En journalisme, une rumeur – ce bruit transmis de bouche à oreille -n’est pas considérée comme une source d’information. « Publier seulement les informations dont l’origine est connue », proclame notamment la déontologie. Quid d’un écrit anonyme rapportant des faits autant pertinents que vraisemblables? C’est le cas de deux écrits, sans date ni signature, qui circulent sur les réseaux sociaux. Ils émaneraient – le conditionnel doit être de rigueur – de deux personnes qui auraient été en contact avec Benoît Lwamba Bindu Bya Maganga, le président démissionnaire de la Cour constitutionnelle du Congo-Kinshasa.
Dans le premier écrit, on apprend que le « président honoraire » (sic!) de la Cour constitutionnelle, Benoît Lwamba Bya Maganga, tiendra une conférence de presse « dans 48 heures ». Quarante-huit heures à partir de quand? Mystère! De quoi va-t-il parler? Le ton vire aussitôt à la polémique. L’orateur voudrait « fixer l’opinion sur sa démission » et « répondre aux menaces du dénommé Joseph Kabila né Hyppolite Kanambe Kazemberere qui considère les katangais comme des traîtres », peut-on lire.
Se reportant à la lettre de démission du Président de la Cour constitutionnelle, l’auteur anonyme de ce texte souligne que cette rencontre avec la presse sera « un moment d’intenses révélations ». L’homme ne s’arrête pas là. Il cite quelques passages de la missive que Lwamba avait adressée au chef de l’Etat. Pour l’essentiel, on retiendra que ce haut magistrat commençait à craindre pour sa vie. « Si je leur annonce ma démission, ils vont me tuer. (…)« . « Ils », ce sont ses ex-camarades du Front commun pour le Congo (Fcc).
Dans le second texte, Lwamba est présenté sous les traits d’un « repenti » décidé à soulager sa conscience par des « révélations accablantes » qu’il se proposerait de faire à l’encontre des « dirigeants du régime criminel de l’Afdl au Congo et de leur autorité morale dénommé Joseph Kabila né Hippolyte Kanambe Kazemberere ».
Ici, on apprend que le Président de la Cour constitutionnelle aurait pris la résolution de rendre son tablier suite à la « guerre » aux « proportions inquiétantes » entre « Joseph Kabila » et son successeur Felix Tshisekedi Tshilombo. A en croire cette source anonyme, Benoît Lwamba qui vient de totaliser 75 ans d’âge, n’entendrait plus « servir servilement les causes injustes » du Fcc. « (…), Je ne veux pas quitter cette terre sachant que j’ai trahi mon pays juste pour les intérêts du Fcc ».
DEUX « PLANS » POUR « EN FINIR » AVEC « FATSHI »
A en croire l’auteur de ce second texte, les « dirigeants du régime criminel de l’Afdl au Congo » auraient conçu « deux plans » en vue « d’en finir » avec le président Tshisekedi « qu’ils jugent désormais très dangereux ».
D’après cette dernière source, le premier « plan » visait à « neutraliser » le numéro un Congolais via une action commando. Kalev Mutond, Delphin Kahimbi et John Numbi auraient été chargés de l’exécution de cette opération. Au moment des faits, ces derniers assumaient respectivement les fonctions d’administrateur général de l’Agence nationale de renseignement, chef d’état-major adjoint chargé des renseignements militaires et inspecteur général de l’armée nationale congolaise (Fardc). Cette action se serait soldée par un échec.
En partance pour l’Afrique du Sud, fin février dernier, le général Kahimbi sera interpellé à l’aéroport de Ndjili. Après un interrogatoire serré au Conseil national de sécurité, il est suspendu de ses fonctions. C’était le 27 février. Le lendemain, l’officier meurt dans des circonstances non élucidées à ce jour.
Le second « plan » est « judiciaire ». Il consistait en une « destitution en douceur » dans une action combinée entre le Parlement et la Cour constitutionnelle. Ici, Lwamba Bindu devait jouer le rôle de « pièce maîtresse ».
En mai dernier, l’Udps Jean-Marc Kabund, 1er vice-président de l’Assemblée nationale, est évincé de son poste pour avoir dénoncé le coût (7 millions $) de la tenue d’un Congrès réunissant les deux chambres du Parlement. L’auteur de la pétition contre Kabund, le MLC Jean-Jacques Mamba, est poursuivi pour faux et usage de faux. Des manifestants envahissent l’entrée du Palais du peuple empêchant les parlementaires de se réunir.
« PRESSIONS INSUPPORTABLES » SUR LWAMBA
Selon l’auteur de ce second texte, plusieurs « membres influents » du Fcc auraient commencé à exercer des « pressions insupportables » sur ce haut magistrat. Celui-ci est enjoint de « collaborer » en vue de la destitution du chef de l’Etat. L’article 164 de la Constitution stipule notamment que « la Cour constitutionnelle est le juge pénal du Président de la République et du Premier ministre pour des infractions politiques de haute trahison(…)« .
Dans ce second texte, on peut lire: « la menace était devenue insupportable pour moi, je ne veux pas mourir à l’instar du feu général Delphin Kahimbi ». Qui parle? Il semble que c’est Benoît Lwamba. Aussi, choisit-il « dans la discrétion la plus totale » de se mettre sous la protection du chef de l’Etat à qui il dira ces mots au cours d’une entrevue: « Monsieur le Président, acceptez ma démission et trouvez-moi un pays en Europe ». C’était, semble-t-il, le 26 juin.
D’après l’auteur du second texte, Lwamba lui aurait confié que c’est « Felix » qui avait remporté l’élection présidentielle. Et que Kalev Mutond et des gouverneurs de province avaient « jeté » les bulletins de vote « pour effacer les traces ». « Monsieur Corneille Nangaa sait très bien de quoi je parle. J’ai avec moi toutes les preuves », aurait conclu le Président de la Cour constitutionnelle dont la démission est devenue officielle le 13 juillet 2020. Ce jour-là, le Président de la République a réceptionné le « procès-verbal de prise d’acte » établi par les autres juges de cette haute cour.
Né le 19 juillet 1945, le Hemba Benoît Lwamba Bindu a joué un rôle de premier plan lors de l’investiture du très mal inconnu « Joseph Kabila », dix jours après l’assassinat de Mzee. Président de la Cour suprême, Lwamba avait pour acolyte le Lubakat Luhonge Kabinda Ngoy, alors procureur général de la République. En guise de « rétribution », Lwamba sera promu 1er président de la Cour suprême en 2003. En 2015, le voilà catapulté Président de la Cour constitutionnelle. Le magistrat était déjà admis à la retraite.
En attendant que le « Président honoraire » de la Cour constitutionnelle fixe l’opinion sur la date et le lieu de sa conférence, il incombe aux lecteurs de démêler la part de la vérité et du fantasme dans cette histoire. Une question reste sans réponse: « Kabila » et les « durs de durs » de sa mouvance ont-ils comploté pour faire « destituer » un Felix Tshisekedi devenu incontrôlable voire « très dangereux » à leurs yeux?
Baudouin Amba Wetshi