J’ai été au Quartier Matonge de Bruxelles au lendemain de l’annonce des « résultats provisoires » de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018 au Congo-Kinshasa. D’abord dans un salon de coiffure. Ensuite chez un vendeur des DVD de musique congolaise moderne. Enfin, sur commande, chez un marchand des produits cosmétiques que raffolent les Africaines pour s’éclaircir la peau. En me déplaçant d’un endroit à l’autre, j’ai rencontré des compatriotes interviewés par des « journalistes » des sites qui polluent la toile.
Pour le Congolais soucieux de l’unité, de la stabilité et de la prospérité nationales que j’ai toujours été, la victoire de tout Muluba m’aurait enchanté en dépit du peu de cas que je fais de la démocratie partisane et conflictuelle. Car une telle victoire servirait l’unité nationale après que le Congo ait connu un premier président issu de l’aire linguistique Kikongo, un deuxième de l’espace Lingala, et un troisième ainsi que son extension maléfique de la zone Swahili. Mais la célébration de la « victoire » du premier président de l’univers Tshiluba à laquelle j’ai été témoin m’a carrément fait douter de notre capacité collective à nous relever à court et moyen termes de la honte nationale qui est la nôtre depuis l’arrivée au pouvoir de l’AFDL. Car ce « conglomérat d’aventuriers », dixit son chef de file apparent Laurent-Désiré Kabila lui-même, traduit avant tout la volonté de vassalisation du pouvoir d’Etat congolais par l’hégémonie tutsi rwandaise. D’abord à travers l’idiot de service que fut Laurent-Désiré Kabila. Ensuite par l’ascension inattendue et fulgurante du cheval de Troie rwandais qu’est Joseph Kabila, suivie du déversement des Rwandais dans l’appareil sécuritaire du pays notamment à travers les opérations de mixage et brassage, stratégie dévoilée avec moult détails par Honoré Ngbanda, l’ex-conseiller spécial et flic du dictateur Mobutu. Enfin à travers la vénalité des hommes politiques congolais qui encensent le nouveau despote juste pour se retrouver et se maintenir au festin du pouvoir, crétinisés qu’ils ont été pendant les longues années Mobutu.
Quand un homme est élu président de la république en Afrique ou ailleurs au monde et surtout quand il vient de l’opposition à une dictature comme celle de Joseph Kabila, son premier devoir est de rendre hommage au peuple qui l’aura ainsi hissé au-devant de la scène politique nationale. Déclaré vainqueur par les « résultats provisoires » de la présidentielle, l’opposant Felix Tshisekedi, prolongement naturel de son éternel opposant de père Etienne Tshisekedi, n’a pas dérogé à cette règle générale. Il a rendu un vibrant hommage, jugé difficilement acceptable par lui-même, au despote qui, fort de son statut d’homme fort, s’est substitué au peuple en décidant d’asseoir Tshisekedi dans le fauteuil présidentiel contre la vérité des urnes qui, elle, proclame haut et fort la victoire de Martin Fayulu.
Comme au lendemain de l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, tout change en apparence sous le ciel politique congolais, mais le grand vainqueur reste le même: l’hégémonie tutsi rwandaise incarnée par le Tutsi congolais d’origine rwandaise qu’est Joseph Kabila (dixit le Tutsi Laurent Nkunda). Elu président de la république par cette hégémonie qui contrôle l’appareil sécuritaire ainsi que les services secrets du pays et qui dispose de surcroit d’un immense trésor de guerre amassé sur le dos du peuple congolais, comme l’a toujours si bien démontré Honoré Ngbanda, le pouvoir de Felix Tshisekedi sera similaire à celui du l’ex-président rwandais, le Hutu Pasteur Bizimungu, premier idiot de service de l’hégémonie tutsi rwandaise. Il aura le même contenu que celui du deuxième idiot de service de la même hégémonie ethnique, le président Laurent-Désiré Kabila. Il sera de même nature que le pouvoir du président Melchior Ndadaye, élu démocratiquement dans un Burundi où l’appareil sécuritaire et les services secrets étaient sous domination tutsi. Tel père, tel fils, le pouvoir de Felix Tshisekedi sera sans pouvoir comme le fut celui de son père Etienne Tshisekedi en sa qualité de premier ministre du dictateur Mobutu du 1er au 25 novembre 1991. Comme on l’aura constaté, Felix Tshisekedi va courir le même risque que les quatre dirigeants cités ci-dessus d’autant plus que dans le cadre aussi boiteux que celui de la démocratie partisane et conflictuelle, sa position sera davantage fragilisée par la majorité parlementaire que le despote vient de se fabriquer, au nom du Front Commun des Cons (FCC), avant même que ne soient dépouillés tous les bulletins de vote. A la moindre velléité d’indépendance vis-à-vis de l’hégémonie ethnique incarnée par Joseph Kabila, ce sera la chute politique et/ou physique assurée.
Que faire maintenant? L’hégémonie ethnique venue d’ailleurs et incarnée par Joseph Kabila est-elle une fatalité? Non. Martin Fayulu, vainqueur et « perdant » de l’élection présidentielle, a déposé, à la Cour constitutionnelle, un recours en contestation des résultats provisoires de la présidentielle. Comme dans nombre d’Etats africains et surtout au Gabon où elle a été surnommée « Tour de Pise » puisque se penchant toujours du côté du despote de l’heure et de sa clientèle interne, la Cour constitutionnelle congolaise a certes fait preuve de son inféodation au régime Kabila, mais elle peut nous réserver une surprise, ses juges sachant que le despote ne peut plus garantir leur maintien à leurs postes. Si jamais ils restaient toujours des marionnettes entre ses mains, en validant son pacte secret avec Felix Tshisekedi, Martin Fayulu et les autres opposants devraient bien décoder le message de la communauté internationale afin d’éviter à notre peuple tant martyrisé les affres de nouvelles turbulences. En effet, la communauté internationale est consciente du pacte ci-dessus. Cependant, pour elle, cela constitue tout de même une avancée pour un pays aux élites sans boussole qui n’aura connu aucune alternative pacifique en près de six décennies d’indépendance.
Depuis que Joseph Kabila est au pouvoir, lui seul piège l’opposition et celle-ci ne l’a jamais piégé alors que les opportunités n’ont pas manqué. La coalition « Lamuka » et les autres opposants aujourd’hui trahis et déçus auront donc intérêt à ne pas tomber dans le piège du despote qui a réussi une fois de plus à diviser l’opposition. Si la communauté internationale reconnait le traître Tshisekedi comme président de la république, les opposants devraient éviter l’erreur que ce dernier avait commise en excommuniant Bruno Tshibala après que le même despote ait débauché ce dernier des rangs de l’UDPS pour en faire un premier ministre. Pour ne pas être un président fantoche, à l’instar du premier ministre fantoche Bruno Tshibala, Felix Tshisekedi aura besoin du soutien de toute la nation afin de minimiser voire de mettre un terme à la libido dominandi des élites tutsi du Rwanda et du Congo-Kinshasa. Aussi condamnable soit-elle, la trahison de Felix Tshisekedi est un moindre mal par rapport à la vassalisation du pouvoir d’Etat congolais par une republiquette voisine contre laquelle toutes les énergies devraient être mobilisées.
L’UDPS, la « fille ainée de l’opposition », jouissait d’une certaine respectabilité par rapport à la vénalité quasi-généralisée des politiciens congolais. Aujourd’hui que ce parti étale à son tour sa vénalité en trahissant ouvertement la volonté du peuple, cette situation inattendue devrait inciter les élites du pays à tirer des leçons du processus de démocratisation amorcé par le président Mobutu le 24 avril 1990. La démocratie partisane et conflictuelle a lamentablement échoué à mettre un terme au mal congolais, qui est un mal universel, à savoir la domination ou la prise en otage de l’appareil de l’Etat par un ou plusieurs individus issus de la même ethnie et/ou région. En dépit de la tenue de trois scrutins dits démocratiques en 2006, 2011 et 2018, notre Etat reste dominé par une nouvelle hégémonie, celle des Tutsi rwandais incarnée par Joseph Kabila, après celle des Ngbandi, incarnée par Mobutu Sese Seko. Telle est la première leçon.
Deuxième leçon, on ne lutte pas contre l’hégémonie ethnique en stigmatisant les membres de toute une ethnie. On ne lutte pas contre l’hégémonie ethnique en faisant la chasse aux Baluba comme on tenterait de le faire aujourd’hui chez moi à Kikwit parce que l’hégémonie tutsi incarnée par Joseph Kabila a trouvé un troisième idiot de service en la personne du Muluba Felix Tshisekedi. On lutte contre l’hégémonie ethnique en proposant des alternatives aux systèmes politiques qui la favorisent et la pérennisent, la démocratie de façade ou des singes mise en place en 2006 étant l’un d’eux.
Il est donc temps que les Congolais s’imprègnent de la seule alternative clairement articulée et disponible dans mon article publié par ce journal en ligne le 28 avril 2018 sous le titre de « Evangile démocratique selon Saint Mayoyo » (on peut accéder à cet article en rentrant son titre, sans les guillemets, dans le moteur de recherche du journal). Ce sont les rêves qui font avancer les nations. Mais encore faut-il que les élites conçoivent des idées-outils susceptiles de matérialiser les rêves. La démocratie des singes n’en est pas une.
Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo