Agée de 28 ans, juriste de formation, Gloria Sengha, alias Panda Shala (seuls les Sankurois pourraient décrypter ce sobriquet), est une activiste de la société civile congolaise bien connue. Son crédo tient en cinq mots: la défense des droits humains. Militante du mouvement citoyen la « Lucha » (Lutte pour le changement), elle participe, en août 2017, à la rédaction du « Manifeste Citoyen Esili » à Chantilly, en France. Une rencontre dont l’organisation matérielle fut l’œuvre du duo Sindika Dokolo et André Mbata Mangu. Depuis 2018, « Gloria » dirige une organisation de défense des droits humains dénommée « Vigilance citoyenne » (VICI). Vendredi 22 octobre dernier, cette militante – qui est également avocate au barreau du Kongo Central – a jeté un regard fort critique sur la marche des affaires publiques depuis l’avènement de Felix Tshisekedi Tshilombo à la tête de l’Etat. C’était sur le média kinois CML13. « Rien n’a changé. Les arrestations continuent », dit-elle. La militante n’exclue pas de descendre dans l’arène politique en présentant sa candidature aux élections législatives de 2023. INTERVIEW.
En scrutant votre parcours, on constate que vous avez commencé à vous intéresser à la vie politique en 2009. C’est en 2011 que vous vous êtes engagée. Pourquoi?
A l’instar de la grande majorité des Congolais, ma famille était convaincue qu’Etienne Tshisekedi wa Mulumba avait remporté l’élection présidentielle du 28 novembre 2011. Je vous laisse deviner la déception lorsqu’on a appris que le « vainqueur » était le président sortant Joseph Kabila. Pour nous, ces résultats étaient loin de refléter la vérité des urnes. A l’époque, je venais de débuter ma première année à l’université de Kinshasa. En 2015, j’ai été approché par la « Lucha ».
En août 2017, vous avez participé à la rédaction du « Manifeste Citoyen Esili » sous la bannière de la « Lucha ». Pourquoi avez-vous, par la suite, quitté ce Mouvement?
J’ai quitté la Lucha parce que nous n’avions plus la même vision.
Qu’entendez-vous par « vision »?
Nous n’avions plus les mêmes méthodes de combat. Dans la Lucha, le leadership était collégial. Or, j’avais mes propres méthodes que j’estimais indispensables pour mener la lutte. Pour moi, il fallait faire « du porte à porte » pour conscientiser les citoyens sur le fait que les gouvernants sont tenus à une obligation de rendre des comptes à l’égard des citoyens.
Depuis 2018, vous êtes à la tête du Mouvement « Vigilance Citoyenne ». Quelle est la différence avec le mode d’action utilisé dans la « Lucha »?
Je préfère ne pas m’engager dans ce débat. Je peux vous assurer que mon mouvement est engagé dans la lutte pour l’avènement d’un véritable changement au Congo-Kinshasa. La Lucha fait partie de mon histoire. Elle fait partie de ma vie de militante. A Kinshasa, on ne parlerait pas de la Lucha sans Gloria. Et-ce en dépit du fait que le mouvement est né à Goma, au Nord-Kivu?
Lors de votre passage sur CML13 (Congo Média Libre) chez Louis-France Kuzekisa – pour ne pas le citer -, vous avez déclaré que l’avènement de Felix Tshisekedi à la tête de l’Etat avait suscité un certain espoir. Et que cet espoir est déçu. Pouvez-vous expliciter votre pensée?
Cet espoir est déçu parce que l’actuel Président est une personne avec laquelle nous avons mené le combat pour arracher le changement. Pour nous, il devrait incarner les valeurs qu’il défendait en tant que membre de l’opposition. J’ai le sentiment que les valeurs ne sont pas transmissibles, par héritage, de père à fils. Après son arrivée au pouvoir, Felix a fait alliance avec Joseph Kabila. Il a fini par rompre cette union à la satisfaction générale. Le constat est là: le chef de l’Etat peine à montrer la cohérence entre ce qu’il disait dans les rangs de l’opposition et ce qu’il fait en tant que gouvernant. Sur le terrain, la tentation est forte de conclure que ce n’était que du « ôte-toi de là que je m’y mette ». C’était le pouvoir pour le pouvoir. Finalement, le pouvoir pour quoi faire?
Que répondez-vous à ceux qui soutiennent qu’une certaine ambiance libérale règne au pays depuis l’investiture de Felix Tshisekedi?
J’estime, pour ma part, que rien n’a changé au niveau de l’exercice des droits et libertés. Les arrestations arbitraires continuent. Des journalistes ont été détenus à l’ANR et à la prison de Makala pour des faits bénins. L’intolérance est montée d’un cran de la part des membres du parti présidentiel.
Pouvez-vous citer les noms des journalistes enfermés à Makala?
Jacky Ndala, par exemple…
Il n’exerçait pas le métier de journaliste au moment de son arrestation…
C’est un ancien journaliste qui a adhéré à l’Ensemble pour la République. Peut-on dire que la liberté d’expression est respectée? Je ne le pense pas.
D’aucuns pourraient vous rétorquer que Ndala avait donné un « mot d’ordre » à caractère séditieux aux militants de ce parti…
Pourquoi la rigueur de la loi est appliquée à Jacky Ndala mais pas à Augustin Kabuya? Le secrétaire général de l’UDPS n’avait-il pas menacé de distribuer des armes aux « combattants » afin de s’opposer aux personnes qui menaceraient le pouvoir de « Felix »?
Je pourrais citer également le cas de Tatiana Osango qui a été détenue à l’ANR pour avoir, semble-t-il, interviewé un monsieur qui faisait l’apologie du tribalisme. La journaliste n’a fait que son travail…
Les faits sont connus: elle avait donné la parole à des militants d’un parti d’opposition qui avaient lancé des appels aux meurtres…
Denis Kadima vient d’être investi en qualité de Président du Bureau de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Qu’en pensez-vous?
Je suis personnellement déçue du fait de l’absence du consensus autour de sa désignation. On peut trouver l’expertise un peu partout. Je ne suis pas d’accord avec l’argument tribalo-ethnique selon lequel Kadima a été indexé du fait de son appartenance à une ethnie. Luba ou pas luba, nous devons apprendre à reconnaitre la compétence. Le véritable problème au niveau de la CENI porte deux noms: la transparence et l’impartialité. La CENI, sous la direction de Denis Kadima, sera-t-elle impartiale lors de la publication des résultats électoraux? Depuis 2006, tous les cycles électoraux ont été émaillés de contestations. Les Congolais n’ont-ils pas le droit d’aspirer à des élections libres, transparentes et démocratiques? La situation que traverse notre pays découle de triples irrégularités en 2006, 2011 et 2018. Des résultats furent proclamés par la CENI et valider par la Cour constitutionnelle. Il faut craindre qu’il n’y ait pas de changement. Et ce aussi longtemps que les gouvernants du moment seront tentés de placer leurs « obligés » à la direction de la CENI pour « fabriquer » des résultats qui ne reflètent pas la volonté populaire. Je m’interroge pourquoi Kadima n’est du soutien que par les membres d’un seul parti politique? Pourquoi pas les autres?
Dans votre interview précitée, vous avez déclaré notamment: « Bravo à M. Fayulu pour sa constance ». Que pensez-vous de son « alliance » avec « Joseph Kabila » dans le cadre du « Bloc patriotique »? Allez-vous participer à la manifestation programmée le samedi 6 novembre?
La phrase selon laquelle « la politique est dynamique » m’exaspère un peu. Les acteurs politiques s’associent juste pour préserver leurs intérêts. Quid du passé récent au cours duquel des gens ont perdu la vie dans le combat contre Joseph Kabila? Comment peut-on s’associer avec des gens sans foi ni morale qui ne se repentent pas de leurs méfaits passés? Je ne suis pas du genre à faire feu de tout bois. Je ne participerai pas à la manifestation du samedi 6 novembre.
Dans un tweet publié le 24 octobre par la Lucha, cité par Stanis Bujakera, on peut lire: « Aucune circonstance, aucun pragmatisme, aucun combat ne vaut la peine d’une alliance délibérée avec ceux qui ont mis à feu et à sang l’est du Congo, le Kasaï, Yumbi, qui ont fait tuer Chebeya, fusiller Thérèse [Kapangala] et Rossy [Mukendi], immoler Luc [Nkulula]… sans justice ni la moindre repentance ». Votre commentaire?
C’est un excellent message. On ne peut pas, sous le prétexte que « la politique est dynamique », passer par pertes et profits tous les événements ayant endeuillé notre peuple. La mémoire collective est très importante. Elle nous permet de garder présent à l’esprit trois questions. D’où nous-venons? Où sommes-nous? Où allons-nous? Nous devons nous poser une question: ceux qui sont morts depuis 2015 pour l’avènement d’un Congo démocratique seraient-ils fiers de nos « alliances politiques »? Faut-il pactiser avec le diable juste pour combattre Felix Tshisekedi? Nous devons respecter la mémoire de ceux qui sont morts en laissant leurs familles. Le tweet de la Lucha est interpellant! Nous ne nous sommes pas engagés dans le combat politique pour prendre la place des « sortants ». Nous luttons pour l’avènement d’un Congo meilleur.
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi