En concluant avec Joseph Kabila une alliance foulant aux pieds non seulement la volonté du peuple telle qu’exprimée dans les urnes mais aussi et surtout la loi électorale du pays, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo était obnubilé par le pouvoir et ce qu’il entraîne dans le cadre de la politique du ventre chère à l’Afrique subsaharienne: honneurs, puissance, gloire et richesse. Certes, l’homme ne manque pas d’afficher sa volonté de faire entrer son pays dans une ère de bonne gouvernance et de prospérité. Mais pas un seul instant il ne s’était aperçu du piège à con que lui tendait Kabila dans l’espoir de garder l’effectivité du pouvoir et de vite revenir aux affaires.
Le piège a bien fonctionné. Du haut de son statut de despote, Joseph Kabila a raflé tous les pouvoirs que le peuple ne voulait plus lui confier: assemblée nationale, sénat et gouvernements provinciaux, sans compter l’Administration mise en place tout au long de ses 18 années de règne qui demeure intacte une année après son départ de la présidence. Pour peser sur la formation du gouvernement central et contrecarrer toute volonté de Félix Tshisekedi de s’affranchir du marché de dupes conclu, Joseph Kabila a fait défiler les bonzes du FCC chez lui. Comme du bétail qu’on conduit à l’abattoir, ces derniers se sont engagés par écrit à rester loyaux non pas à la république mais à un individu médiocre. Du coup, alors que la Constitution laissait grandement ouverte l’option de nommer un informateur, puisqu’aucun parti politique n’avait la majorité à l’assemblée nationale, Félix Tshisekedi n’avait d’autre choix que de nommer un Premier ministre étiqueté FCC.
Aujourd’hui, le fils du Sphinx de Limete se rend enfin compte du piège dans lequel son obsession pour le pouvoir l’a précipité. Tout ce qu’il entreprend et dont les résultats peuvent contraster tant soit peu avec les actions ou l’inaction de son encombrant allié dans le même domaine insupporte celui-ci qui lui pose aussitôt des peaux de banane afin qu’il trébuche et renonce à s’engager dans la bonne direction. Joseph Kabila était fou de rage de voir Félix Tshisekedi ouvrir un chantier dans l’amélioration des conditions de vie des soldats. Pour Kabila qui piaffe d’impatience de revenir au pouvoir, il s’agit-là d’un danger qui peut rendre Tshisekedi populaire au sein de l’armée. Prévue par la Constitution mais non appliquée par l’administration Kabila, la mise en œuvre de la gratuité de l’enseignement fondamental encore brouillonne insupporte ce dernier au point que ses thuriféraires vont parfois jusqu’à lui en attribuer la paternité lors de leurs sorties médiatiques. Il en est de même des ordonnances nommant de nouveaux hauts commis de l’Etat, bloquées par la seule volonté de Kabila, et des travaux de construction des saute-moutons dans certains sites ciblés de Kinshasa ou encore des succès engrangés soudainement par les mêmes FARDC à l’Est du pays, pour ne citer que ces cas.
Parmi les peaux de banane que Kabila jette sur le chemin de Tshisekedi figure ce que l’on appelle l’indiscipline des ministres et autres hauts commis de l’Etat issus du FCC. Pour s’assurer que ces derniers ne soient pas tentés de désobéir aux ordres de leur chef de bande, celui-ci a pris soin de placer une épée de Damoclès au-dessus de la tête de chacun d’eux. Avant de devenir ministres, il leur a fait signer des lettres de démission sur lesquelles il ne reste qu’à apposer la date et les envoyer au premier ministre à la moindre velléité d’indépendance menaçant ses intérêts personnels. Concernant par exemple les factures relatives au programme d’urgence de 100 jours du président Félix Tshisekedi qui se chiffreraient aux alentours de 500 millions de dollars, Kabila a intimé l’ordre au ministre des Finances de ne pas les honorer contrairement aux appels pressants de Tshisekedi. Certes, dans un rapport publié mercredi 8 janvier dernier, l’Observatoire de la dépense publique (ODEP) indique que [ce programme] a été géré en violation de la loi cadre régissant les finances publiques. L’Observatoire, qui sort ainsi de sa léthargie tout au long de la dictature de Joseph Kabila, « cite notamment des cas de surfacturation ou encore d’opacité dans le processus de passation de marché ». Cela est vrai. Mais la raison de la guerre de Kabila, qui ne s’offusquait pas de telles pratiques, se situe ailleurs. Avec des tels marchés, grande est la possibilité que plus ou moins 200 millions de dollars du montant total reviennent aux décideurs (Tshisekedi et Kamerhe); ce qui leur permettrait de se constituer un trésor de guerre en prévision non seulement de prochaines élections générales mais aussi de l’achat des consciences des uns et des autres; ce qui était et reste la marque de fabrique de la « Kabilie ».
Comme on l’aura constaté, la coalition FCC-CACH n’a de coalition gouvernementale que le nom. Il s’agit en réalité d’un piège permettant à un individu, Joseph Kabila, sa fratrie et sa clientèle de continuer à prendre en otage le destin de tout un peuple. Si la guerre de tranchées actuelle se poursuit, on peut affirmer que Tshisekedi a déjà échoué. Dès lors, une question s’impose: faut-il sauver le soldat Tshilombo? Avant de répondre à cette interrogation, il convient de souligner une supercherie née du régime Kabila. Quand l’homme politique congolais veut se prostituer en matérialisant le diktat de ce dernier au détriment de l’intérêt général, la justification reste toujours la même: éviter la guerre. Kamerhe a trahi l’Accord de la Saint Sylvestre en inoculant cette peur au peuple. En acceptant l’inacceptable, c’est-à-dire le deal lui proposé par Kabila, Tshisekedi a également joué sur cette peur. Quand les ténors de la « Kabilie » vantent la nécessité du tandem FCC-CACH, ils agitent également l’épouvantail de la guerre. Mais personne n’explique qui ferait la guerre et surtout pourquoi. Tout se passe comme si quand on ne fait pas la volonté de Kabila, il faut que la guerre éclate. On va jusqu’à oublier que compte tenu de la nature imprévisible de l’issue de toute guerre, Joseph Kabila pourrait bien laisser sa peau dans un feu qu’il allumerait.
Au sein du FCC, Tshisekedi n’a donc que des alliés aux faux sourires. Dans CACH se cache un caméléon plus proche du FCC, se chuchote-t-on dans certaines allées de la présidence. Faut-il sauver le soldat Tshilombo ou attendre qu’il soit rattrapé par sa trahison? Une chose est certaine. La volonté de Tshilombo de réduire tant soit peu la misère de l’homme congolais ne fait l’ombre d’aucun doute. Rien que pour cela, il faut absolument le sauver. Le sauver, en sabordant la coalition FCC-CACH. Il est vrai que la présidente de l’Assemblée nationale Jeanine Mabunda a déjà brandi la menace de destituer Félix Tshisekedi pour haute trahison si jamais il dissolvait ladite assemblée sans qu’il n’y ait une crise persistante entre l’exécutif et le législatif. La même Jeanine Mabunda qui ne trouvait rien à dire en tant que cadre du PPRD quand Kabila violait systématiquement la même Constitution. Face à l’éventualité d’une destitution, il serait tentant de s’inspirer de l’administration Kabila qui a appris aux Congolais jusqu’où pouvait aller le banditisme d’Etat. Qu’on se souvienne des militants du PALU qui pour sauver le pouvoir de leur champion, le Premier ministre Adolphe Muzito, avaient tout bonnement perturbé les travaux de l’Assemblée nationale. Un tel exploit, les militants de l’UDPS désormais surnommés « Talibans » le réussiraient aisément. Mais on peut faire mieux et de manière plus civilisée que la « Kabilie ».
En Afrique, la formation du gouvernement ne repose pas sur un accord sur un programme à exécuter ensemble. Les partis ayant des idéologies suspendues en l’air et la politique du ventre aidant, le président de république, qu’il soit bien ou mal élu, invite des présidents des partis au festin du pouvoir et le tour est joué. Cela signifie que dans le contexte de l’immobilisme actuel au Congo-Kinshasa, la dissolution de l’Assemblée nationale n’est pas la seule alternative possible. La recherche d’une nouvelle majorité au sein de celle-ci, suivie de la démission du gouvernement et de la nomination d’un autre premier ministre, reste une option envisageable. Mais il y a des préalables à cela. Félix Tshisekedi devrait d’abord s’employer à panser les plaies au sein de Lamuka afin de travailler demain avec ses anciens alliés. Dans l’intérêt de la nation, ces derniers devraient transcender leurs rancœurs et saisir la main tendue du président de la république. Au sein du FCC sommeillent des déçus des oukases de Kabila dans la distribution du pouvoir et donc de la richesse. Tshisekedi devrait les identifier, les approcher et les persuader du bien-fondé de la sortie de l’immobilisme. Pour atteindre ces deux objectifs, il devrait soigner son langage qui n’est pas encore à la hauteur d’un homme d’Etat ainsi que la communication de la présidence laissée à l’UNC lors des négociations avec l’UDPS.
Le pays est à la croisée des chemins. On doit choisir entre l’immobilisme actuel et l’action, c’est-à-dire l’éradication de la grande capacité de nuisance de Joseph Kabila. L’immobilisme semble encore avoir de beaux jours. Aujourd’hui, par exemple, l’idée d’un troc a déjà vu le jour au sein du FCC. Ce conglomérat d’aventuriers serait prêt à exécuter les ordonnances querellées du chef de l’Etat tout en honorant les factures relatives aux travaux du programme de 100 jours. En contrepartie, CACH laisserait libre de tout mouvement Albert Yuma Mulimbi, l’influent patron de la Gécamines frappé d’une injonction judiciaire de ne pas quitter le territoire national depuis le 20 décembre 2019, sur fond d’un scandale de 200 millions de dollars. Il convient de noter ici que la communauté internationale considère ce dernier comme le pivot du système mafieux mis en place par Joseph Kabila.
Les animaux politiques congolais et les diverses associations œuvrant pour l’émergence de la bonne gouvernance devraient comprendre qu’en cas de duel frontal entre Tshisekedi et Kabila, aucune puissance mondiale ne se rangerait derrière ce dernier dont la médiocrité et le haut niveau de prédation ne sont plus à démontrer. Ils devraient également comprendre que si Tshisekedi gagnait seul le combat qui l’oppose à son encombrant prédécesseur, grande serait la probabilité de l’instauration d’une nouvelle hégémonie ethnique. Contraint de mieux assurer sa sécurité dans le contexte difficile ci-dessus, Tshisekedi est déjà en train de mettre en œuvre sa garde républicaine à lui. En dehors de tout contrôle des représentants du peuple. Comme ce fut le cas sous Mobutu et les Kabila. N’est-ce pas ainsi que se fabrique les tyrans en Afrique sub-saharienne? A moins de disposer d’un autre plan plus opérationnel et bénéfique pour le peuple, sauver le soldat Tshilombo va de l’intérêt et du devoir de la nation entière. Rester à l’écart comme spectateur dans l’espoir de se réjouir de la chute de Tshisekedi parce qu’il aura accepté que le despote Kabila vole pour lui la victoire électorale d’un autre équivaudrait à apporter de l’eau au moulin du despote.
Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo