Institution permanente d’appui à la démocratie, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a démontré dimanche 30 décembre 2018 qu’elle avait encore besoin de « rodage » pour organiser des élections dignes des standards internationaux. Rarement, le désordre n’a été si bien organisé. Dimanche soir, quatre mots revenaient sans cesse pour décrire les opérations électorales aux quatre coins du Congo (mal nommé) démocratique: couacs, dysfonctionnements, fraudes, irrégularités. La liste est loin d’être exhaustive. Dans l’interview qu’il avait accordée au quotidien « Le Soir » daté du 1er décembre dernier, « Joseph Kabila » fanfaronnait en promettant « les meilleures élections que ce pays aura connues depuis 1959 ». La tentation est forte d’emprunter le titre du magazine cher à Eliezer Ntambwe: « Tokomi wapi? » Quid du résultat?
Selon divers témoignages, les opérations de vote se sont déroulées dans un « calme relatif ». La très officielle Agence congolaise de presse semblait pousser un « cocorico » en égrenant les contrées où le vote se serait passé « normalement et dans le calme ». Et que les bureaux de vote étaient ouverts dès 6h00. D’autres, entre 7h00 et 8h00. Citons quelques-uns: Kinshasa, Matadi (Kongo central), Lubumbashi (Haut Katanga), Kananga (Kasaï central), Lodja (Sankuru), Kamina (Haut Lomami), Kalemie (Tanganyika), Mbandaka (Equateur).
Intervenant, dimanche, sur le média d’Etat « RTNC » (Radio-télévision nationale congolaise), Corneille Nangaa est resté égal à lui-même toujours obnubilé par ses certitudes. « Les machines à voter ont bien fonctionné », a déclaré le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni).
L’enthousiasme manifesté par Nangaa et l’ACP est tempéré par des médias internationaux grâce auxquels on a pu apprendre que certains bureaux de vote n’ont ouvert leurs portes que vers 14h00 au lieu de 6h00. D’autres, carrément à 17h30. Les listes électorales étaient incomplètes. Pire, des machines à voter ont connu des pannes de batteries. A Inongo, la machine à voter ne reconnaissait, semble-t-il, qu’un seul candidat à la présidentielle. Il s’agit de celui du FCC (Front commun pour le Congo), Emmanuel Ramazani Shadary.
LE CHANGEMENT
A Kinshasa, tout comme dans l’arrière-pays, les Congolais étaient venus en masse pour voter. Signe si besoin en était que la grande majorité des peuples de ce pays voudrait en finir avec dix-huit années cauchemardesques. « Nous voulons que la gouvernance de ce pays change », tonnait une électrice.
Les principaux candidats à la présidentielle en l’occurrence Martin Fayulu Madidi, Emmanuel Ramazani Shadary et Felix Tshisekedi Tshilombo ont accompli très tôt leur devoir. « A nous la victoire », s’est exclamé le candidat de la coalition politique « Cach » qui a, par ailleurs, déploré le « désordre organisé ». « C’est un grand jour pour moi. C’est un grand jour pour le Congo », a dit, pour sa part, le candidat de la coalition « Lamuka ». « Nous allons mettre fin à la dictature. Nous allons faire de ce pays quelque chose que vous n’allez pas reconnaître », a-t-il ajouté.
« Dauphin » du président hors mandat, Ramazani Shadary qui a bénéficié des moyens tant humains que matériels de l’Etat avait , comme à son habitude, l’air d’un étudiant qui sort d’un examen dont il connaissait à l’avance les questions et les réponses. « Je crois que la victoire est de mon côté. Dès ce soir, je serai déjà le nouveau Président », a-t-il proclamé. Un avis qui est loin d’être partagé dans les milieux de l’opposition. Ici, la conviction est forte que le « sprint final » se passerait entre « Fatshi » et « Mafa ».
« FRAUDE HISTORIQUE »
Dans la soirée, l’abbé Donatien Nsolé, secrétaire général de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) a publié les conclusions du rapport partiel rédigé par des observateurs de l’église catholique déployés aux quatre coins du pays. Ces observateurs seraient au nombre de 40.000.
On peut y lire notamment ce qui suit: le climat général du déroulement du vote a été relativement calme; la Ceni a fourni des efforts pour relancer les opérations de vote dans les bureaux de vote où elles ont été interrompues; les bureaux de vote ont relativement bien fonctionné; des opérations de vote ont été interrompues dans certains bureaux de vote à cause notamment du dysfonctionnement de la machine à voter; les membres des bureaux de vote et de dépouillement n’ont pas, au préalable, procédé au comptage des bulletins de vote dans certains bureaux de vote. Enfin, des observateurs et des témoins ont été exclus de certains bureaux de dépouillement.
L’expulsion des témoins de bureaux de dépouillement – ajoutée aux couacs, dysfonctionnements et irrégularités dénombrés par des observateurs – n’augure rien de bon. On peut gager que « Kabila » et ses hommes de main restent dans leur logique consistant à déclarer Ramazani Shadary, vainqueur de la présidentielle.
Dans l’interview qu’il a accordée au quotidien français « Le Monde » daté du jeudi 28 décembre dernier, « Kabila » a estimé que son « dauphin » devrait l’emporter. Au motif qu’il est le seul postulant à avoir sillonné 24 provinces du pays sur les 26. Il s’agit apparemment de quelques « éléments de langage » élaborés par le « service d’études stratégiques » de la Présidence.
Coordonnateur général du FCC, Néhémie Mwilanya Wilondja a tenu les mêmes propos sur les ondes de RFI. Il en est de même de Barnabé Kikaya bin Karubi, conseiller diplomatique du Président hors mandat. Il est clair que « Kabila » refuse de regarder pour ne pas voir le rejet, par la grande majorité de la population, du « système » que lui et son dauphin incarnent.
Ceux qui ont eu l’opportunité d’approcher « Kabila » ces dernières semaines, assurent que l’homme – qui a la haute main sur l’armée, la police et les services de renseignements civils et militaires – parait décidé à jouer son-va-tout pour faire « élire » Ramazani à la tête de l’Etat. Une belle occasion, pour lui, de continuer à diriger le pays par « procuration ». Une source bien informée d’ironiser – en paraphrasant « Kabila » – qu’il y a lieu de craindre l’organisation d’une « fraude historique que ce pays n’a jamais connue depuis 1959… »
Aux dernières nouvelles, on apprenait que quatre personnes, dont un policier, ont été tuées au Sud Kivu.
Baudouin Amba Wetshi