Le journaliste congolais Jacques Matand, victime d’un licenciement abusif de la chaîne britannique BBC à Dakar, depuis le 10 février dernier où il était en poste, n’a encore bénéficié d’aucun grand soutien à Kinshasa. Seul le ministre des Droits humains, André Lite Asebea s’est exprimé sur ce sujet jugeant cette affaire regrettable.
Jacques Matand a été évincé de son poste à la BBC pour avoir réalisé une interview avec le politologue et écrivain, Charles Onana, auteur de plusieurs livres sur la guerre qui sévit en République Démocratique du Congo (RDC) et sur le rôle des troupes rwandaises dans la déstabilisation et le pillage des ressources naturelles en RDC. Son dernier livre: « Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise » publié à Paris aux éditions l’Artilleur est la cause du licenciement de Jacques Matand suite aux fortes pressions du gouvernement rwandais sur la chaîne britannique. Dans la lettre adressée à Jacques Matand pour lui signifier son licenciement, Anne Look, la rédactrice en chef de la BBC-Afrique dit explicitement que « le gouvernement rwandais a accusé la BBC d’avoir été injuste, biaisée et inexacte et a indiqué qu’il se réservait le droit de prendre des sanctions contre la BBC ».
Toutefois, l’interview réalisée par Jacques Matand est non seulement conforme aux règles de déontologie professionnelles mais elle respecte tous les standards habituels du journalisme de radiodiffusion. C’est d’ailleurs pour cela que la BBC a diffusé cette interview le 20 novembre 2019 dans ses grandes éditions du journal parlé avant de la rediffusée en version longue dans la rubrique invité de la semaine les 23 et 24 novembre. Elle sera en outre définitivement mise en ligne par la BBC elle-même.
Dans la lettre de la rédactrice en chef à Jacques Matand, Anne Look demande « les preuves » détenues par Charles Onana pour corroborer les accusations qu’il a faites pendant l’interview.
Ce serait donc, d’après elle, les pressions du gouvernement du Rwanda qui ont poussé la BBC à limoger le journaliste congolais. Le livre de Charles Onana est un ouvrage scientifique fondé sur une analyse rigoureuse des faits et puisant dans les archives de la présidence de la république française, celles de la Maison Blanche et du Conseil de sécurité de l’ONU. Au passage, le gouvernement rwandais n’a pas osé jusqu’ici attaquer l’ouvrage incriminé. Le Syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (SYNPICS) a dénoncé le licenciement de Jacques Matand, considérant qu’il ne respectait ni la liberté de la presse ni la législation du Sénégal. La Fédération Internationale des Journalistes (FIJ) a jugé « inacceptable pour tout organe de presse de licencier un journaliste sous prétexte qu’un gouvernement aurait exercé des pressions sur leur émission ».
Quant à Reporters Sans Frontières (RSF), le licenciement de Jacques Matand est une « sanction disproportionnée » qui contribue à « terroriser les journalistes qui travaillent sur ce sujet sensible » qu’est la tragédie du Rwanda. RSF ajoute qu’elle « traduit aussi une dangereuse exportation de la politique de répression et d’intimidation contre le journalisme indépendant menée par les autorités rwandaises ».
Devant ce tollé général de Dakar en Europe, la classe politique congolaise reste étrangement silencieuse. C’est pourtant un fils du Congo, professionnel respecté, qui a fait un travail digne et honorable en interrogeant Charles Onana, un spécialiste, lui aussi respecté, de la tragédie que vit la République Démocratique du Congo depuis deux décennies. De quoi les dirigeants congolais, les élus et autres militants politiques ont-ils peur? Craignent-ils la BBC? Le Rwanda? Ou les deux? Trouvent-ils logique qu’un compatriote qui fait honneur à la nation soit victime d’une injustice dénoncée par toutes les organisations prestigieuses pendant que les représentants de de la RDC et autres militants politiques détournent le regard? Quelle image et quel message la classe politique congolaise envoie-t-elle au monde dans cette affaire? Jacques Matand sera défendu par la société civile congolaise, par des Africains, des Occidentaux et tous ceux qui sont favorables à la liberté de la presse, au droit du public à l’information et par tous ceux qui n’ont ni peur du Rwanda ni peur de la BBC.
Patrick Mbeko
Journaliste freelance et chercheur
Auteur de plusieurs ouvrages sur les conflits armés en Afrique