Dans une interview diffusée mercredi 31 octobre sur les ondes de Radio France Internationale (RFI), le secrétaire d’Etat adjoint américain chargé des Affaires africaines, Tibor Peter Nagy, a déclaré que le gouvernement des Etats-Unis ne croit nullement à la tenue, au Congo-Kin, d’élection « libre » et « démocratique » le 23 décembre prochain. Fin septembre dernier, le chef de la diplomatie congolaise, Léonard She Okitundu, avait prétendu le contraire après une entrevue à New York – en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies – avec ce membre de l’Administration Trump. Selon lui, son interlocuteur américain avait « salué » les « avancées » du processus électoral. C’était le 27 septembre.
« Non, pas du tout! » C’est la réponse liminaire que le secrétaire d’Etat adjoint américain aux Affaires africaines a donné à Michel Arseneault de RFI. Celui-ci voulait savoir si l’Administration Trump avait « bon espoir » que les élections attendues le 23 décembre prochain au Congo-Kinshasa seront « libres » et « démocratiques ».
A en croire Tibor Nagy, le gouvernement américain « suit cette situation de près ». Et il a déjà « fait part de ses réserves » aux gouvernants congolais. « Nous sommes d’autant plus préoccupés que l’espace démocratique déjà limité est de plus en plus restreint, a-t-il fait remarquer. On verra bien ce qui va se passer. La planète entière espère – ce n’est pas une formule de style – un scrutin aussi libre que possible ».
Le secrétaire d’Etat adjoint Tibor Nagy s’est fait le « porte-parole » des neuf voisins de l’ex-Zaïre en martelant que ceux-ci « sont, eux aussi, très inquiets ».
Cette lecture maussade de l’évolution du processus électoral congolais tranche avec la béatitude que semblait afficher le chef de la diplomatie congolaise, Léonard She Okitundu, à l’issue de son entrevue, le 27 septembre, à New York, avec Tibor P. Nagy. Ne dit-on pas qu’à beau mentir, qui vient de loin?
VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS EN HAUSSE
Selon Okitundu, il avait mis à profit son entretien avec Nagy pour « rassurer » le département d’Etat de « la crédibilité du processus électoral », son bon déroulement ainsi que la volonté du gouvernement congolais à financer entièrement les opérations électorales. Une démarche pour le moins paradoxale de la part d’un pouvoir politique qui prend plaisir à claironner sa « souveraineté ».
A en croire « She », son interlocuteur avait « salué les avancées réalisées dans les préparatifs » en souhaitant un rétablissement rapide de la stabilité.
Les propos tenus à RFI par le secrétaire d’Etat adjoint Tibor Nagy sont corroborés par les conclusions du rapport publié par le BCNUDH (Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme) sur la situation des droits et libertés dans le pays au cours du mois d’octobre.
D’après les experts onusiens, 620 cas de violations des droits humains ont été « documentés » au cours de la période qui vient de s’achever. Ces atteintes à la vie et à la dignité de la personne humaine sont imputables non seulement à des éléments de la force publique (armée, police, service de renseignements) mais aussi à bandes armées.
Près de dix-huit années après son accession à la tête de l’Etat congolais, « Joseph Kabila » a été bien incapable de rétablir l’autorité de l’Etat aux quatre coins du territoire national. L’oligarchie en place donne l’impression d’être de connivence avec des milices qu’elle utilise à chaque vote comme une « cinquième colonne » pour perturber le déroulement des consultations électorales dans les deux provinces du Kivu et celles de l’Ituri. La province du Tanganyika ne serait pas épargnée.
La présence dans la mouvance kabiliste des individus à la mine patibulaire du genre Justin Bitakwira et autre Gédéon Kyungu Mutanga en témoigne. Ces deux anciens chefs maï maï font partie des « mauvais génies » du « raïs ». La liste n’est pas exhaustive.
Les observateurs peinent à croire à un déroulement « apaisé » des élections à venir. Les experts du BCNUDH font état de l’émergence d’un « respect de la liberté de manifester à géométrie variable, au gré des affinités politiques ». C’est le cas dans plusieurs provinces dont le Haut Katanga.
« SONNETTE D’ALARME »
Décidé à conserver le pouvoir à tout prix, le « Kabila » et son « clan » paraissent aveuglés par leurs certitudes. Ils refusent de regarder pour ne pas voir ce que tout le monde voit. A savoir que le pays va buter contre un mur en béton.
Mercredi 30 octobre, la mouvance kabiliste a fait ce que les zélateurs du régime appellent une « démonstration de force ». Le ministre de l’Intérieur, Henri Mova Sakanyi, a procédé à la présentation des véhicules de l’armée et quelques aéronefs mis à la disposition de la CENI (Commission électorale nationale indépendante). « La question logistique se pose et beaucoup de nos partenaires voulaient trouver en cela une fenêtre pour intervenir dans nos élections. Aujourd’hui, c’est la démonstration qu’on va assumer entièrement et totalement la souveraineté électorale, selon les moyens des Congolais eux-mêmes », a-t-il déclaré.
Derrière la prétendue « souveraineté électorale » carillonnée par « Kabila » et les siens se cachent, en réalité, la volonté d’éloigner les « témoins gênants » pour permettre aux « sortants » de « tricher à huis clos ».
En déclarant que les Etats-Unis sont « préoccupés » et suivent « de près » les consultations électorales à venir au « Congo démocratique », le secrétaire d’Etat adjoint Tibor P. Nagy tire, en fait, la sonnette d’alarme. L’homme est conscient non seulement de l’impopularité de « Joseph Kabila » – dont le bilan est désastreux – mais aussi de la « loi non écrite » selon laquelle aucun satrape africain n’organise une élection pour la perdre.
Tibor Nagy est également conscient que le « dauphin » de « Kabila » ne pourrait en aucun cas remporter la victoire dans une élection présidentielle libre, démocratique et transparente. Il est conscient enfin qu’un « triomphe » d’Emmanuel Ramazani Shadari sera suivie d’un vaste mouvement de contestation aux conséquences imprévisibles…
Baudouin Amba Wetshi