C’est un Felix Tshisekedi Tshilombo muri, ou plutôt assagi, par le poids de la lourde fonction présidentielle qu’il assume depuis le 24 janvier 2019. Jeudi 1er octobre 2020, des journalistes de la diaspora congolaise de Belgique (Cheik Fita de l’Info en ligne des Congolais de Belgique, Maître Donat, Francis Kankonde et l’auteur de ces lignes) l’ont rencontré quelques minutes avant son départ vers l’aéroport Melsbroek où il devait prendre son avion de retour au pays. Il s’en est suivi un entretien à bâton rompu. Le rendez-vous prévu initialement le mercredi 30 septembre à 14 heures fut reporté le lendemain. Et ce de manière cavalière par un service du protocole nonchalant au point de laisser les visiteurs – Congolais comme étrangers – dans une incertitude totale. Personne n’ose imaginer les dégâts éventuels sur l’image du Président de la République. Jeudi 1er octobre, un nouveau rendez-vous est fixé à 9 heures. L’échange avec le premier magistrat du pays n’aura finalement lieu qu’au milieu de l’après-midi. Fort heureusement, ces contrariétés ont été vite oubliées par la chaleur de l’accueil. Chef de l’Etat, « Fatshi » est resté le même: humble, respectueux des autres et avenant. Plusieurs sujets ont été évoqués. A savoir notamment: l’objet de sa seconde visite en Belgique en l’espace de deux mois, la nomination d’Alexander De Croo au poste de Premier ministre belge, la situation générale du pays, le bilan de la coalition après dix-huit mois de « cohabitation », la promotion d’une justice indépendante. Sans omettre le cas de l’ambassadeur du Rwanda Vincent Karega.
« Je peux vous dire que je n’entends pas m’éterniser au pouvoir ». « Il est humainement épuisant d’accomplir deux mandats à la tête de l’Etat ». Deux phrases-choc prononcées jeudi 1er octobre à Bruxelles par le président Felix Tshisekedi Tshilombo. Tout au long de l’entretien, celui-ci n’a cessé de souligner le poids de la charge qui pèse sur ses épaules.
Le voyage à Bruxelles. Le 5 juillet dernier, « Fatshi » a séjourné à Bruxelles où il a passé quatre jours dans le cadre d’une « visite privée » qui ne l’a pas empêché d’être reçu par des officiels belges. C’est le cas du roi Philippe et de Sophie Wilmès, alors Premier ministre. Deux mois après, le revoilà dans la capitale belge où il est arrivé le samedi 26 septembre.
Lecteur assidu de la Bible, ne redoute-t-il pas, d’aller à l’encontre de la sagesse contenue dans le livre de proverbes 25:11, selon laquelle il faut mettre « rarement le pied dans la maison de ton prochain. De peur qu’il ne soit rassasié de toi et qu’il te haïsse »? La réponse est tombée comme un couperet: « C’est vrai! Mais vous devez savoir que ce sont des visites privées. J’ai passé la moitié de ma vie en Belgique. Ce pays, c’est mon ‘autre Congo’. J’ai des attaches ici. Je reviendrai encore et encore… ».
Dans une interview accordée à TV5 Monde le 21 septembre 2019, Felix Tshisekedi – dont les enfants et certains membres de la fratrie sont titulaires de la nationalité belge – avait déclaré qu’il ne voudrait en aucun cas entretenir de « tension » avec la Belgique durant son mandat. « Je suis là pour dire aux Belges que leur place est au Congo ».
Au cours de ce dernier séjour, le chef de l’Etat a eu un entretien téléphonique avec le souverain belge avant d’être reçu par Sophie Wilmès, la Première ministre sortante. [Mme Wilmès est depuis jeudi 1er octobre 2020, chef de la diplomatie belge, Ndlr]. Il a été reçu également par Charles Michel, le président du Conseil européen.
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Alexander De Croo, Premier ministre. C’est dans la capitale belge que le numéro un Congolais a appris la nomination du libéral flamand Alexander De Croo en qualité de chef du gouvernement belge. Il faut dire que « Papa Decroo » prénommé Herman est une vieille connaissance de la famille Tshisekedi. « Je l’ai toujours appelé Tonton Herman. C’est d’ailleurs lui qui m’a dit que mon ‘cousin’ était promu Premier ministre ». Pour « Felix », l’avènement d’Alexander De Croo à ce poste « est une excellente nouvelle » pour le Congo-Kinshasa.
Agé de 44 ans, ingénieur commercial formé aux Etats-Unis, « Alexander » appartient à cette nouvelle génération d’hommes politiques belges n’ayant aucun complexe vis-à-vis du passé colonial du Royaume. Défenseur des valeurs démocratiques autant que des droits humains, le nouveau « Premier » n’a jamais été un adepte de la langue de bois. Pour mémoire, il a fait partie des personnalités belges au centre des pressions exercées sur « Joseph Kabila », tant au plan bilatéral que de l’Union européenne. L’objectif était de contraindre ce dernier à respecter les délais constitutionnels des élections.
Lors d’un voyage à Kinshasa en février 2015, « Alexander », alors ministre de la Coopération, n’avait pas manqué d’ « embarrasser » Didier Reynders, le ministre des Affaires étrangères de l’époque, en déclarant ces mots: « Nous ne pouvons pas accepter le statu quo des dernières semaines en RDC. Nous ne pouvons pas accepter les arrestations aléatoires, le blocage d’Internet et des communications numériques, l’instrumentalisation de la justice, etc. »
Ces propos « incendiaires » dans le contexte belge de l’époque – où il était de bon aloi de caresser le despote « Kabila » dans le sens du poil -, firent bondir la journaliste Colette Braeckman, spécialiste ès questions congolaises devant l’Eternel. Dans un édito intitulé « Jeune ministre, vieux réflexes », paru dans « Le Soir » daté du 24 février 2015, « Mama Colette » a vu rouge en s’interrogeant sur « l’opportunité » de ce discours.
Comment va la coalition Cach-Fcc? Dix-huit mois après l’investiture de Felix Tshisekedi à la tête de l’Etat et la signature de la « déclaration solennelle » de la constitution d’une « coalition politique » entre le Cach (Cap pour le changement) et le Fcc (Front commun pour le Congo), il ne se passe pas une semaine sans que les réseaux sociaux publient un « avis de décès imminent » de ce « partenariat » que les bases respectives qualifient de « contre-nature ». Comment se porte la coalition? « Felix » n’a pas caché que celle-ci est passée « par des hauts et des bas ». Il se veut, néanmoins, rassurant. « Je veux que cette alternance réussisse ». Fatshi a reconnu que les deux parties, jadis antagonistes, ne peuvent pas cohabiter de manière parfaite. « Nous ne pouvons pas non plus passer le temps à nous embrasser sur la bouche ». Qu’en est-il du bilan à ce stade?
Pour lui, la satisfaction n’est pas encore au rendez-vous. Reste que les « objectifs immédiats » demeurent les mêmes. A savoir: le rétablissement de la paix à l’Est, l’amélioration de la qualité de vie de la population et la maîtrise du cadre macro-économique. Il s’est réjoui de l’institutionnalisation de la gratuité de l’enseignement. « C’est une réussite », a-t-il estimé. Il s’est réjoui également des avancées en matière d’exercice de droits et libertés arguant qu’ « il n’y a plus de prisonniers politiques au Congo ». Il a néanmoins admis qu’il y a encore des efforts à fournir pour éradiquer certaines mauvaises habitudes acquises par des agents de l’ordre.
A en croire Felix Tshisekedi, il y a d’autres batailles à mener au niveau des infrastructures. Il a épinglé: l’aéroport de Ndjili, le port en eau profonde de Banana, le pont route-rail à Maluku et le projet Inga III. Il n’a pas omis la réforme de la justice afin de rendre celle-ci « indépendante et crédible ». L’Agence de la lutte contre la corruption est également épinglée relevant, au passage, que la Covid-19 n’a pas peu contribué à handicaper l’élan pris.
Regain de tribalisme. Le chef de l’Etat a semblé suivre avec une vive préoccupation cette espèce d’éloge du tribalisme auquel on assiste. « Nous assistons à des combats de bas étage où des groupes d’individus s’opposent les uns contre les autres », dit-il en réaffirmant sa volonté de « rassembler » les Congolais. « Je ne peux pas le faire tout seul ». Il faudrait, selon lui, une « mobilisation nationale » pour combattre ce fléau par le « changement de mentalité ». Plus concrètement, l’homme est décidé à garantir l’exercice des droits et libertés et réhabiliter l’autorité de l’Etat. « Une autorité de l’Etat qui est absente à l’Est ». Conscient du fait que l’homme ne peut être vertueux qu’en ayant un minimum de bien-être, le chef de l’Etat s’est dit résolu de mobiliser les recettes afin d’assurer « la répartition de la richesse nationale de manière équitable ».
La part de responsabilité des Congolais. Jetant un regard critique sur le déclin socio-économique du pays, « Fatshi » qui suit avec attention le travail réalisé par les Inspecteur généraux des finances n’a pas trouvé des mots assez durs pour fustiger la part de responsabilité des filles et fils du pays. « La corruption est devenue une sorte de gangrène dans notre pays. Il en est de même de l’impunité ». Ajoutant: « Je n’avais aucune idée de l’ampleur du problème. Il va sans dire que je ne pourrai par terminer ce combat ».
Adoptant un ton réquisitorial, « Felix » d’asséner: « Le premier ennemi du Congo n’est autre que le Congolais lui-même ». Il poursuit: « Ce sont les Congolais qui détruisent leur pays ». Un bon point est décerné aux Forces armées de la RDC. « Je ne ménagerai aucun effort pour améliorer la situation des membres nos formes armées ». Pour lui, l’esprit de sacrifice dont font montre les concitoyens servant sous le drapeau – pour défendre l’intégrité du territoire national – prouve que les « vrais patriotes » se trouvent au sein de l’armée. « Le Congo a été détruit dans ses fondements. C’est pourquoi le pays n’attire plus que des prédateurs en lieu et place des Congolais eux-mêmes ».
Le dossier de deux juges à la Cour constitutionnel. Nommés présidents à la Cour de cassation en juillet dernier, les juges à la Cour constitutionnel Noël Kilomba et Jean Ubulu ont boudé la cérémonie de prestation de serment qui a eu lieu le 4 août devant le Président de la République. Les deux magistrats estiment qu’ils n’avaient pas achevé leur mandat dans cette juridiction pénale pour le Président de la République et le Premier ministre. Qu’en est-il de ce dossier près de trois mois après? « J’ai du mal à imaginer que des réformes opérées dans le secteur de la justice soient assimilées à un casus belli », dit-il. Et d’ajouter: « Le sort des deux juges est scellé dans la mesure où ils n’ont pas exercé leur recours dans les normes. En refusant d’accepter leurs nouveaux postes, ils ont mis leur carrière en berne ».
Diplomatie congolaise. A Bruxelles, le chef de l’Etat congolais a dû constater que la représentation diplomatique de son pays n’a plus de titulaire depuis près de trois ans. Le dernier ambassadeur, Dominique Kilufya, a été rappelé définitivement en 2017. Selon « Felix », de nouveaux ambassadeurs seront bientôt nommés. Celui qui sera affecté dans la capitale belge « est déjà connu ». Par ailleurs, la ministre des Affaires étrangères, Marie Tumba Nzeza, est occupée à réduire le nombre des postes diplomatiques. Le Congo-Kinshasa en compte à ce jour 61 missions. Le trésor public ne peut plus faire face à cette dépense.
Le cas de l’ambassadeur Vincent Karega. Nouvel ambassadeur du Rwanda à Kinshasa, Vincent Karega fait l’objet d’une sorte de « Fatwa » de la part des activistes des organisations citoyennes. Celles-ci l’accusent de « négationnisme » pour avoir nié les massacres commis par des troupes rwandaise notamment à Kasika, au Kivu. Qu’en pense le premier magistrat du pays? « Je ne crois pas qu’il faut procéder à l’expulsion de ce diplomate. Il ne sert à rien de créer un incident fâcheux. Nous avons mené des démarches au niveau diplomatique en demandant aux autorités de son pays de le recadrer ». « Nous voulons rétablir des relations amicales avec les neufs états qui nous entourent. Si Dieu le veut, je serai le Président en exercice de l’Union Afrique en 2021 », a-t-il souligné.
Affaire Chebeya & Bazana. A une question sur l’arrestation du major Christian Ngoy Kenga Kenga – suspecté d’avoir torturé à mort le regretté directeur exécutif de la Voix des Sans Voix, Floribert Chebeya et son collaborateur Fidèle Bazana -, le chef de l’Etat a insisté sur l’Etat de droit lequel renvoie, selon lui, à l’idée d’une justice indépendante. Pour lui, il appartient notamment aux familles des victimes de saisir les autorités judiciaires. Notons qu’un témoin important se trouve en Belgique. Il s’agit de l’officier de police Paul Mwilambwe.
Faut-il dissoudre la coalition Cach-Fcc? « Je ne veux pas de crise », a-t-il déclaré. Pour lui, ceux qui lancent ce genre d’hypothèses n’ont pas conscience des conséquences incalculables pour tout le monde. « Je veux que cette alternance réussisse. C’est une expérience sans précédent dans l’histoire de notre pays. Je tiens à ce que mon prédécesseur vive paisiblement. Il faut être tolérant. Demain, ce sera mon tour de devenir un ancien Président ».
Tout en se réjouissant de ses rencontres avec l’ex-Président « Kabila », Felix Tshisekedi a reconnu que celui-ci n’est pas de nature expansif. Le dialogue permanent est nécessaire. Il continue de croire que le bilan de son action sera positif. Et de conclure: « D’ici 2023, la voie que j’ai tracé montrera à la population que c’était la bonne voie. Ceux qui se livrent au jeu stupide d’entraver mon action ne font que scier la branche sur laquelle ils sont assis. Nous irons au purgatoire pendant que, eux, iront en l’enfer ».
Baudouin Amba Wetshi