Fatshi-«Kabila» : la lutte finale ?

«Kabila» va parler. Pour dire quoi ? Réputé pour son mutisme durant ses dix-huit années de pouvoir autocratique, l’ancien président congolais a, semble-t-il, appris à exercer le ministère de la parole. Non sans commettre des bourdes. La dernière bourde en date est sans conteste l’annonce de son arrivée, le vendredi 18 avril à Goma, ville occupée par le M23/RDF. Un bémol: la nouvelle n’a pas été annoncée par une voix autorisée du PPRD/FCC. Reste que l’annonce a été prise pour un aveu ? L’ex-raïs est soupçonné d’être de collusion avec Paul Kagame. Au moment de boucler les lignes qui suivent, il semble que «Kabila» n’a jamais quitté la Namibie où il réside pour Goma.

Dans un communiqué officiel daté du samedi 19 avril, le ministre de l’Intérieur, sécurité, décentralisation et affaires coutumières, annonce la suspension des activités du parti politique PPRD (Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie), « sur toute l’étendue du territoire national ». Jacquemin Shabani Lukoo (UDPS) invoque, à l’appui de cette décision, les articles 29, 30 et 31b de la loi n°04/002 du 15 mars 2004 portant organisation et fonctionnement des partis politiques.

Que reproche-t-on à cette formation politique qui a fait la pluie et le beau temps de 2002 – année de sa création en marge du dialogue intercongolais de Sun City – à 2020 lors de l’éclatement de la coalition FCC-CACH ?

Le ministre de l’Intérieur pointe du doigt « l’activisme de l’autorité morale du PPRD dans cette guerre d’agression rwandaise » ?  Il énumère deux griefs. D’abord, « l’attitude ambigüe » de « Monsieur Kabila ». Au motif qu’il n’a jamais « condamné l’agression rwandaise». Ensuite, le point d’entrer choisi par l’ancien Président en l’occurrence la ville de Goma « sous contrôle de l’ennemi qui assure curieusement sa sécurité ». Etrangement, il n’ y a à ce jour ni photo ni vidéo.

Que dit la loi ?

Les sympathisants de l’ex-raïs agitent, pour sa défense, l’article 30 de la Constitution : « Toute personne qui se trouve sur le territoire national a le droit d’y circuler  librement, d’y fixer sa résidence, de le quitter et d’y revenir, (…). Aucun Congolais ne peut être contraint à l’exil, ni être forcé à habiter hors de sa résidence habituelle ».

Une source proche de l’Union sacrée, de rétorquer en invoquant l’alinéa 2 de l’article 52 de l’actuelle charte fondamentale : « Aucun individu ou groupe d’individus ne peut utiliser une portion du territoire national comme base de départ d’activités subversives ou terroristes contre l’Etat congolais ou tout autre Etat ». Qui a raison ? Qui a tort ?  

Jacquemin Shabani reste imperturbable. Pour lui, l’ancien chef de l’Etat a enfreint notamment l’article 5 de la Loi portant statut des anciens Présidents de la République. Il s’agit de « l’obligation de réserve » laquelle renvoie à « un devoir particulier de loyalisme » tant à l’égard de l’Etat que des autorités publiques. Le ministre de l’Intérieur a promis de saisir le procureur général près la Cour Constitutionnelle à ce sujet.

Le même samedi 19 avril, le ministre de la Justice, Constant Mutamba Tungunga, parle de « haute trahison ». On apprend qu’il a instruit l’auditeur général des FARDC et le procureur général près la Cour de Cassation d’engager des poursuites contre « Monsieur Joseph Kabila Kabange et ses complices » pour « leur participation directe à l’agression menée par le Rwanda à travers le mouvement terroriste AFC/M23 ». En attendant, le ministre de la Justice a requis la saisie de l’ensemble de biens meubles et immobiliers. Les personnes suspectées pourraient subir des restrictions au niveau de la liberté locomotrice. Les juristes vont s’empoigner.

« Kabila » ou Mtwale ?

Né et grandi à l’étranger, «.. Joseph Kabila » a foulé le sol du pays qui s’appelait encore Zaïre en octobre 1996, soit à l’âge de 25 ans. C’était lors de la création de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre). « Joseph » appelé également « commandant Hyppo » était l’aide de camp de James Kabarebe, alors colonel et chef des troupes rwandaises déployées sur le sol zaïrois. Après l’assassinat non-élucidé à ce jour du président Laurent-Désiré Kabila, le fils putatif s’est emparé du fauteuil laissé vacant.

Dans une interview accordée à l’hebdomadaire «Jeune Afrique» n°2115 en juillet 2001, « Kabila » a eu ces mots : « Nous l’avons[Mobutu] combattu les armes à la main en prenant des risques pour nos vies ». Comment ne pas considérer la RDC comme un butin de guerre ? Le comportement du président rwandais Paul Kagame en témoigne. En trois décennies, le maître de Kigali a monté de toute pièce des «rébellions congolaises» nées à Kigali. Outre l’AFDL, il y a le RCD, le CNDP et le M23. Une campagne de déstabilisation destinée à camoufler la razzia.

Le politologue congolais Célestin Kabuya-Lumuna Sando est le premier à prendre le risque d’esquisser la « biographie » du successeur de Mzee. Dans son ouvrage « Histoire du CongoLes quatre premiers présidents », paru en février 2002 aux éditions Secco & Cedi,  l’auteur présente le CV du nouveau chef de l’Etat. Le document s’articule sur quatre paragraphes. Un détail attire l’attention. On apprend qu’avant d’adopter le patronyme « Joseph Kabila », l’homme s’appelait Kabange, Mtwale, Hyppolite. Et ce « pour raisons de sécurité ».

Kabila est toujours en Namibie

Lors de la première apparition du M23 en mai 2012, « Kabila » est resté muet. Ce n’est qu’au bout de trois mois qu’il a jugera utile de convoquer un semblant de point de presse. « Nous avons perdu des batailles et non la guerre », dit-il devant quelques journalistes triés sur le volet. « Le M23, c’est Kagame ! », dira plusieurs années après Jean-Pierre Kambila, ancien conseiller diplomatique de l’ex-raïs. Plusieurs semaines après, son corps sans vie sera retrouvé dans une chambre d’hôtel à Kinshasa.

En faisant annonçer son entrée en RDC par Goma via le Rwanda, l’ex-raïs s’est livré à un aveu implicite. L’aveu de sa collusion avec Kagame. La crise prend désormais l’allure d’une « lutte finale » entre le président Felix Tshisekedi et le duo « Kabila »-Kagame.

Au moment de boucler ces lignes, une source rapporte, en citant les autorités namibiennes, que « Kabila » n’a pas quitté la Namibie. Bref, il ne s’est jamais rendu à Goma. On espère que les ministres Shabani et Mutamba n’ont pas agi dans la précipitation. « Tout ce qui se fait sans le temps ne résiste pas au temps« , a pu dire un philosophe.

B.A.W.

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