au pouvoir. Mais ce dernier ne serait pas au-dessus de tout soupçon.
Le projet Inga 3, s’enlise. En juillet dernier, l’Agence pour le développement d’Inga (ADPI) qui dépend de la Présidence congolaise, a annoncé des retards dans la construction du méga-barrage, dont l’achèvement est maintenant programmé pour 2025. En même temps, l’ADPI a indiqué que la capacité envisagée ne serait plus de 4,8 MW mais plus près du triple Simultanément, le directeur de l’ADPI, Bruno Kapandji a annoncé que les deux derniers consortia en lice, dirigés respectivement par des Espagnols (ProInga) et des Chinois (ChineInga) allaient déposer une offre commune en septembre. Mais celle-ci se fait encore attendre.
Pas très étonnant. Le Congo a mis la charrue avant les bœufs, en lançant des appels d’offre avant la fin des études d’impact économique, technique et environnemental financées par la Banque mondiale qui s’est retirée du projet en 2016, pour cette raison et parce que le projet n’est pas piloté par le gouvernement mais par la présidence, sans vrai contrôle parlementaire. Se pose aussi un problème de nature politique: comment un Etat dont les représentants ont obtenu leur mandat dans des conditions parfois frauduleuses en 2011 et qui a expiré fin 2016, pourrait-il donner son aval à des investissements considérables, susceptibles d’enclencher un endettement de plusieurs décennies?
Et puis, il y a le choix du partenaire, à certains égards controversé qui pourrait compliquer la récolte des financements nécessaires, d’autant que le consortium espagnol a poussé le Congo à accroître la taille de la première phase, alors que Kinshasa éprouvait déjà des difficultés à trouver les 14 milliards de dollars nécessaires à la construction d’Inga 3 et des lignes à très haute tension associées.
À l’heure où les banques sont de plus en plus tatillonnes pour ce qui concerne la réputation de leurs clients, le chef du file du consortium espagnol, ACS, dont le PDG est aussi le président du Real Madrid, Florentino Pérez, sent un peu le soufre. Il est accusé par Greenpeace Espagne de porter gravement préjudice à l’environnement dans le contexte d’un autre projet hydroélectrique au Guatemala. La société Cobra, filiale de la société de génie civil ACS, est en train de construire un barrage de 336 MW qui va réduire de 90% le débit du rio Cahabón et affecter ainsi 30.000 indiens mayas, dénonce Greenpeace. Celle-ci déplore aussi que l’engagement pris par le gouvernement guatémaltèque devant l’Organisation internationale du travail, de consulter les communautés riveraines n’a pas été respecté.
Le profil éthique d’ACS laisse parfois à désirer. Selon le quotidien madrilène « El Mundo », la société a été citée dans le cadre d’une enquête pour corruption. Un responsable de la Communauté urbaine de Madrid aurait manipulé un dossier d’appel d’offres pour la conservation d’un Parc public afin d’avantager la filiale Imesapi du groupe ACS, en récompense pour un soutien de 800.000 euros à la campagne du Partido Popular de Mariano Rajoy, lors des élections de 2008. Cette proximité entre le PP et ACS, comme l’importance du projet Inga 3 pourraient expliquer le profil bas de l’Espagne au sein du Conseil européen, constaté par l’hebdomadaire Jeune Afrique en juin dernier, à l’heure de sanctionner les entorses au processus électoral commises par Kinshasa.
Une autre entreprise de Florentino Pérez a fait l’objet d’enquêtes de l’Audiencia nacional espagnole. En avril dernier, selon le journal en ligne, « El Confidencial », le parquet de Murcie a ouvert une enquête sur une usine de désalinisation près de Carthagène, déclenchée par des soupçons d’irrégularités lors de l’adjuration du contrat à deux sociétés du groupe ACS. L’absence d’appel d’offres aurait été constatée. Et la responsabilité de dirigeants du PP à la tête de l’administration régionale serait engagée.
Par ailleurs, une société espagnole du consortium proInga formé autour d’ACS, dénommée Eurofinsa a fait également l’objet d’enquêtes en 2013 de la part de la justice espagnole. Elle était soupçonnée d’avoir tenté d’influencer moyennant la fourniture d’argent, de bijoux et d’automobiles de luxe, un appel d’offres de l’Institut des Routes d’Angola, relatif à un contrat de 300 millions d’euros. Dans un premier temps, le parquet laissa filtrer que la société CCL, filiale d’Eurofinsa aurait verse 16,5 millions d’euros à José Filomeno de Sousa do Santos, fils du président angolais. Mais l’affaire a été classée.
François Misser, in afrique.lalibre.be, 14.11.2017
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