Ancien conseiller spécial du maréchal Mobutu en matière de Sécurité, Honoré Ngbanda Nzambo ko Atumba est un homme qu’on ne présente plus. Il a assumé plusieurs fonctions: ambassadeur en Israël, administrateur général de la Sûreté zaïroise (Agence nationale de documentation) et ministre de la Défense nationale. Auteur de plusieurs essais politiques, l’ancien officier de renseignements dirige depuis 2005 l’Alliance des patriotes pour la refondation du Congo (Apareco). Celle-ci se définit comme un « mouvement de résistance à l’occupation » du Congo-Kinshasa. C’est à ce dernier titre que Ngbanda Nzambo a répondu à nos questions portant essentiellement sur les consultations électorales prévues le 23 décembre prochain. Contrairement à 2006 et 2011, le président de l’Apareco s’est abstenu de soutenir l’un des candidats en lice à la présidentielle. Il s’est également abstenu de prendre position sur le renouvellement ou pas des sanctions de l’UE sur des personnalités du régime « Kabila » estimant que les Congolais sont sanctionnés alors qu’ils ne sont que des lampistes. Les commanditaires, eux, épargnés. Ngbanda exhortent les Congolais à se soulever contre le pouvoir en place.
Le président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a annoncé, vendredi 7 décembre, que les élections auront bel et bien lieu le 23 décembre prochain. Dans l’interview qu’il a accordée au quotidien bruxellois « Le Soir » du 1er décembre, « Joseph Kabila » a déclaré notamment que « ce seront les meilleures élections que ce pays aura connues depuis 1959 ». Croyez-vous en la crédibilité de ces consultations électorales?
Lorsque j’observe le « théâtre » qui se déroule chez nous, ça me fait très mal au cœur. Ce qui se passe dans ce qu’ils appellent « campagne électorale » me fait penser aux animaux qui jouent dans un cirque. Il y a un « dompteur » qui les fait jouer. Et quand les animaux entendent des applaudissements, ils se disent qu’ils sont populaires et font « le plein » à chaque exhibition. Quand le spectacle sera terminé, ces animaux vont se réveiller le lendemain dans leur cage. Des Rwandais ont tout planifié. Aujourd’hui, « Kabila » a scindé l’opposition en deux groupes. Il suffit de voir ceux qui jouent le rôle de directeurs de campagne tant du côté de la coalition « LAMUKA » que du ticket « FATSHIVIT » [Ndlr: Pierre Lumbi est le directeur de campagne de Martin Fayulu; Vital Kamerhe assume la même fonction de Félix Tshisekedi]. On ne peut que comprendre que Kanambe ou « Kabila », comme on l’appelle, clame que « ce seront les meilleures élections ». Je crains que les Congolais se réveillent « groggy » au matin du 24 décembre prochain.
Lors de la présidentielle de 2006, vous avez demandé à la population congolaise de soutenir la candidature de Jean-Pierre Bemba. En 2011, vous avez fait la même démarche pour Etienne Tshisekedi wa Mulumba. Entre Martin Fayulu de « LAMUKA » le duo Félix Tshisekedi-Vital Kamerhe, qui allez-vous soutenir le 23 décembre?
Cette fois-ci, il n’est pas question de supporter qui que ce soit. En 2006, j’avais assorti le soutien à Jean-Pierre Bemba à une condition. En 2006, Bemba disposait des troupes, de l’argent, des avions et de bateaux. La grande majorité de Congolais était derrière lui. D’ailleurs, le cardinal Frédéric Etsou a été liquidé pour avoir réclamé la vérité des urnes. En 2011, Etienne Tshisekedi a réclamé, en vain, l’imperium. Cette fois-ci, son fils a « vendu » l’imperium avant même la tenue des élections. Il veut devenir Président de la République, mais il signe un « accord » aux termes duquel il est serai le commandant suprême de l’armée sans avoir le contrôle sur le ministère de la Justice et celui de la Défense. Il est de même du ministère des Finances et de la Banque centrale. Vous êtes le Président de quoi? Il a cédé déjà l’impérium. Avec les fameuses machines à voter, je crois pouvoir dire que nous allons revivre ce qui s’est passé en 2006 et 2011. C’est pour cette raison que j’estime que les Congolais font le jeu des Rwandais. Des Rwandais qui ont réussi la phase de l’occupation vont passer à la phase de la balkanisation. Pour rien au monde, je ne tiens à partager la responsabilité de cette triste réalité.
Etes-vous en train d’inviter les électeurs à boycotter les scrutins du 23 décembre?
Les Congolais devraient non seulement boycotter les élections mais aussi refuser le processus électoral. Comme les hommes politiques tiennent à participer à ces scrutins, j’ai demandé au peuple congolais de « divorcer » avec ce personnel politique – alléché par l’argent et le pouvoir. C’est la seule solution pour empêcher le régime rwandais de légitimer leur « théâtre » est que la population refuse d’aller voter.
Boycotter les élections. Pourquoi pas? Mais cela fait bientôt 18 ans que « Joseph Kabila » est à la tête du pays. Devrait-on le laisser pérenniser son pouvoir?
« Kabila » reste là parce que les Congolais ne veulent pas s’assumer. Je crois que vous avez la proposition que j’ai faite aux hommes politiques congolais. Les autres ont choisi de « vendre » leur pays. J’avais demandé aux membres de l’opposition de quitter les institutions. Le boycott des élections doit être l’occasion pour la population de se soulever. Vous suivez ce qui se passe aujourd’hui en France avec les « Gilets jaunes ». Quand ceux-ci ont constaté que ni les politiciens ni les syndicalistes ne répondent à leurs attentes, ils se sont assumés. Ici, il ne s’agit que des revendications à caractère social. Chez nous, l’enjeu porte sur la terre que nos ancêtres nous ont léguée. Il s’agit de notre propriété nationale. Si le peuple congolais faisait ce que font les « Gilets jaunes », ne croyez-vous pas qu’on irait vers la libération du peuple congolais?
D’aucuns pourraient vous rétorquer que comparaison n’est pas raison. Et que le peuple Congolais n’a pas une tradition de revendication de ses droits au même titre que le peuple français…
Aucune nation ne peut accepter ce que le peuple Congolais subit aujourd’hui. Ce qui se passe chez nous, ne peut pas se passer au Congo-Brazzaville ou dans n’importe quel autre pays d’Afrique. De nombreux Africains ne cessent de me poser une seule question: Que se passe-t-il chez vous? J’ai la conviction que notre jeunesse peut agir au même titre que les autres peuples.
On assiste depuis un certain temps à un retour en force du tribalisme et du régionalisme. Selon vous, « quelqu’un » voudrait-il élargir le fossé entre Congolais?
J’assimile le phénomène du « tribalisme » à un « virus ». Ce virus a déjà été injecté par le colonialisme. A l’époque coloniale, les Belges avaient utilisé le tribalisme comme moyen pour diviser et dominer la population. Depuis l’agression de 1996 et le dialogue inter-congolais de Sun City, les Rwandais et leurs commanditaires utilisent l’arme du mensonge. Ils veulent faire croire que les Congolais se battent entre eux. Chaque fois, ce mensonge est mis à rude épreuve. C’est pour cette raison qu’ils ont intérêt à voir les Congolais entrer en guerre entre eux pour leur permettre de réussir la phase de la balkanisation. L’histoire nous démontre que pour balkaniser un pays, il faut que les habitants soient prédisposés à la séparation. Jusqu’ici, notre peuple a résisté aux attaques extérieures. Et ce grâce au « sentiment national » – qui est l’héritage de Mobutu Sese Seko et la IIème République. Le régime rwandais a compris que la seule façon de pouvoir réussir la phase de la balkanisation est de propager le virus du tribalisme. C’est pour cette raison que je lance un appel solennel à tous les Congolais de sang de combattre par tous les moyens ce fléau du tribalisme d’où qu’il vienne. C’est le lieu d’épingler une vidéo qui circule sur les réseaux sociaux où l’on voit des individus tenir un meeting en Kinyarwanda pour soutenir Ramazani Shadary. En Kinyarwanda s’il vous plaît, sur le territoire congolais. Cela veut dire qu’une partie de notre territoire est déjà occupée par des sujets rwandais. Demain, vous trouverez ces gens-là entrain d’exiger l’autodétermination de « leur » territoire. Ce sont ces individus-là qui entreront en conflit avec les « vrais Congolais ». Le régime rwandais a intérêt à voir ce genre de conflit s’étendre à d’autres régions afin de faciliter la balkanisation.
Dans votre discours, le mot « occupation » revient sans cesse. Que proposez-vous concrètement aux Congolais afin qu’ils arrachent leur « libération »? Est-ce la lutte armée ou des « jeûnes et prières » jusqu’à ce que Dieu rappelle « Kabila » à Lui?
Depuis 2001, je ne cesse de crier que « le Congo est occupé ». J’ai commencé à sensibiliser notre peuple au moment où l’occupation n’était encore qu’à son commencement. Les Congolais eux-mêmes se sont prêtés au jeu des Rwandais et des occupants. Ce sont ceux qui ont participé aux négociations à Sun City qui ont contribué à mettre l’armée congolaise sous le contrôle des Rwandais. Les délégués venus de Kinshasa avaient cédé tous les postes régaliens aux Rwandais. A savoir notamment la Sécurité et la Défense. Aujourd’hui, face à l’occupation, c’est tout le peuple congolais qui doit se mettre debout. Ce n’est pas l’affaire d’un homme mais bien de tout le monde. Il faut un soulèvement populaire qui devrait passer par la désobéissance civique.
Vous êtes mieux placé que quiconque pour savoir qu’un peuple ne se soulève jamais seul. Il a besoin d’un leadership censé donner le « mot d’ordre »…
Le leader qui donne le mot d’ordre doit être entendu. Vous connaissez bien l’Histoire. Qui est le leader qui avait donné l’ordre lors de la prise de la Bastille? Il n’y en a pas! C’est le peuple français qui s’était levé. Le peuple doit se lever lorsque les leaders prennent une mauvaise direction. Arrêtez de faire croire que notre peuple est composé de moutons de Panurge.
L’ambassade des Etats-Unis à Kinshasa a été fermée durant plusieurs jours suite aux « menaces terroristes » qui planeraient sur les édifices américains dans la capitale congolaise. Selon vous, s’agit-il d’une menace réelle ou d’une manipulation orchestrée par les « services »?
Je vous dis tout de suite que la menace terroriste est réelle. Il faut cependant craindre qu’elle soit instrumentalisée à l’Onu pour justifier des actions militaires sous d’autres cieux. Cette situation doit nous inciter, nous Congolais, à rester vigilants. Cette menace existe depuis plusieurs années. Pourquoi en parle-t-on maintenant? En juillet 2010, j’ai réalisé une étude secrète de quinze pages que j’ai communiquée à tous les services de renseignements occidentaux. J’y ai décrit tous les réseaux de renseignements d’Al Qaida et du Hezbollah à Kinshasa et dans les pays environnants. J’ai cité plusieurs sociétés dont « Congo Futur ». J’ai donné une liste des personnes qui font partie de ces sociétés. Certains « services » occidentaux avaient réagi pour confirmer l’authenticité et l’exactitude des éléments contenus dans ladite étude. Derrière cette menace se trouvent deux personnes: « Kabila » et [Paul] Kagame. J’ai tous les éléments. Tant que ces gens sont les alliés de « grands décideurs », on met le dossier au frigo. Ils le font sortir le dossier lorsque leurs intérêts sont menacés. Quand je prends le dossier de l’uranium, j’avais adressé un document complet au président George W. Bush. J’y avais annexé des documents officiels attestant l’implication de l’Etat congolais dans la vente illicite de l’uranium à certains « pays voyous ». Aujourd’hui quand ils réagissent c’est parce qu’ils ne sont plus en bons termes avec leurs alliés. Quelle est cette menace qui est devenue subitement alarmante? Ne s’agit-il pas d’un prétexte que l’on invoque pour camoufler l’importance de l’armada qu’ils sont en train de déployer en face de Pointe Noire et des avions avec des équipements sophistiqués? Je suis très inquiet avec les enjeux qu’il y a chez nous. Dernièrement, j’ai relevé la menace que Boko Haram fait planer sur Beni.
Deux jours avant la « découverte » des corps sans vie et mutilés des experts onusiens Zaida Catalan et Michaël Sharp, le président de l’assemblée provinciale du Kasaï Central avait annoncé la « décapitation » de 40 policiers par des prétendus « miliciens Kamuina Nsapu ». Les identités, les numéros matricule de ces policiers n’ont jamais été divulgués. Pas un mot sur la date de l’inhumation. Devrait-on parler de manipulation destinée à conditionner l’opinion?
Nous sommes là face à une manipulation à grande échelle. Quelle était l’objet de la mission des experts Zaida Catalan et Michaël Sharpau Kasaï Central? Par qui et pourquoi ont-ils été assassinés? Pourquoi l’enquête de l’Onu sur cette affaire présente beaucoup de lacunes? Qui a dissimulé les informations capitales de cette affaire au Conseil de sécurité? A la lumière de toutes ces questions, on voit en filigrane une mise en scène. Catalan et Sharp sont allés au Kasaï en vue d’enquêter sur des violations des droits humains sur la population civile imputées au 53ème bataillon de la FARDC à Kananga. C’est le haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme qui avait ordonné ces investigations. Les deux experts avaient reçu des informations non seulement sur l’existence de fosses communes mais aussi sur les véritables auteurs des massacres. La mort de ces deux envoyés onusiens ne peut profiter qu’à ceux qui avaient intérêt que le scandale soit étouffé. Il y a des indices clairs qui montrent qu’il y avait une complicité entre des Rwandais qui sont au pouvoir à Kinshasa et à Kigali et une certaine hiérarchie de la Monusco. Des détails se trouvent dans le rapport « Congo files » publié par un consortium de journalistes. Il y est question notamment d’un sujet rwandais nommé Bariyanga. Il était le commandant second du bataillon précité. Selon des sources, il existe au ministère de la Défense à Kinshasa, un service chargé de « congoliser » des patronymes à consonance rwandaise. Il est clair que ce double homicide a été accompli par des Rwandais. On fait porter le chapeau aux Congolais.
Que pensez-vous des sanctions infligées par l’Union européenne à plusieurs personnalités du régime »Kabila » dont Emmanuel Ramazani Shadary? Le Conseil de l’UE doit se réunir lundi 10 décembre afin d’examiner la possibilité de les renouveler. Faut-il les renouveler ou pas?
Je vous ai dit précédemment que ce qui se passe dans notre pays n’a lieu nulle part ailleurs. On juge et condamne des Congolais mais jamais les commanditaires. Pourquoi? Je prends le cas du « dauphin » de « Kabila ». On a sanctionné Ramazani Shadary. Celui-ci était ministre de l’Intérieur. Connaissant le système dictatorial dans lequel évoluent les membres du gouvernement, Shadary – qui était sous ordre – ne peut pas poser des actes criminels. Si on doit punir les criminels, on doit commencer par les commanditaires. Les occupants – qui sont les commanditaires – sont épargnés parce qu’ils sont alliés aux puissances extérieures. Quand celles-ci veulent agir chez nous, ils s’attaquent aux Congolais pour exercer des pressions sur leurs alliés. Je m’insurge contre ce système-là. C’est une mascarade que je rejette en bloc.
Quelle est votre commentaire sur le bilan des 18 années de pouvoir de « Joseph Kabila »? Dans l’interview qu’il a accordée au « Soir » de Bruxelles, ce dernier déclare que de 2001 à 2006, la stabilisation, la pacification et les élections constituaient les priorités. De 2006 à 2011, il a stabilisé davantage et amorcé la reconstruction. De 2012 à ce jour, il a « tenté » la modernisation.
Mon commentaire est très simple: « Kabila » a réussi sa « mission » au Congo-Kinshasa. Il était venu dans notre pays pour le faire occuper, le déstabiliser et le détruire. Sans omettre la mise en œuvre de la balkanisation et l’annexion d’une partie du pays au Rwanda. Voilà les missions pour lesquelles Kabila était venu dans notre pays. Il se moque du peuple congolais. La journaliste Colette Braeckman qui fut pointilleuse vis-à-vis de Mobutu semble aujourd’hui accommodante. Je me demande si cette journaliste a vu un camion rempli de cadavres à l’époque de Mobutu comme ce fut le cas en janvier 2015. Elle avait fait ses choux gras du « faux massacre des étudiants de Lubumbashi » où il n’y avait qu’un seul mort suite à une bagarre entre les pensionnaires de ce campus. Aujourd’hui, elle est devenue taciturne et aveugle vis-à-vis de millions de morts que nous avons connus. En conclusion, je constate que Kanambe a réussi sa mission de l’occupation du Congo. Il a réussi également sa mission de « chosification » de l’homme congolais. Il a utilisé le pouvoir et l’argent pour anesthésier tous les Congolais et les rendre aveugles. Je tiens à lancer un appel à mes compatriotes. Je leur dit que le temps est arrivé. Le 24 décembre prochain ce sera le jour de la vérité. Il est temps que les vrais Congolais et l’élite congolaise comprennent que les enjeux actuels sont importants. Nous devons nous mettre debout pour stopper la « machine » qui a déjà accompli la phase de l’occupation et voudrait passer à la phase de la balkanisation. Rendez-vous est pris le 24 décembre pour que le peuple congolais se réveille!
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi