Fatshi-Kagame à Luanda: Chronique annoncée d’un « dialogue de sourd »!

Le président Felix Tshisekedi Tshilombo et son homologue rwandais Paul Kagame sont arrivés mardi 5 juillet dans la capitale angolaise. Dans une semaine, les combattants du M23, soutenus par l’armée rwandaise (RDF) auront totalisé un mois d’occupation de l’important poste-frontière de Bunagana dans la province du Nord-Kivu. Cette question sera au centre des discussions – négociations? – prévues ce mercredi 6 sous la médiation du président angolais Joao Lourenço, mandaté par l’Union africaine. Des observateurs avertis s’attendent à un dialogue de sourd. Preuve s’il en était que la diplomatie seule ne suffit pas. La diplomatie doit s’appuyer sur la force. A la lumière des opinions exprimées ici et là, la grande majorité de Congolais ne « tremble plus » devant Kagame. Un Kagame qui compte encore sur une « clientèle congolaise » incarnée notamment par « Joseph Kabila » et ses cauditaires. Les réseaux sociaux sont édifiants.

« (…), notre pays fait face à une énième agression de la part du Rwanda, qui agit sous couvert du mouvement terroriste M23 et ce, en violation de tous les accords et traités internationaux. (…), notre option pour la paix et notre sens de relations de bon voisinage ne constituent pas une faiblesse. (…), je réaffirme qu’aucun cahier de charges portant sur l’intégration automatique dans les forces de sécurité ou sur les demandes d’amnistie pour des crimes imprescriptibles ne sera acceptée ». Ces passages sont tirés de l’allocution prononcée, jeudi 30 juin, par le président Felix Tshisekedi Tshilombo, à l’occasion de la commémoration du 62ème anniversaire de la proclamation de l’indépendance du Congo.

Paul Kagame, Président du Rwanda

Dans une interview qu’il a accordée, lundi 4 juillet, à RBA (Rwanda Broadcasting Agency), le président rwandais Paul Kagame a déclaré notamment que la crise sécuritaire qui prévaut dans l’Est du Congo-Kinshasa « ne peuvent être résolus par la force des armées. Ils nécessitent des solutions politiques ». Il ne s’est pas arrêté là: « Il y a un gros problème ici, si vous ne répondez pas aux préoccupations de sécurité du Rwanda, vous avez un problème entre les mains. (…). La décision de Kinshasa de ne pas dialoguer avec le M23 dans le cadre du processus de Nairobi est une excuse pour ne pas poursuivre le processus politique ».

Les propos du président Kagame dégagent un certain dédain. Un mépris. Depuis 1996, cet homme belliqueux use du prétexte sécuritaire pour piller les ressources congolaises. Ce sont les deux thèses qui vont s’affronter ce mercredi 6 juillet sous la « médiation » du chef de l’Etat angolais Joao Lourenço. Par définition, le médiateur a pour mission d’aider les parties à un différend ou litige à trouver un accord à l’amiable. Un « accord à l’amiable » signifierait se plier au chantage. Un accord à l’amiable parait inacceptable à la lumière des prétentions articulées par Paul Kagame dans son entretien à RBA.

Dans un communiqué publié mardi 5 juillet, le porte-parole de la prétendue « armée révolutionnaire » du M23, a annoncé que la direction politique de ce mouvement « soutient la rencontre des chefs d’Etat (…) à Luanda, (…) pourvu qu’elle soit en mesure de répondre valablement à nos préoccupations légitimes ». Ces préoccupations légitimes ont été claironnées successivement par le RCD-Goma, le CNDP et maintenant le M23. Ces trois organisations servent de « cache sexe » pour dissimuler la convoitise et les velléités expansionnistes du maître de Kigali.

Paul Kagame plaide pour un « dialogue direct » entre le gouvernement congolais et les combattants du M23. Il prétend que les exilés Hutus qualifiés collectivement de « génocidaires » et membres des FDLR menaceraient la sécurité de son pays. Question: A quand un « dialogue direct » entre le régime des Inkotanyi et les FDLR? A quand un « dialogue inter rwandais » au Rwanda?

QUE VEUT PAUL KAGAME?

De 1962 à 1994, le Congo-Zaïre et le Rwanda tant de Grégoire Kayibanda que de Juvénal Habyarimana ont entretenu des relations d’une cordialité exemplaire. Les différends étaient résolus par le dialogue. La souveraineté nationale de l’un était respectée par l’autre. Il en est de même de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Les membres de la communauté Tutsi étaient parfaitement intégrés. Cette intégration a commencé à présenter des fissures dès l’arrivée au pourvoir à Kigali par le Front patriotique rwandais. Les nouveaux dirigeants du pays ont inoculé aux Zaïro-Congolais une certaine antipathie.

Le régime de Paul Kagame posera plusieurs actes inamicaux et pleins de dédain en « débauchant », de manière autoritaire, des fonctionnaires Zaïrois issus de la communauté tutsie. A titre d’illustratif, on pourrait citer notamment le cas de Manzi Bakoramutsa, représentant du PNUD au Mali, porteur d’un passeport diplomatique zaïrois, nommé représentant permanent du Rwanda des « Inkotanyi » aux Nations Unies à New York avant d’assumer les fonctions d’ambassadeur auprès du Royaume de Belgique. A Bruxelles, « Manzi » sera plus tard remplacer par le Kinois Emmanuel Kayetani, un ancien cadre de la société Safricas. On pourra citer également le cas de Jean Mutshinzi, fonctionnaire à la CEA (Communauté économique pour l’Afrique) à Addis Abeba. Il sera promu président de la Cour suprême du Rwanda en emportant avec lui le passeport diplomatique zaïrois.

Après ces actes dignes d’une « piraterie administrative », Paul Kagame va multiplié des actes de défiance vis-à-vis du Zaïre. On pourrait épingler l’arraisonnement à Cyangungu d’un aéronef de la compagnie aérienne Air Zaïre. Et ce sous prétexte que cet appareil transportait des armes pour les ex-Forces armées rwandaises. Il n’en était rien. Fin octobre 1996, Pasteur Bizimungu va faire son pitoyable numéro en exigeant la tenue d’un « Congrès de Berlin II ». But: retracer les frontières héritées de la colonisation.

Mzee LD Kabila et la légion « banyamulenge »

Depuis le lancement de la guerre de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre), dite « guerre des Banyamulenge », ayant abouti à l’installation de Laurent-Désiré Kabila à la tête du pays le 17 mai 1997, Paul Kagame – dont l’armée a joué un rôle de premier plan – dissimule à peine un dédain certain à l’égard des Congolais. Pire, il considère l’ex-Zaïre comme une « prise de guerre ». Plus personne n’est dupe au niveau de la communauté internationale. L’argument sécuritaire invoqué par Kagame est un colossal mensonge. D’ailleurs, l’homme ment de manière effrontée.

Le 13 février 2001, Aldo Ajello, alors représentant spécial de l’UE dans les Grands Lacs, déclarait ces mots au quotidien bruxellois « Le Soir »: « Certains sont convaincus de ce que l’exigence de sécurité mise en avant par le Rwanda n’est que du bluff que ce qui intéresse réellement Kigali, c’est d’exploiter les ressources du Congo et de s’étendre territorialement ».

Ancien représentant permanent de la France à l’ONU à New York, Jean-Marc de La Sablière abonde dans le même sens: es membres du Conseil [de sécurité] n’étaient pas dupes des pillages rwandais et de ses manœuvres dans l’Est de la RDC pour contrôler une partie du Kivu par supplétifs interposés ». Le diplomate d’ajouter: « Il [Kagame] acceptait mal également qu’on lui dise que les Forces démocratiques de libération du Rwanda, les FDLR, héritières des génocidaires, étaient devenues davantage un problème pour les populations congolaises que pour le Rwanda qui n’avaient rien à en redouter ». (Voir Jean-Marc de La Sablière, Dans les Coulisses du Monde, Du Rwanda à la guerre d’Irak…, Paris, 2013, éd. Robert Laffont, p. 110)

« L’homme et l’Etat sont fondamentalement agressifs et ne peuvent être dissuadés que par l’agressivité des autres ou par un système d’équilibre de forces », assurent les professeurs P.-F. Gonidec et R. Charvin dans leur ouvrage collectif « Relations Internationales », Paris, 1981, Edition Montchrétien.

A quelques heures des discussions Fatshi-Kagame, la ville de Bunagana est toujours sous occupation de M23. L’opinion congolaise est vent debout. Elle sait que l’objectif final de Kagame est de piller les ressources de la RDC tout en infiltrant, une fois de plus, ses agents dans les forces congolaises de sécurité. Le président Felix Tshisekedi va-t-il se faire hara-kiri en courbant l’échine devant le despote rwandais?

C’est l’occasion de signifier à Kagame, comme l’a dit le professeur Ntumba Luaba que « les FDLR et les Interahamwe est une question rwando-rwandaise ». Le chef de l’Etat angolais pourrait arbitrer, ce mercredi 6 juillet 2022, un vrai « dialogue de sourd ».


Baudouin Amba Wetshi

Happy
Happy
0 %
Sad
Sad
0 %
Excited
Excited
0 %
Sleepy
Sleepy
0 %
Angry
Angry
0 %
Surprise
Surprise
0 %