Quarante-huit heures après l’allocution présidentielle à la nation du mardi 4 mai proclamant l’état de siège au Nord-Kivu et en Ituri, l’heure est venue de prendre la « température » de l’opinion à travers les réactions. Une certaine ambiance « d’union nationale » semble prévaloir autour de l’option levée par le président Felix Tshisekedi. Sans surprise, la plateforme « Lamuka » du duo Fayulu-Muzito a choisi d’afficher sa différence.
Mercredi 4 mai, une controverse est née après la divulgation des identités des nouvelles autorités chargées d’administrer les deux Régions concernées par l’état de siège. Le lieutenant-général Constant Ndima Kongba est nommé gouverneur militaire de l’Ituri. Il sera assisté par le commissaire divisionnaire de police Romuald Ekuka Lipopo. Au Nord-Kivu, la fonction de gouverneur revient au lieutenant-général Johnny Luboya Nkashama. Il a comme adjoint Benjamin Alongaboni Bangadiso, commissaire divisionnaire de police.
Radio France Internationale a été la première « à dégainer » en rapportant que les deux nouveaux chefs de ces exécutifs provinciaux sont issus des anciens mouvements rebelles respectivement du MLC de Jean-Pierre Bemba et du RCD-Goma. « Constant Ndima est cité dans un rapport des Nations Unies dans l’opération effacer le tableau », dit-on. Johnny Luboya Nkashama, lui, porte sur ses épaules les crimes imputés aux « amis » d’Azarias Ruberwa.
Dans cette polémique, on semble passer par pertes et profits le principe sacro-saint de la présomption d’innocence. Un rapport rédigé par des experts des Nations Unies reste un rapport. Il n’a pas valeur d’une décision juridictionnelle. Cette clameur populaire est apparemment battue en brèche par la « cohésion nationale » ambiante.
« FAIRE TAIRE LES QUERELLES PARTISANES »
Les anciens présidents des chambres du Parlement (Sénat/Assemblée nationale) ont créé, mercredi, l’événement en se constituant en un « Collectif ». Lieu choisi: l’hémicycle du Palais du peuple. Dans une déclaration lue par Thomas Lohaka Losendjola, ils ont encouragé « toute la communauté nationale à considérer la situation à l’Est non plus comme une priorité mais comme une urgence ». Le « collectif » exhorte le chef de l’Etat et le gouvernement à « prendre toutes mesures nécessaires et efficaces pour y mettre fin définitivement ».
Mine grave, les signataires de ladite déclaration (Evariste Boshab, Olivier Kamitatu, Léon Kengo wa Dondo, Thomas Lohaka, Aubin Minaku, le cardinal Laurent Monsengwo Pasinya, Philomène Omatuku et Alexis Thambwe Mwamba) ne se sont pas arrêtés en si bon chemin. Et ce en dépit de leur appartenance à des chapelles politiques peu habituées à regarder dans la même direction. Ils ont, à la surprise générale, invité l’ensemble du personnel politique à « faire taire les querelles partisanes et de se surpasser pour construire un consensus autour de la question sécuritaire à l’Est ». Seront-ils entendus? C’est à voir.
Qui a eu l’idée lumineuse de cette « association momentanée » des anciens Présidents des chambres du Parlement? L’histoire ne le dit pas encore. Une certitude: il y a une prise de conscience que trop c’est trop avec toutes ces images atroces diffusées sur les réseaux sociaux. Une certitude également: la simple détermination au niveau du verbe ne suffira pas à « pacifier » le Nord-Kivu et l’Ituri. Il faudra une prise en compte effective du « moral » des hommes déployés sur le terrain. Sans omettre, comme a pu dire l’ancien ministre Antipas Mbusa Nyamwisi, que « les ennemis sont parmi nous ». Les FARDC sont infiltrées par des éléments étrangers venus essentiellement du Rwanda.
Revenons au « Collectif » des Présidents des chambres du Parlement. Combien de temps pourrait durer cette « union des cœurs et des esprits »? Nul ne le sait. Plusieurs observateurs exhortent le chef de l’Etat à « discipliner » le duo Kabund-Kabuya. « Jean-Marc Kabund et Augustin Kabuya devraient s’abstenir des déclarations à l’emporte-pièce en ce temps d’union nationale. Les attitudes étant contagieuses, les combattants se garderont d’injurier les adversaires de l’UDPS. Les meilleurs ennemis de Felix Tshisekedi se trouvent dans son propre parti ». C’est en résumé, les avis récoltés dans la soirée de mercredi 5 mai par l’auteur de ces lignes. Il faut une « trêve générale ». Les réactions fusent.
LES REACTIONS
Sur son compte Twitter, Carbone Beni, activiste bien connu de la société civile écrit: « (…). On n’a jamais tenté l’état de siège, je ne vois pas pourquoi on devrait s’y opposer ». Dans un autre Tweet, il note qu’ « il ne sert à rien de s’attarder sur le débat d’identification des personnalités militaires et politiques impliquées dans différentes rébellions, ce serait presque 70%. Ce n’est pas le passé qui compte vraiment, mais plutôt c’est ce dont on est capable de faire aujourd’hui ».
Dans un communiqué daté du 5 mai 2021, l’association de défense des droits humains « La Voix des Sans Voix pour les droits de l’Homme » qualifie la proclamation de l’état de siège dans les Régions précitées comme une « décision salutaire ». Selon elle, « il est temps que l’Etat congolais s’assume pour un réel rétablissement de l’autorité de l’Etat à l’Est du pays afin de permettre à toutes celles et à tous ceux qui vivent dans cette partie de la RD Congo de vivre dans la paix et la sécurité ».
Lucide, la « VSV » invite la population de l’Ituri et du Nord-Kivu « à une vigilance tous azimuts sur le respect strict des droits humains par tous y compris les autorités militaires elles-mêmes ». L’association invite également les populations de ces deux provinces à prêter main forte aux officiers militaires et de la police nommés par le chef de l’Etat.
La plateforme politique « Lamuka » du duo Fayulu-Muzito qualifie, pour sa part, l’état de siège décrété par le Président de la République « d’amateurisme ». Au motif que cette mesure a pour effet de restreindre les droits et libertés. Question: devrait-on parler d’ignorance ou de mauvaise foi? Martin Fayulu et Adolphe Muzito ignorent-ils que les restrictions des droits et libertés sont des conséquences classiques en cas d’instauration de l’état de siège ou de l’état d’urgence?
Comme on peut le voir, le président Felix Tshisekedi Tshilombo est en passe de gagner la bataille de l’opinion. Il lui reste à remporter la « guerre » face aux insaisissables bandes armées qui sèment la terreur et répandent la mort dans cette partie du pays. Ici, la rhétorique seule ne suffira pas…
B.A.W.