Rétroactes
En août 1996, une révolte dite des « Banyamulenge » (Tutsis congolais d’origine rwandaise) éclate à l’Est du Zaïre. Une révolte qui se transforme rapidement, au début du mois de septembre, en combats de plus en plus violents entre lesdits « Banyamulenge » et les Forces armées zaïroises (FAZ) venues en renfort pour ramener le calme. Dans une déclaration faite à l’AFP le 13 octobre 1996, le général Ekuli Monga Andu, chef d’Etat-major général des FAZ, évoquait – déjà! – « l’agression du Zaïre par des bandes armées de Banyamulenge venues du Rwanda avec des militaires de l’APR (Armée patriotique rwandaise) ». C’est le début d’une interminable série de « rébellions congolaises » suscitées, accompagnées, équipées et instrumentalisées par le Rwanda. Des rébellions dont le dernier avatar reste le « M23 » né des cendres du CNDP (Conseil national pour la défense du peuple) dirigé par Laurent Nkunda « arrêté » (hum!) sur le territoire rwandais par les autorités de Kigali en janvier 2009.
Le M23 est composé d’anciens rebelles, majoritairement tutsis, du CNDP réintégrés dans l’armée congolaise à la suite d’un accord de paix signé le 23 mars 2009 (date d’où il tire son appellation) avec le régime de Joseph Kabila. Considérant que ce dernier n’a pas respecté les modalités et termes de l’accord, ils se mutinent en avril 2012. Défait en novembre 2013, le M23 déclare déposer les armes mais refait curieusement surface en novembre 2021, toujours avec le soutien du Rwanda!
De la Céni à la rébellion…
Et voici que le 15 décembre 2023, depuis Nairobi au Kenya, Corneille Nangaa lance une énième coalition politico-militaire dénommée « Alliance fleuve Congo » (AFC). Cet ancien président de la commission électorale nationale « indépendante » (Céni) sous Joseph Kabila prétend « sauver la nation en danger et restaurer la dignité du Congolais ». Voire! Il affirme (se vante?) que son AFC compte de nombreux ralliés parmi lesquels des acteurs politiques, de la société et des mouvements citoyens. Sans oublier surtout des groupes rebelles – parmi lesquels figure, en première ligne, le M23! – qui sèment la mort, la terreur et la désolation avec leurs cohortes de réfugiés et déplacés. C’est le retour à la case-départ de ces sempiternelles « rébellions congolaises » qui prennent toujours racine à partir de l’Est du Congo ex-Zaïre qui partage les frontières de cette partie de son territoire avec le Rwanda! Il existe de ces coïncidences qui ne constituent plus le fruit d’une génération spontanée…
La première de ces « rébellions » – la liste est longue – fut celle de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre). A sa tête campait un certain Laurent-Désiré Kabila qui se revendiquait « nationaliste » et « lumumbiste ». Il s’avéra – en fin de compte – un faire-valoir, un pion malgré lui (à son insu?) pour donner une coloration zaïroise à cette « rébellion » (Lire Le Congo ex-Zaïre et le Rwanda: Il était une fois l’AFDL, Congo Indépendant 14 février 2023).
Cheval de Troie et poker menteur
Pour le Rwanda, l’AFDL représentait un cheval de Troie. Un cheval de Troie dans une partie de poker menteur dont – tel un prestidigitateur machiavélique – il détenait, distribuait, échangeait et déplaçait les cartes – ou, plutôt, les soi-disant « rebelles congolais »! – qui, bon gré mal gré, servaient ses intérêts politiques, ses stratégies militaires, ses visées de transformer l’est du Congo-Zaïre en un no man’s land, un eldorado par l’exploitation et le trafic des minerais estampillés « made in Rwanda » sur le marché international! Un cheval de Troie qui servit d’alibi tant soit peu crédible au Front patriotique rwandais (FPR) en lui laissant les coudées franches dans sa traque contre les FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda) réfugiés à l’est du Zaïre à la faveur du fameux et désastreux « couloir humanitaire » de l’ « Opération turquoise » initiée par la France et autorisée par la résolution 9291 du 22 juin 1994 du Conseil de sécurité de l’ONU! Voilà une trentaine d’années que, pour justifier sa présence sur le sol congolais et son soutien aux différentes « rebellions », le régime rwandais continue à évoquer – contre toute vraisemblance – cette traque des génocidaires qui menaceraient sa sécurité avec l’aide de Kinshasa!
Une partie de poker menteur, car en s’emparant du pouvoir le 17 mai 1997 et en contraignant le président Mobutu Sese Seko à prendre le chemin de l’exil, l’AFDL croyait désormais avoir les mains libres pour conforter son imperium et sa lutte de « libération ». Quelle cécité! Quel malentendu! Cette lutte de « libération » envers un régime mobutiste agonisant se résuma à faire des Zaïrois les citoyens de la République « démocratique » du Congo: les « parrains » de la rébellion, en effet, restaient les maîtres du jeu en ayant infiltré les institutions politiques, les services de sécurité et de renseignement, les forces armées, l’administration publique, etc. Une situation de mise sous tutelle du pays qui, en juillet 1998, amena Laurent-Désiré Kabila lui-même – dans un sursaut nationaliste tardif – à se séparer de ses encombrants « alliés » rwandais. Mais cette infiltration continue à produire ses métastases jusqu’à nos jours. En témoigne cette interpellation de Christophe Mboso, président sortant de l’Assemblée nationale, en décembre 2021: « Vous, les collègues du Kivu, quittez les groupes armés »! Prémonition? En mars 2023, Édouard Mwangachuchu, député de Masisi (Nord-Kivu) est arrêté. Il est condamné à mort pour, notamment, « haute trahison, participation au mouvement M23, possession illégale d’armes de guerre ». C’est tout dire…
Une partie de poker menteur, car les dénégations de Paul Kagame varient – tel un roublard impénitent – selon la tournure des événements ou l’air du temps. Tantôt, il s’agirait de traquer les génocidaires rwandais; tantôt il serait question – mais de quel droit et en quelle qualité?- de défendre les intérêts de « Banyamulenge » marginalisés et déconsidérés par le pouvoir congolais; tantôt encore, le conflit persistant entre les deux pays voisins consisterait à récupérer les terres rwandaises indûment cédées au Congo ex-Zaïre lors de la conférence de Berlin en 1885! Cette remise en cause de la légitimité des frontières exprimée, le 15 avril dernier, à Cotonou (Bénin) par Paul Kagame en personne serait-elle – outre l’exploitation illégale et le trafic des minerais souillés par le sang des Congolais – à l’origine de cette guerre sans cause réelle et de cette insécurité inqualifiable que le Rwanda fait subir au Congo ex-Zaïre depuis une trentaine d’années par de prétendues « rébellions congolaises » interposées? Poser la question, c’est y répondre…
(A suivre: quid de la communauté internationale?)
Polydor-Edgar Kabeya – Juriste
Consultant en médias et communication
Rédacteur en chef de la revue « PALABRES zaïro-congolaises » (Éditions L’Harmattan, Paris)