Vingt-quatre heures après la liesse populaire suscitée par la libération des condamnés civils et militaires dans le procès sur l’assassinat du président Laurent-Désiré Kabila, des questions fusent au sein de l’opinion. En cause, l’inclusion de deux condamnés dans le « procès des 100 jours » en marge des bénéficiaires de la grâce présidentielle. A quel niveau se situe le dysfonctionnement? Des regards interrogateurs sont braqués sur le vice-ministre de la Justice, Jean-Bernard Takahishe Ngumbi, qui assume l’intérim à la tête de ce ministère régalien.
C’est un cortège fort bruyant composé de motards et des véhicules qui a « escorté », vendredi 8 janvier, le colonel Eddy Kapend, ancien aide de camp du président Laurent-Désiré Kabila. Et ce, de la prison de Makala à la résidence de l’intéressé située dans le Quartier Ma Campagne (Joli Parc) dans la commune kinoise de Ngaliema.
Des Kinois lambda, des parents et amis de l’ancien bras droit de Mzee Kabila exprimaient, à leur manière, la joie d’assister à la fin d’une « injustice politico-judiciaire ». Des voix se sont élevées le même vendredi pour demander voire exiger la réouverture du procès sur la mort non-élucidée à ce jour de Mzee Kabila. Une occasion pour Kapend de dire sa part de vérité. Et pourquoi pas se faire innocenter?
Ces « retrouvailles » ont été quelque peu gâchées par l’émergence d’une polémique. En cause, la remise en liberté de deux condamnés dans le « procès des 100 jours ». Il s’agit de Benjamin Wenga (5 ans de travaux forcés) et de Modeste Makabuza (3 ans de travaux forcés) respectivement directeur général de l’OVD (Office de voiries et drainage) et directeur général de la Société congolaise de construction (SOCOC).
Certains y ont vu une démonstration de l’incompétence dans le chef du ministre intérimaire de la Justice. D’autres sont plus sévères. Ils suspectent carrément Jean-Bernard Takahishe d’avoir été « soudoyé ». C’est un euphémisme. En tous cas, rares sont ceux qui ne s’interrogent pas sur la « motivation » ayant guidé ce membre du gouvernement Ilunga Ilunkamba.
Le professeur André Mbata n’a pas tardé de « dégainer » en invitant le ministre de la Justice ad intérim à procéder, au « retrait sans délai », de son Arrêté portant libération conditionnelle de ces personnes. Le constitutionnaliste va plus loin en suspectant Jean Bernard Takahishe d’avoir profité de cette décision de clémence du chef de l’Etat, formulée en termes généraux, pour insérer deux personnes condamnées impliqués dans une affaire de « détournement de deniers publics ». Alors que l’article 5 de l’ordonnance présidentielle du 31 décembre 2020 exclu les personnes condamnées pour ce type d’infraction.
UN « ARRÉTÉ FRAUDULEUX »
Contacté par l’auteur de ces lignes, le juriste Mbata a estimé que l’acte posé par le vice-ministre de la Justice – promu titulaire de ce département après la démission du vice-Premier ministre Tunda ya Kasende – ne serait ni plus ni moins qu’un « acte de sabotage ». Il s’agit, selon lui, du « sabotage des efforts du Président de la République en vue de consolider l’Etat de droit, la lutte contre l’injustice, l’impunité, la corruption et d’autres antivaleurs héritées de l’ancien régime ».
Certains juristes préfèrent qualifier la mesure de clémence prise le 31 décembre 2020 par le président Felix Tshisekedi de « grâce amnistiante ». Au motif que les bénéficiaires ne sont pas nommément. L’ordonnance présidentielle s’est limitée à poser des principes . Il revenait au ministre ayant en charge la Justice de signer un arrêté d’exécution de la décision du chef de l’Etat en énumérant les détenus réunissant les conditions d’éligibilité à cette mesure de clémence.
Deux listes des condamnés civils et militaires ont été établies par les services de l’administration pénitentiaire. Dans le premier cas de figure, on trouve notamment: Bisimwa Tshibaka, Sikuru Shunuza, Kashindi Musome, Baguma Safari, Bahaya Maheshe, Muzima Mwenyenzi, Makegane Bisavu, Balungwe Birashirwa, Murhazi Burume, Leta Mangasa George, Nono Lutula Constantin et Kibonge Théodore. Dans le second cas, il y a: Eddy Kapend Irung, Mutindo Kitambala, Itongwa Ngirinda, Mukanirwa Nyampeta Jojo, Yav Ditend, Amisi Bakuka, Chiribagula Mulume, Ndongo Kahilu, Bitanda Kitanuka Bosco, Misisipi Kasongo et Bilolo Kabiku William.
Comme on peut le voir, Benjamin Wenga et Modeste Makabuza ne sont pas mentionnés parmi les bénéficiaires de la grâce présidentielle. Que s’est-il passé? Sur les réseaux sociaux, la clameur populaire poursuit le ministre en charge de la Justice. On peut lire notamment: « Jean Bernard Takahishe DEGAGE! ». André Mbata invite ce dernier à retirer son Arrêté portant « libération conditionnelle » qu’il qualifie de « frauduleux ». Le constitutionnaliste exige le « retour immédiat » en prison de ces condamnés. La parole est la défense…
B.A.W.